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Littérature jeunesse : entre stéréotypes et ouverture : vers la construction d'un label interculturel ?

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Academic year: 2022

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Master

Reference

Littérature jeunesse : entre stéréotypes et ouverture : vers la construction d'un label interculturel ?

KALATHAKIS, Eugénie

Abstract

Le but du présent travail est d'amorcer une réflexion sur les problématiques liées aux stéréotypes encore trop souvent présents dans la littérature jeunesse. Notre recherche s'appuie sur deux axes : la théorie et le terrain. La majeure partie de notre cadrage théorique aborde la question de la littérature jeunesse en lien avec des concepts centraux tels la discrimination, les stéréotypes, l'identité culturelle ou encore l'interculturalité. La seconde partie de notre revue littéraire propose un prolongement de notre réflexion vers la notion de label. Notre réflexion sur la littérature jeunesse nous permettra de nous interroger sur l'impact du livre en tant qu'objet culturel pouvant donner lieu à de l'interculturel. Après avoir exposé nos différentes questions de recherche, nous tenterons de répondre plus particulièrement à une question qui découle de notre réflexion théorique : est-il pertinent de développer un label interculturel pour la littérature jeunesse ? Nous présenterons notre démarche méthodologique avant d'entamer notre second axe de recherche qui consistera à nous rendre [...]

KALATHAKIS, Eugénie. Littérature jeunesse : entre stéréotypes et ouverture : vers la construction d'un label interculturel ?. Master : Univ. Genève, 2009

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:3929

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

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Université de Genève

Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education Section des Sciences de l’Education (LMRI)

Littérature jeunesse : entre stéréotypes et ouverture. Vers la construction d’un label

interculturel ?

(Vol.1)

Mémoire de licence

Présenté par

Eugénie Kalathakis

Janvier 2009

Illustration : Mon papa a peur des étrangers (Schami, & Könnecke, 2004)

Commission d’évaluation :

Jean-Paul Payet et Christiane Perregaux (directeurs), UNIGE Carole-Anne Deschoux (membre du jury), UNIGE

Yvan von Arx (membre du jury), ISJM

(3)

Ne nous y trompons pas, l’image que nous avons des autres peuples et de nous-mêmes est associée à l’Histoire qu’on nous a racontée quand nous étions enfants. Cette représentation nous marque durant toute notre vie.

Marc Ferro, cité par von Arx, 2008 (Brochure Lectures des Mondes)

(4)

Remerciements

Je tiens à remercier toutes les personnes qui d’une manière ou d’une autre m’ont permis de concrétiser ce mémoire. Merci pour leur aide, leur soutien et leurs conseils avertis.

Un immense merci à ma famille qui m’a soutenue durant toutes mes années d’études. Je pense tout particulièrement à ma mère pour ses encouragements, le temps consacré à relire et corriger mon travail et enfin, pour avoir mis son ordinateur à ma disposition durant ces six derniers mois. Sans cet outil précieux, la rédaction de ma recherche aurait été nettement ralentie.

Tous mes remerciements vont à Madame Christiane Perregaux pour sa disponibilité et le temps consacré à m’accompagner dans la rédaction de mon mémoire. J’ai particulièrement apprécié la pertinence de ses remarques durant nos entrevues. Ses conseils éclairés ont grandement contribué à améliorer la qualité de ma recherche. Merci enfin pour ses encouragements et ses marques de confiance, notamment lorsque je me heurtais à des obstacles d’ordre méthodologique.

Je tiens à remercier Carole-Anne Deschoux et Yvan von Arx pour leur intérêt envers mon travail et pour leur participation à ma soutenance en temps que membre du jury.

Merci beaucoup à Monsieur Jean-Paul Payet pour sa lecture attentive.

Je remercie l’Institut suisse Jeunesse et Médias, la bibliothèque de la Cité, Elisabeth, la librairie du Boulevard et les éditions du Dino de m’avoir ouvert leurs portes et d’avoir accepté de me consacrer un peu de leur temps précieux pour m’aider à mieux comprendre quelle était la situation de la littérature jeunesse dans leur environnement professionnel.

Un très grand merci à tous mes amis qui, mois après mois, m’ont soutenue dans les moments parfois difficiles qui font également partie de la rédaction d’un mémoire. Merci pour leurs messages d’encouragement et pour les nombreuses discussions dans les cafés, TGV, bibliothèques et autres lieux propices au débat. Ces échanges m’ont permis de prendre du recul face à ma recherche et d’enrichir mes questionnements.

Je tenais encore à remercier Ueli pour sa compréhension en acceptant d’adapter mes horaires de travail lorsque les échéances approchaient à grands pas.

(5)

TABLE DES MATIERES

Remerciements ...

3

Table des matières ...

4

1. Introduction ...

8

1.1 Choix du sujet et but de la recherche ...

8

1.2 Schéma de recherche ...

11

1.3 Motivations personnelles ...

11

1.4 Présentation et justification de la problématique ...

12

1.5 Constats de départ ...

17

2. Cadrage théorique ...

20

2.1 La littérature jeunesse ...

20

2.2 Aperçu historique de la littérature jeunesse ...

30

2.3 Les livres pour enfants ...

31

2.3.1 L’album ... 34

2.3.2 Les illustrations ... 35

2.3.3 Les relations entre le texte et les illustrations ... 37

2.3.4 La question des personnages anthropomorphiques ... 38

2.3.5 Des livres et des cultures : retour sur notre problématique ... 39

2.4 Les professionnels du livre ...

41

2.4.1 Les bibliothécaires ... 42

(6)

