• Aucun résultat trouvé

4. Méthodologie

4.3 L’entretien compréhensif semi-directif

4.3.2 La place du chercheur lors d’un entretien

Nous aimerions aborder maintenant l’influence de l’enquêteur sur le déroulement des entretiens. En effet, la place du chercheur peut avoir un impact important sur les réponses de l’informateur. Or, selon Kaufmann (2006), ce qui importe ce n’est pas tant de chercher à tout prix à supprimer cette influence, mais plutôt d’en être conscient au moment d’analyser les données récoltées.

Lors d’un entretien compréhensif, contrairement à ce qui est souvent attendu lors d’une récolte de données de ce type, à savoir une certaine neutralité de l’interviewer, Kaufmann (2006) décrit une position du chercheur bien différente : « l’enquêteur s’engage activement dans les questions, pour provoquer l’engagement de l’enquêté ; lors de l’analyse de contenu l’interprétation du matériau n’est pas évitée mais constitue au contraire l’élément décisif » (p.17).

Plus concrètement, lors de notre recherche, nous nous sommes très vite rendu compte que notre statut avait une influence sur les réponses des personnes interviewées. En tant

qu’étudiants, nous étions porteurs d’une identité institutionnelle qui a pu avoir une influence plus ou moins importante sur le déroulement des entretiens.

Il est certain que nous n’agissons pas de la même manière si nos propos sont simplement issus du cadre d’une discussion, entre amis, dans un café, ou si un représentant d’un cadre institutionnel reconnu se trouve face à nous, avec certaines attentes, et qui plus est en enregistrant la conversation.

Au-delà du fait que notre statut pouvait avoir une influence, même si nous n’étions « que » des étudiants, la position interviewer-interviewé posait un problème hiérarchique, disparité contre laquelle nous avons d’ailleurs tenté d’agir. Nous avons tout d’abord essayé d’instaurer un climat de confiance en proposant plutôt une discussion qu’un questionnaire figé. Ainsi, nous nous sommes inspirés des conseils de Kaufmann (2006), à savoir : « le but de l’entretien compréhensif est de briser la hiérarchie : le ton à trouver est beaucoup plus proche de celui de la conversation entre deux individus égaux que du questionnement administré de haut » (p.47). Nous avons également tenté d’atteindre le but suivant : « parfois le style conversationnel prend réellement corps, le cadre de l’entretien est comme oublié : on bavarde autour du sujet » (Kaufmann, 2006, p.47).

Pour conclure au sujet de la hiérarchisation des rôles entre enquêteur et enquêté, Kaufmann (2006) décrit très bien la complexité des positions et le but à atteindre :

Il [l’enquêté] doit sentir que ce qu’il dit est parole d’or pour l’enquêteur, que ce dernier le suit avec sincérité, n’hésitant pas à abandonner sa grille pour lui faire commenter l’information majeure qu’il vient de livrer trop brièvement.

L’informateur est surpris de se sentir écouté en profondeur et il se sent glisser, non sans plaisir, vers un rôle central : il n’est pas interrogé sur son opinion, mais parce qu’il possède un savoir précieux, que l’enquêteur n’a pas, tout maître du jeu qu’il soit. Ainsi l’échange parvient à trouver son équilibre, entre deux rôles forts et contrastés. (Kaufmann, 2006, p.48)

Il existe un autre biais possible avec ce type d’interview: la désirabilité sociale. Etant étudiants à l’université et annonçant notre sujet de recherche avant le début de l’entretien, il se peut que la personne interrogée oriente ses réponses en fonction de ce qu’elle pense que nous attendons d’elle, à la place de répondre spontanément aux questions.

Si certains de nos interlocuteurs paraissaient parfois quelque peu réticents à répondre à nos questions27, nous avons tenté de les mettre à l’aise en leur expliquant que nous ne nous attendions pas à une réponse en particulier et que nous ne cherchions pas à entendre des propos qui nous fissent « plaisir ».