2.4.2 L’Ecole et les enseignants ... 44

2.4.3 Les parents ... 45

2.4.4 Les écrivains ... 46

2.5 Les concepts de stéréotype, de préjugé et de discrimination ...

47

2.5.1 Les stéréotypes ... 47

2.5.2 Stéréotypes : possibilité d’évolution et de changement ... 49

2.5.3 Les préjugés ... 49

2.5.4 La discrimination ... 50

2.5.5 Origine des comportements discriminatoires ... 51

2.5.6 Le recours aux stéréotypes et à la discrimination : effets et conséquences ... 53

2.5.7 Les stéréotypes, les préjugés et la discrimination dans la littérature jeunesse ... 54

2.6 La psychologie sociale et la notion d’identité ...

58

2.6.1 La notion de culture ... 58

2.6.2 L’identité ... 60

2.6.3 Construction identitaire et apparition des préjugés ... 62

2.6.4 Construction identitaire et littérature jeunesse ... 65

2.7 La perspective interculturelle ...

66

2.7.1 Littérature jeunesse et interculturalité ... 71

2.8 Le label ...

75

3. Questions de recherche ...

79

(7)

4. Méthodologie ...

81

4.1 La recherche compréhensive ...

81

4.2 Recherche exploratoire et méthode inductive (Grounded Theory) ...

82

4.3 L’entretien compréhensif semi-directif ...

83

4.3.1 Avantages et critiques de l’entretien compréhensif ... 84

4.3.2 La place du chercheur lors d’un entretien ... 85

4.3.3 Construction de la grille d’entretien ... 89

4.3.4 Traitement et analyse des entretiens ... 90

4.4 Description des terrains choisis et des personnes interviewées

93

4.5 Construction et analyse du corpus de livres ...

96

4.5.1 Sélection du corpus ... 96

4.5.2 Critères d’analyse du corpus de livres ... 98

5. Résultats ...

99

5.1 Entretiens ...

99

5.1.1 Littérature jeunesse et stéréotypes ... 99

5.1.2 L’interculturel et les livres interculturels : un concept à approfondir ... 102

5.1.3 Le label ... 106

5.1.4 Thématiques particulières ... 119

5.2 Corpus de livres : vers une vision « intuitive » commune du livre interculturel ? ...

123

5.2.1 Livres sélectionnés par le biais de nos entretiens ... 124

5.2.2 Comparaison du corpus avec les livres proposés dans la brochure « Lectures des Mondes » ... 125

5.2.3 Présentation et analyse des livres qui ne figurent pas dans la brochure ... 126

5.2.4 Discussion autour des critères de sélection ... 130

(8)

6. Analyse et discussion ...

132

6.1 La perspective interculturelle : un concept à clarifier ...

132

6.2 Le label ...

135

6.2.1 Au-delà du label : développements possibles ... 136

6.3 Le livre et l’interculturel ...

138

6.3.1 Le problème de l’accès aux livres ... 139

6.3.2 Le livre : un média parmi d’autres ? ... 140

6.3.3 Un exemple concret : Le théorème de Mamadou ... 142

7. Synthèse, conclusion et mise en perspective ...

144

8. Références bibliographiques ...

151

8.1 Références bibliographiques générales ...

151

8.2 Littérature jeunesse ...

158

8.3 Télévision ...

161

8.4 Sitographie ...

161

9 . Annexes ...

163

9.1 Grille d’entretien ...

163

9.2 Condensation des entretiens ...

164

9.2.1 Thème 1: Le label ... 164

9.2.2 Thème 2: L’interculturel ... 169

9.2.3 Thème 2 bis : Les critères d’un livre interculturel ... 171

9.2.4 Thème 3: Lectures des Mondes ... 173

9.2.5 Thème 4: Les stéréotypes et la situation actuelle en matière de littérature jeunesse ... 174

9.2.6 Thème 5 : Autre (phrases importantes et significatives) ... 176

9.3 Critères d’évaluation de l’ISJM ...

179

9.4Charte d’accueil des bibliothèques municipales genevoises ....

186

(9)

1. Introduction

1.1 Choix du sujet et but de la recherche

La littérature jeunesse peut-elle avoir une influence sur la façon dont les enfants vont peu à peu construire leurs représentations sur le monde et leur place dans la société plurielle tant du point de vue socioculturel que linguistique ?

Depuis quelques années, la littérature jeunesse est un sujet à la mode, notamment dans le monde de la recherche. En effet, une réelle prise de conscience a été effectuée quant à l’idée que la littérature enfantine est bien moins anodine que ce que nous pourrions penser, car un livre est souvent porteur d’un message et de significations, cachées ou non.

Au-delà du phénomène d’engouement qui touche notre sujet, plusieurs recherches ont constaté que les ouvrages pour la jeunesse comportent souvent des stéréotypes d’ordres divers, tout en n’étant pas ou peu représentatifs de la diversité sociale qui nous entoure (Courette & Lehmann 2007, Dafflon-Novelle, 2006, Mc Andrew, 1987, Vincent & Arcand, 1979). Nous n’avons donc plus à prouver le caractère discriminatoire de certains livres pour enfants. Pourtant, même si le monde de la recherche tente de faire prendre conscience du problème aux différents acteurs concernés, il semble que, dans la pratique, les changements concernant l’édition sont timides. En effet, nous sommes encore régulièrement interpellés dans la vie de tous les jours par des propos déplacés, des photographies stéréotypées ou des articles discriminatoires qui, si nous n’y faisons pas attention, passent presque inaperçus. Pour en revenir à la littérature jeunesse, c’est à nous adultes que revient la tâche de choisir ce que nous souhaitons que les enfants aient entre les mains. Sans vouloir que nos propos revêtent un caractère propagandiste, nous tenons à souligner que, si nous souhaitons que les consciences changent, il faut que dès leur plus jeune âge, les enfants aient l’occasion de s’initier à une pensée pluriculturelle.

Face aux différents constats exposés ci-dessus, nous avons souhaité réfléchir à la pertinence de développer un label du même type que le label lab-elle mis au point par Dafflon-Novelle (2006)1 concernant les stéréotypes de genre, mais qui dans notre recherche, aiderait les lecteurs sensibles à la diversité culturelle à sélectionner des livres qui transmettent un message d’ouverture. Ce label prendrait la forme d’une marque visuelle distinctive qui

1 Voir point 2.8

(10)

permettrait d’identifier au premier coup d’œil un livre soucieux de représenter au mieux les dimensions multiculturelles2 qui caractérisent notre société.