Ce sont les questions portant sur la pertinence de la mise en place du label à proprement parler qui ont pu poser le plus de problèmes. Comme nous le verrons en détails au moment de l’analyse des entretiens, les personnes interrogées semblaient ne pas oser, dans un premier temps, nous faire part de leurs doutes et de leurs réticences face à ce label : « Je suis contente que vous preniez bien les choses » ou encore « J’étais inquiète de vous recevoir » sont des exemples de propos que nous avons relevés.

Nous ne pouvons malheureusement pas vérifier de manière certaine si les propos recueillis étaient libres de toute désirabilité sociale, mais compte tenu du fait que la plupart des personnes interviewées ont eu l’occasion de nous faire part de leurs réticences par rapport à la mise en place du label, nous prenons cette attitude pour un gage de qualité et de fidélité des opinions recueillies.

Nous avons tenté de prendre la posture chère à Kaufmann (2006), à savoir un mélange subtil entre empathie : « c’est l’informateur qui est en vedette, et il doit le comprendre à l’attitude de celui qui est en face de lui, faite d’écoute attentive, de concentration montrant l’importance accordée à l’entretien, d’extrême intérêt pour les opinions exprimées, y compris les plus anodines ou étranges, de sympathie manifeste pour la personne interrogée » (p.51), et l’adoption d’une posture d’engagement. En effet, comme le souligne Kaufmann :

« l’enquêteur qui reste sur sa réserve empêche donc l’informateur de se livrer : ce n’est que dans la mesure où lui-même s’engagera que l’autre à son tour pourra s’engager et exprimer son savoir le plus profond » (p.51). En d’autres termes, le chercheur a la tâche difficile de devoir être en mesure de s’adapter continuellement au discours de l’enquêté, il doit jouer sur la distance, tout en gardant à l’esprit que dans une recherche compréhensive, l’enquêteur a toujours une place. Entre neutralité et engagement, ce dernier doit trouver le juste milieu.

Pour aller plus loin, les entretiens sont donc co-construit par deux personnes : le chercheur et la personne-ressource. Nous avons banni de notre recherche la position de l’enquêteur

27 Certains de nos interlocuteurs ont formulé des craintes à nous exposer leur position défavorable quant à la mise en place d’un label interculturel.

« muet » s’interdisant même un hochement de tête pour ne pas influencer l’informateur. C’est pourquoi le lecteur ne sera pas surpris de découvrir dans les retranscriptions des entretiens des moments conséquents de discussion et d’échanges entre chercheur et personne ressource28. Pour terminer, dans le cas des entretiens co-construits, il semble toutefois difficile, pour un enquêteur novice, d’adopter la bonne posture, de participer au moment adéquat, tout en sachant également s’effacer pour laisser la place à l’émergence de propos plus profonds et personnels. Face à ce constat, nous espérons avoir conduit les entretiens au mieux.

Néanmoins, nous nous sommes rendu compte que certains de nos propos étaient parfois très engagés et espérons que ce travers a été corrigé au fur et à mesure que nous interrogions nos informateurs et acquérions davantage d’expérience en la matière.

Kaufmann poursuit encore au sujet de l’entretien compréhensif : « par contre, il s’inscrit dans un autre modèle de construction de l’objet, qui part d’une base solide, l’observation des faits, et doit trouver ensuite des éléments spécifiques lui permettant d’éviter les dérives subjectivistes » (p.26). Pour la réalisation de notre recherche, nous baserons donc la conduite de nos entretiens sur les fondements méthodologiques décrits et développés ci-dessus par Kaufmann (2006).

28Par ailleurs, l’un des entretiens n’a pas eu la possibilité de se tenir in vivo et de proposer un discours co-construit: il s’agit de l’échange de courriels avec la maison d’édition du Dino. Nous avons dû accepter ce type d’échange parce que l’informatrice ne pouvait pas nous rencontrer. C’est pourquoi nous n’avons pas réellement effectué un entretien au sens où l’entend Kaufmann (2006). Cette manière de faire ne change en rien la qualité des propos, mais nous tenions à mentionner cette différence pour mettre en évidence le caractère particulier de cet échange.