Nous souhaitons nous interroger de manière plus générale sur la façon de faire des choix par rapport à l’offre en matière de littérature jeunesse. A quoi doit servir la lecture ? Et tout particulièrement la littérature de jeunesse3 ? Celle-ci peut par exemple être considérée comme un simple moyen de distraction ou alors être utilisée à des fins didactiques. Est-il possible de faire changer les mentalités par le biais de livres ouverts à la diversité culturelle ? Si les enfants lisaient davantage de livres dans lesquels les personnages sont issus d’origines et de cultures variées, est-ce qu’une fois adultes, ces derniers seraient plus tolérants, plus ouverts à l’Autre ? Comment représenter cette diversité de manière à être cohérent par rapport à la réalité ? Derrière cette question, nous nous demandons s’il suffit d’illustrer un personnage d’origine camerounaise entrant en contact avec une personne d’une autre culture pour se dire que le livre est représentatif de la diversité culturelle qui nous entoure.

Le but du présent travail est d’amorcer une réflexion sur les problématiques liées aux stéréotypes encore trop souvent présents dans la littérature jeunesse. Notre recherche s’appuie sur deux axes4 : la théorie et le terrain. La majeure partie de notre cadrage théorique aborde la question de la littérature jeunesse en lien avec des concepts centraux tels la discrimination, les stéréotypes, l’identité culturelle ou encore l’interculturalité5. La seconde partie de notre revue littéraire propose un prolongement de notre réflexion vers la notion de label6. Notre réflexion sur la littérature jeunesse nous permettra de nous interroger sur l’impact du livre en tant qu’objet culturel pouvant donner lieu à de l’interculturel.

2 Ici, le terme multiculturel est utilisé à titre descriptif, dans le sens où plusieurs cultures sont en contact dans un même lieu. Dans la suite de ce travail, le terme interculturel, quant à lui, sous-entend un changement, une transformation (de notre vision du monde) amorcés par le contact entre différentes cultures.

3 Dans cette étude, les termes « littérature jeunesse » et « littératures de jeunesse » sont considérés comme synonymes. Le choix des mots dépend de l’auteur qui emploie la notion. Habituellement, « littérature jeunesse » est un terme davantage employé au Québec et en Suisse, alors que « littérature de jeunesse » est préféré en France.

4 Voir point 1.2

5 Voir points 2.1 à 2.7

6 Voir point 2.8

(11)

Après avoir exposé nos différentes questions de recherche7, nous tenterons de répondre plus particulièrement à une question qui découle de notre réflexion théorique : est-il pertinent de développer un label interculturel pour la littérature jeunesse ? Nous présenterons notre démarche méthodologique8 avant d’entamer notre second axe de recherche qui consistera à nous rendre auprès de différents professionnels en lien avec le monde de la littérature jeunesse. Le fruit de nos entretiens sera présenté au point 5 de notre étude, alors que ceux-ci seront analysés dans le chapitre suivant9.

7 Voir point 3

8 Voir point 4

9 Voir point 6

(12)

1.2 Schéma de recherche

Axe 1 : Théorie Axe 2 : Terrain

Objectifs : Objectifs :

- Réflexion sur la littérature jeunesse - Sur la base de notre réflexion théorique, - Poser la question du livre en tant qu’objet définir si la construction d’un label

culturel, pouvant donner lieu à de l’interculturel interculturel serait pertinente.

- Construire un corpus de livres « interculturels » à analyser

Réponse :

Littérature et réflexion personnelle Entretiens

1.3 Motivations personnelles

L’intérêt pour la thématique de notre recherche a tout d’abord été le fruit de quatre ans de cours passionnants sur les questions interculturelles. Dès le début de notre parcours de formation, nous avons souhaité approfondir nos connaissances dans ce champ qui était alors encore nouveau pour nous.

L’objet de notre recherche s’est ensuite progressivement précisé. Avec le recul, nous constatons qu’il est le fruit de trois éléments différents. Nous avons tout d’abord été influencés par le visionnement d’un reportage diffusé par la Télévision suisse romande (TSR) : La leçon de discrimination. L’émission proposait de répéter la célèbre recherche effectuée par Jane Elliott dans les années septante dont le but était de faire vivre la discrimination à de jeunes élèves. Nous avons été impressionnés par le reportage, mais surtout

Label ?

(13)

par les conséquences de la discrimination et la persistance de celle-ci à travers le temps.

Cependant, nous nous sommes heurtés à un problème de taille : le sujet, extrêmement sensible, risquait d’être difficile à traiter dans le cadre d’une recherche universitaire telle que la nôtre, notamment pour des questions d’ordre éthique.

Peu après, durant un cours qui portait sur le plurilinguisme, nous avons eu l’occasion de prendre connaissance d’une recherche en cours menée par Carole-Anne Deschoux. La thématique portait sur l’analyse de livres bilingues pour enfants. Cette recherche nous a particulièrement interpelés et nous avons accordé un intérêt grandissant aux questions interculturelles traitées à travers la littérature jeunesse. Nous avons alors commencé à entrevoir la possibilité d’étudier la littérature enfantine pour aborder la discrimination, sujet qui nous tenait toujours à cœur.

Enfin, en effectuant des recherches sur la manière dont ces différentes thématiques avaient déjà été traitées, nous avons pris connaissance des travaux conduits par Dafflon Novelle (2006). Ainsi, nous avons appris qu’il existe un label qui encourage les livres attentifs à la manière de représenter les genres dans la littérature jeunesse. De là est né le projet de rassembler toutes les thématiques qui nous avaient interpellés durant notre parcours universitaire pour traiter le sujet de la discrimination, plus particulièrement des stéréotypes culturels qui sont présents dans la littérature jeunesse. En d’autres termes, nous souhaitions aborder la discrimination en proposant la mise en place d’un label interculturel dans la littérature jeunesse.

1.4 Présentation et justification de la problématique

Depuis quelques années, nous sommes témoins d’une diversification des origines culturelles dans les classes et dans la vie quotidienne en général. Malgré une politique migratoire restrictive et sévère, le visage de la Suisse se transforme et compte chaque jour davantage de personnes de cultures différentes sur son territoire. Cette diversité est en même temps à l’origine de nouvelles ressources, mais est parfois la cause de violence entre certains groupes, tout en servant souvent de cible ou de bouc émissaire pour expliquer la montée de la criminalité en Suisse (Guéniat, 2007).

Dans un contexte parfois tendu, mais surtout complexe, nous pourrions penser qu’aborder la question de la pluralité culturelle par le biais de la littérature jeunesse est dérisoire. Et pourtant, comme nous le verrons plus loin, lutter contre les préjugés et les stéréotypes au

(14)

moyen des livres semble un outil intéressant pour toucher un large public et transformer progressivement les mentalités. En effet, comme le propose Perrot (1995), la littérature jeunesse aurait l’avantage de jouer le rôle de médiateur en éduquant également les adultes au moyen des livres qui entrent à la maison grâce aux enfants. L’expérience « Sac d’histoires »10 récemment mise en place à Genève en est un parfait exemple.

Par ailleurs, si pendant longtemps la littérature jeunesse n’intéressait que peu de monde, il est important de relever qu’aujourd’hui, cette dernière fait l’objet de beaucoup plus d’attention et que rien n’est laissé au hasard. En effet, les livres qui sont mis entre les mains des enfants sont très souvent le résultat d’une politique de la lecture prise en charge par l’Etat. En France, par exemple, le Ministère de la Culture est très présent sur le marché de l’édition (Perrot, 1995).

Le livre est donc un objet politisé et soumis parfois à une censure radicale, certains ouvrages ont dû parfois braver les interdictions et les critiques pour se faire une place sous les projecteurs, dans le cercle fermé des livres « bons pour les enfants ». Max et les Maximontres (Sendak, 1963), en est d’ailleurs un excellent exemple car, après un grand succès aux Etats- Unis, il fut d’abord censuré en Europe durant plusieurs années, avant d’être finalement autorisé et de remporter un grand succès auprès des enfants. Ainsi, alors que le meilleur comme le pire paraît dans le secteur de la littérature destinée aux adultes, les enfants font l’objet d’une attention toute particulière. A l’heure actuelle, seul un petit nombre de décideurs (maisons d’édition, politiciens) a le pouvoir de choisir ce qui est bon et ce qui ne l’est pas pour la jeunesse. Enfin, à Genève, même si le Département de l’Instruction Publique (DIP) fait figurer la lecture de manière implicite sur la liste de ses treize priorités11, aucune indication précise concernant le type d’albums à lire ou les contenus qui devraient être abordés en classe n’est énoncée.

En nous appuyant sur les éléments que nous avons cités, nous constatons que le livre n’est pas un objet anodin. Il est porteur de messages, messages d’ailleurs souvent soumis à une censure tacite ou explicite.

10 Depuis la rentrée 2007, des élèves de 1ère et 2e enfantine (1E et 2E) ainsi que de 1ère et 2e primaire (1P et 2P) (4 à 8 ans) participent à l'opération «Sacs d'histoires». Ils et elles ont ainsi la possibilité de lire ou d'écouter, chez eux et avec leurs parents, une histoire en français et dans les langues de la famille. Objectifs: faire aimer les livres aux enfants et ainsi renforcer leur motivation à savoir les lire.

(Source : www.geneve.ch/enseignement_primaire/sacdhistoires/)

11 Source : http://www.ge.ch/dip/13_priorites.asp

(15)

En approfondissant la problématique qui nous intéresse, nous nous sommes rendu compte qu’un livre peut être porteur de diverses significations. En effet, comme nous le verrons de manière plus détaillée dans la suite de notre recherche, il existe différents niveaux d’analyse, et ce notamment lorsque nous nous penchons sur l’étude de la relation entre le texte et l’image. De plus, l’enfant confronté à un livre établit un lien entre les différents personnages ou animaux mis en situation dans les histoires et lui-même. Le problème est que les rôles présentés dans la littérature enfantine sont souvent attribués aux mêmes genres de personnes, les enfermant systématiquement dans des fonctions stéréotypées. Ainsi, les filles jouent à la poupée pendant que les garçons peuvent s’aventurer dans des contrées lointaines. Dans un autre registre que celui du genre féminin ou masculin, nous constatons également qu’il existe un problème de discrimination concernant l’origine socioculturelle des personnages illustrés et mis en situation. En effet, dès leur plus jeune âge, les enfants peuvent lire les aventures de Max et Lili, (de Saint Mars & Bloch), mais rarement celles d’un Jamel. Habituellement, les héros sont illustrés par des personnages blancs ; les Noirs, les Maghrébins ou les Asiatiques sont moins souvent mis en scène, ou alors par le biais de formes stéréotypées négatives. Il nous semble que cette tendance aurait pour conséquence d’influencer certains enfants, au point que ces derniers finissent par penser qu’il est impossible par exemple pour un Maghrébin de tenir un rôle gratifiant dans la vie réelle, puisqu’il n’a jamais vu d’individu de cette communauté prendre une place de manière positive dans un livre.

Cette question nous permet de nous interroger sur la notion de discrimination (Bourhis &

Leyens, 1994). En effet, dans la vie courante, nous sommes sans cesse, et de manière inconsciente, en train de discriminer l’Autre12. Ainsi, ce qui nous intéresse n’est pas de savoir si oui ou non nous discriminons, mais plutôt d’essayer de comprendre quelles sont les conséquences d’un acte discriminatoire.

Concernant la question de la littérature jeunesse à proprement parler, nous savons que les jeunes enfants construisent tôt leur identité sociale et culturelle (Piaget, 1977, Nesdale, 2004).

De plus, l’Ecole insiste toujours davantage sur l’importance de pratiquer des activités favorisant la littératie en classe, mais également au sein des familles, notamment dans les milieux socioculturels où la lecture est peu présente. Il semble donc important que les livres qui sont lus et relus aux jeunes enfants puissent, dans la mesure du possible, être porteurs d’un

12 Nous verrons dans la suite de ce travail que la discrimination n’est pas uniquement un acte négatif, celle-ci peut également être comprise comme le simple fait de choisir une chose plutôt qu’une autre.

(16)

message d’ouverture, tout en représentant au mieux la diversité culturelle qui caractérise chaque jour davantage la société occidentale, et plus particulièrement le milieu genevois.

Nous pouvons également nous poser la question de la symbolique véhiculée par le livre : comment un livre, objet au premier abord anodin, peut-il être porteur de significations culturelles et identitaires ? Quel est le rôle d’un livre ? Doit-il simplement raconter une histoire ? Est-ce qu’un album pour enfants est forcément porteur de sous-entendus de second degré ? (Sessa, 2003).

La plupart du temps, le livre raconte bien plus qu’une histoire et il peut se transformer en instrument qui transmet aux enfants des valeurs de manière inconsciente. Il suffit d’ailleurs de nous pencher sur les célèbres contes d’Andersen (Le vilain petit canard) ou des frères Grimm pour comprendre que la littérature jeunesse comporte une grande part d’éléments symboliques et émotionnels.

Par ailleurs, dans de nombreuses familles, les albums sont souvent lus soir après soir, influençant de manière importante les auditeurs de l’histoire. Il est important de noter que le livre est un outil socioculturel par excellence. En effet, comme nous le verrons dans la suite de notre recherche, l’album n’est pas accueilli de la même manière suivant le contexte social où il est lu. Il se peut même que la littérature se retrouve complètement absente dans les milieux socioculturels les plus défavorisés. De plus, après un premier rôle attribué traditionnellement aux parents, dans les sociétés occidentales notamment, c’est ensuite au tour de l’école de prendre le relais et d’assumer la responsabilité de transmettre des valeurs culturelles et identitaires fortes. Nous sommes d’ailleurs souvent marqués « pour la vie » par les premiers livres lus en classe dans notre enfance. Qui ne se souvient d’une histoire qui l’a particulièrement touché au cours de sa jeunesse ? S’il n’est pas attentif et sensibilisé aux questions liées à l’ouverture culturelle, il se peut qu’un enfant prenne comme modèle un livre qui propose une vision stéréotypée des personnages mis en scène. Le but ici n’étant pas de supprimer ces livres, mais de proposer d’autres alternatives, tout en sensibilisant les adultes aux problématiques identitaires et discriminatoires. Dans cette perspective, à plus long terme, la construction d’un label interculturel permettrait peut-être de répondre à un manque d’informations sur le sujet, tout en offrant un moyen visuel simple et « accrocheur » pour aider le lecteur dans la sélection de ses lectures.

A la question de savoir si un livre devrait permettre à l’enfant de s’identifier ou au contraire de se distancier et de s’ouvrir à d’autres cultures, nous répondrons qu’il faut prendre le parti de mettre l’accent sur des livres qui offrent aux enfants la possibilité d’effectuer ce double

(17)

travail identitaire, à savoir se retrouver dans les personnages mis en scène, tout en découvrant des pratiques de vie différentes des siennes. Ainsi, nous insisterons sur la notion d’ouverture, ouverture qui permettrait aux enfants de se familiariser avec la diversité culturelle qui les entoure et dans laquelle ils vivent. Pour cette étude, nous garderons à l’esprit l’objectif énoncé ci-dessus, à savoir ce double enjeu systématique : quête de reconnaissance, mais également processus de décentration. Ce double objectif est complexe, car l’enfant a non seulement besoin de se reconnaître pour pouvoir grandir, mais il doit également être capable d’accepter la différence sous toutes ses formes pour vivre dans le monde socioculturellement varié et riche qui nous entoure aujourd’hui. Comme le souligne Danset-Léger (1980), « partir de l’enfant ne signifie pas forcément, ou uniquement, lui offrir la vision du monde qui est la sienne » (p.25).

Avant d’entamer notre cadrage théorique, nous souhaitons conclure avec une citation de Patte (1995) qui exprime bien ce que représente à nos yeux l’acte de lire, parfois mis en péril par des formes de médias concurrentes :

La lecture est par définition un acte biculturel puisqu’il s’agit de la rencontre de deux expériences : celle de celui qui lit et celle de l’auteur. La lecture vraiment personnelle répond à une curiosité ; elle correspond au désir du lecteur de s’intéresser à l’histoire de l’autre parce qu’il sait que l’autre est à la fois différent de lui et semblable. (p.210)

Ainsi, Patte (1995) met en évidence que l’essence même de l’acte de lire est liée à la pluriculturalité. Enfin, l’auteur insiste sur une notion qui sera récurrente dans notre recherche : la quête difficile du semblable et du différent dans la littérature de jeunesse.

(18)

1.5 Constats de départ

1) Malgré des efforts de la part des différentes professions en lien avec le monde du livre, la littérature jeunesse n’est pas encore assez représentative de la diversité culturelle qui caractérise de nos jours la société suisse, et plus particulièrement genevoise.

Cette hypothèse se justifie par le fait qu’au cours des dix dernières années, nous avons été témoins d’une évolution dans les livres pour enfants. Les cultures, les personnages et leurs prénoms sont de plus en plus diversifiés. Les maisons d’édition sont également davantage sensibles aux questions interculturelles et proposent des livres bien plus ouverts culturellement parlant qu’il y a une dizaine d’années. Ainsi, dans les années cinquante, pour prendre un exemple concret, les personnages de la collection de livres pour enfants Martine étaient mis en scène de manière différente de ce qui est attendu de nos jours: une femme qui faisait la lessive et le ménage pendant que l’homme regardait la télévision ne choquait pas la société de l’époque. Le livre Tintin au Congo, qui pose aujourd’hui des problèmes quant à certains passages à caractère raciste, n’était pas perçu comme tel au moment de sa parution.

Cependant, alors que les livres s’inscrivent dans un contexte historique précis et qu’ils sont souvent le miroir des caractéristiques propres à la société dans laquelle ils sont écrits (Ottevaere-van Praag, 1999), les albums parus dans les années 2000 mettent encore peu en scène des personnages représentatifs du brassage multiculturel actuel.

2) La littérature enfantine peut transmettre au jeune enfant des stéréotypes discriminatoires concernant les cultures minoritaires ou différentes.

Nous pouvons justifier cette hypothèse en nous basant sur la recherche effectuée par lab- elle13, label qui a été mis en place pour médiatiser la question des stéréotypes de genre. En effet, même si le label aborde des problématiques liées aux stéréotypes sexistes, nous pensons qu’un parallèle est possible entre les phénomènes de discrimination sexuelle et ceux de type culturel. Nous justifierons bien sûr cette proximité et développerons cette hypothèse de manière plus poussée au moment de la réalisation de notre recherche.

13 http://www.lab-elle.ch

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3) Si un jeune n’a pas la possibilité de se reconnaître dans les personnages mis en scène dans ses lectures, il encoure le risque de développer une mauvaise estime de soi.

De nombreuses recherches (Weitzman, Eifer, Hokada & Ross, 1972) se sont penchées sur le fait que certains livres sont souvent lus et relus à des enfants qui sont en train de développer leur propre identité sociale et culturelle et par conséquent, à un moment où ces derniers sont influençables. Les résultats ont démontré qu’en matière de genre, les enfants prenaient pour modèle potentiel les personnages mis en scène dans la littérature. Sur la base des recherches effectuées sur la construction de l’identité sexuée de l’enfant, nous formulons l’hypothèse qu’il en va probablement de même concernant l’identité culturelle. Par conséquent, nous pensons que si un enfant Noir ne voit jamais des personnes de couleur réussir socialement ou tenir des rôles valorisant dans les livres, il aura tendance à penser qu’il n’est, par exemple, pas capable de réussir professionnellement.

4) Les stéréotypes et catégorisations étant construits dès le plus jeune âge, la lecture de livres favorisant l’ouverture et la diversité permettrait de lutter contre certaines réactions discriminatoires.

Pour cette hypothèse, nous nous basons sur la théorie de l’identité sociale telle qu’elle est présentée par Bourhis & Leyens (1994).

5) La construction d’un label qui proposerait une sélection de livres interculturels, non stéréotypés et représentatifs de la diversité culturelle de notre société, répondrait à une demande des professionnels du livre.

A nos yeux, cette hypothèse est justifiée pour trois raisons : tout d’abord, compte tenu du fait que plus de 9000 titres paraissent chaque année en littérature jeunesse, ce label simplifierait le travail des bibliothécaires et des libraires qui ne peuvent être en mesure de lire la totalité des parutions. En achetant et en proposant des livres labellisés, ils auraient l’assurance que les albums sélectionnés correspondent à certains critères de qualité en matière de contenu transmis.

De plus, compte tenu du fait que lab-elle semble avoir été bien accueilli par la presse, les libraires ou encore les enseignants, nous sommes en mesure de penser que la labellisation est

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une tendance qui répond à une demande pour ce qu’elle représente, à savoir un gage de qualité et de sécurité.

Enfin, dans une moindre mesure, le label pourrait être apprécié du public en facilitant le choix d’un livre parmi les nombreuses parutions. Il aurait également un effet positif sur l’accès au livre, car il proposerait une médiatisation d’un objet parfois oublié ou passé de mode.

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2. Cadrage théorique

2.1 La littérature jeunesse

La littérature jeunesse mériterait qu’on s’attarde longuement son histoire et son rôle culturel notamment. Comme le souligne Gourevitch (1994), en introduction à son ouvrage consacré à la littérature de jeunesse et plus particulièrement aux albums illustrés, il est impossible de retracer complètement toute la chronologie de la littérature de jeunesse, tant le sujet est vaste.

Toujours selon l’auteur, il faudrait à la fois maîtriser l’histoire du livre, de l’illustration, de l’éducation « […] depuis les manuels scolaires jusqu’aux livres de prix, et prendre en même temps acte de l’évolution des modes, des formes et des lieux de lectures, de la clientèle enfantine » (p.5). Gourevitch poursuit encore en expliquant l’origine de la complexité du sujet : « le problème se complique du fait qu’au-delà de la relation directe entre l’enfant et les livres interviennent nombre de prescripteurs (parents, auteurs, éditeurs, éducateurs) relayés ou freinés par l’environnement médiatique » (p.5).

Cependant, il nous a fallu faire des choix et par conséquent décider avec regret de ne pouvoir parler de tout, de ne pouvoir aborder chaque aspect de la littérature. En effet, notre recherche portant également sur d’autres sujets, nous avons choisi de nous focaliser sur ce qui, à nos yeux, est le plus pertinent pour comprendre le cheminement propre à la construction d’un label interculturel dans le domaine de la littérature jeunesse.

Dans la partie théorique qui suit, nous aborderons le caractère économique propre aux livres pour enfants ; puis, après avoir défini les grandes lignes de la notion de littérature, nous tenterons de comprendre quelles sont les frontières, les différences entre littérature pour adultes et littérature jeunesse.

La littérature jeunesse n’a que récemment fait partie des préoccupations concrètes des enseignants, des maisons d’édition et des bibliothèques. Pendant longtemps, les parutions pour les enfants n’étaient pas prises au sérieux et les auteurs d’albums pour la jeunesse n’avaient pas la même notoriété que les écrivains pour adultes. Mais depuis quelques années, nous sommes témoins d’un véritable essor et les manifestations autour du livre pour enfants se multiplient : concours, prix littéraires, salons du livre… Ainsi, « […] la littérature jeunesse sort du ghetto où l’avaient enfermée des préjugés tenaces » (Léon, 2004, p.9).

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Si Léon (2004) parle d’un essor précoce de la littérature jeunesse, Ezratty (2005), quant à elle, dénonce un paradoxe intéressant. En effet, alors qu’en 2003, « 9000 titres ont paru dont 5870 nouveautés, soit un cinquième de l’ensemble de la production, un chiffre en hausse constante… » (Ezratty, p.251), l’auteur déplore en même temps le peu d’intérêt de la part des médias envers les livres pour enfants. Pire, elle souligne même une dégradation de la situation avec la suppression d’émissions radiophoniques (Radio France) consacrées à la littérature jeunesse (Carrousel, Histoires du Pince Oreille). Bien que la suppression de telles émissions soit regrettable, elle est toutefois compréhensible à en croire certaines études sociologiques.

En effet, selon Léon (2004), « le contexte actuel est celui d’une baisse générale de la lecture, tous âges confondus, tous milieux, tous niveaux scolaires confondus [...]. Le temps de lire s’amenuise au profit du sport, de la musique et des jeux vidéo qui occupent les loisirs d’une manière purement plus gratifiante » (p.5).

Après nous être brièvement intéressés à la situation de la littérature jeunesse, nous ne pouvons faire l’économie de la question suivante : qu’est-ce que la littérature ? Pour Léon (2004), « le terme littérature suppose un travail de création formelle au service d’une histoire, d’une idée » (p.11). Cependant, l’auteur ajoute qu’en plus de ce critère, un livre littéraire doit satisfaire des exigences de qualité. Léon n’approfondit pas davantage le sujet et conclut en soulignant que tous les livres pour enfants ne sont pas de la littérature. Pourquoi ? A partir de quand et selon quels critères un livre ne serait-il plus littéraire ? Une bande-dessinée n’a-t-elle pas droit à cette définition ? Elle est pourtant bien le fruit d’un acte « […] de création formelle au service d’une histoire » (p.11) pour reprendre les propos de Léon (2004).

Selon Lagache (2006), « dans la littérature, comme dans tous les arts, il ne s’agit pas d’écrire quelque chose de joli, mais de donner du sens et non pas un sens, de faire en sorte d’ouvrir vers différentes significations que le lecteur élaborera avec ses connaissances, sa culture et sa sensibilité » (p.46). Pour l’auteur, la littérature est un art dont le critère primordial se définit ainsi : le livre, porteur de sens, nous propose une initiation à une vision du monde à laquelle nous n’avons pas l’habitude d’être confrontés. En d’autres termes, un livre doit nous étonner.

De plus, Lagache ajoute encore que « l’œuvre littéraire crée chez le lecteur des échos et des résonances. Elle l’amène à des questions qu’il s’est posé en telle ou telle circonstance, à des situations qu’il a vécues » (p.47). Toujours au sujet de la littérature, l’auteur souligne enfin :

« elle crée des échos dans la sensibilité, l’affectivité, la réflexion du lecteur. C’est de soi, des autres, du monde dont il est question, et la littérature est un des espaces qui nous y conduit » (p.47).

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Concernant la définition de la littérature proposée par Lagache (2006), nous irions même plus loin, car nous pensons qu’un livre devrait justement dépasser les questions que le lecteur se pose en emmenant ce dernier au-delà de ses propres interrogations, au-delà des sentiers connus, au-delà de ce qui est rassurant. En effet, ce n’est que dans des conditions de déstabilisation que le lecteur s’ouvrira et prendra du recul, de la distance. Interrogé, il sera alors davantage capable de se décentrer et de prendre en considération une culture, un mode de vie, de pensée qui lui étaient jusque là étrangers.

Par ailleurs, la littérature revêt également un double caractère. En effet, les livres sont non seulement universaux, à savoir qu’ils valent « […] pour exemple de ce que peut être l’existence sur le plan affectif, social, politique… pas seulement pour le personnage ou pour le lecteur, mais pour tout être humain » (Lagache, 2006, p.49). De plus, « cette valeur d’exemplarité en fait une œuvre universelle qui peut trouver écho chez le lecteur de n’importe quelle époque, dans n’importe quel pays » (Lagache, 2006, p.49). Le livre L’enfant qui retrouva le sourire en est d’ailleurs un parfait exemple, puisque tout enfant qui vit un chagrin, une peine ou une douleur pourra s’y reconnaître.

La littérature permet également un travail de décentration et d’ouverture à l’altérité :

« l’histoire renvoie nécessairement les jeunes lecteurs à eux-mêmes, à leur capacité à s’accepter ou pas avec leurs défauts, mais aussi à leur capacité à aimer l’autre ou pas dans sa différence et son imperfection » (Lagache, 2006, p.49). De plus :

La littérature, pour l’auteur comme pour le lecteur, amène à soi et aux autres. En effet, en lisant, c’est la personne du lecteur tout entière qui est entraînée dans ce qu’elle a de plus intime, de plus profond. Mais dans le même temps, par le biais d’expériences qui ne sont pas les siennes, le lecteur est conduit à la rencontre d’autrui dont il peut évaluer l’expérience et l’histoire. Le rapport au monde est le sujet de cette double exploration et la littérature, dans l’isolement et le repli sur soi que suppose l’acte de lecture ne cesse d’ouvrir la sensibilité, l’intelligence et l’imaginaire du lecteur hors de lui. (Lagache, 2006, p.49, 50).

Les propos de Lagache (2006) sont importants par rapport à notre réflexion, car l’auteur insiste sur le but que nous cherchons à atteindre par le biais de la littérature, à savoir ce double exercice de reconnaissance – ce qui est universel pour Lagache – et de décentration – ou ce qui pousse à l’ouverture et à l’altérité pour l’auteur.

Culler (1989), quant à lui, reconnaît que malgré « le caractère apparemment central de cette question pour les études littéraires, on doit avouer que nous ne sommes pas arrivés à une définition satisfaisante de la littérarité […], nous n’avons pas trouvé le critère distinctif et

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suffisant susceptible de la définir » (cité par Poslaniec, 2002, p. 7, 8). En résumé, toujours selon Culler, « nous n’avons pas de vrais critères pour distinguer une structure verbale littéraire d’une qui ne l’est pas » (cité par Poslaniec, 2002, p.8). Cependant, Culler ajoute que

« dans ces conditions, on pourrait conclure que la littérature n’est rien d’autre que ce qu’une société donnée traite comme de la littérature : c'est-à-dire un ensemble de textes que les arbitres de la culture – les professeurs, les écrivains, les critiques, les académiciens – reconnaissent comme appartenant à la littérature » (cité par Poslaniec, 2002, p.47).

Finalement, au-delà de l’incapacité à définir les critères propres à la littérature, nous pouvons nous appuyer sur les propos de Poslaniec (2002) qui explique avec simplicité que la littérature, « c’est ce qui [l]’étonne » (p.77).

Après avoir tenté de définir ce que peut être la littérature en général, analysons maintenant à quels critères répond la littérature jeunesse.

Au premier abord, la littérature jeunesse, comme son nom l’indique, est la littérature qui s’adresse aux jeunes par le biais de « livres-qui-ne-sont-pas-pour-les-adultes » (Nières- Chevrel, 2005, p.9). Or la frontière n’est pas aussi rigide, et les livres pour enfants dépassent largement cette définition un peu simpliste. En effet, comme le souligne Nières-Chevrel, la littérature jeunesse implique une intervention de la part de nombreux adultes : écrivains, libraires, parents, acheteurs, voire même lecteurs, tous participent à leur manière à la construction de la littérature jeunesse. Cette littérature mériterait donc d’être considérée comme un médiateur qui tisserait des liens entre le monde des adultes et celui des enfants, plutôt qu’une littérature uniquement destinée à un jeune public. Nières-Chevrel ajoute: « quel adulte s’interdirait de lire Alice au pays des merveilles sous prétexte que Lewis Carroll raconta et rédigea son récit pour Alice Liddell, son idéale amie-enfant ? » (p.10). De plus, comme le souligne Lagache (2006), « un tiers des lecteurs de la littérature jeunesse sont des adultes » (p.23). Ainsi, « la littérature de jeunesse cible un public qui va de quelques mois (les livres en plastique pour le bain) à l’âge dit « pré-adulte ». Or, s’il est facile de définir des tranches d’âges pour certains ouvrages, il est beaucoup plus difficile, voire impossible de la faire pour une grande partie d’entre eux » (Lagache, 2006, p.23). En effet, des auteurs, tels Claude Ponti, semblent facilement s’adresser autant à un public d’enfants qu’à un public adulte :

« Quand j’écris, je suis le même, que ce soit pour les enfants ou pas. […] Pour les enfants, l’idée qu’ils sont en devenir, en transformation, en état d’apprendre […]

ne me quitte jamais. Sinon, pour les uns comme pour les autres, je veux faire de la

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littérature. Je pense vraiment que les enfants doivent avoir, pour eux, une vraie littérature sincère comme celle des grandes personnes. La littérature est un échange d’âme à âme entre le plus intime du lecteur et le plus intime de la personne de l’auteur » (Claude Ponti, 2006, cité par Lagache, 2006, p.27).

Le critère de l’âge pour définir une frontière entre la littérature jeunesse et la littérature pour adultes n’est pas réellement pertinent face à une tentative d’explication de cette scission entre les deux types de littérature dont il est question. Cependant, plus que le critère de l’âge, c’est peut-être le critère d’intelligibilité qui doit intervenir dans la distinction entre la littérature de jeunesse et la littérature pour adultes. En effet, il semble difficile de regrouper sous la même dénomination les livres destinés à la petite enfance et les livres destinés aux adultes. Il est tout autant compliqué de classer dans la même catégorie les livres en plastique pour le bain des nourrissons et les romans pour adolescents !

Nous constatons que la frontière entre la littérature jeunesse et la littérature générale pourrait bien se situer au niveau juridique. Dans des pays comme la France, il existe une loi qui soumet la littérature jeunesse à un contrôle institutionnel. « Les enfants sont des mineurs, c'est-à-dire qu’ils sont sous la dépendance des adultes, mais également sous leur protection, ils sont en situation d’acquisition culturelle et de construction d’eux-mêmes » (Nières- Chevrel, 2005, p.12). L’aspect juridique expliquerait donc cette scission entre littérature jeunesse et littérature générale :

Cette loi signifie que la société assigne à la littérature de jeunesse une fonction d’éducation et non de simple loisir. C’est ici que nous pouvons entrevoir une frontière insidieuse – un écart de statut – entre la littérature pour la jeunesse et la littérature générale. La littérature générale vaudrait par son propre projet artistique - « elle n’aurait pas d’autre but qu’elle-même » pour reprendre la formule de Baudelaire – alors que la littérature pour la jeunesse serait disqualifiée avant tout examen parce qu’elle ne serait pas sa propre fin.

L’écrivain pour enfants est suspecté de ne pas écrire, mais d’écrire pour – écrire pour instruire, pour moraliser, pour donner une image positive (donc réductrice) du monde. (Nières-Chevrel, 2005, p.12, 13)

En résumé, la principale différence entre la littérature de jeunesse et la littérature pour adultes pourrait bien se situer au niveau de la censure. En effet, Lagache (2006) rejoint en partie Nières-Chevrel (2005) et pose la question de savoir si nous pouvons ou non tout dire et tout écrire lorsque nous nous adressons à un public d’enfants ou d’adolescents. A cette question, la

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réponse est clairement non. En effet, toujours selon Lagache (2006), il faut respecter l’enfant, ce qui ne veut pas dire édulcorer les ouvrages en évitant tous les sujets sensibles. Lenain (2002) rejoint d’ailleurs Lagache (2006) :

La limite, c’est la distance et le respect dû aux enfants. Les auteurs jeunesse sont soumis à des responsabilités. […] Je pense qu’un auteur pour adultes a tous les droits. Mais pas en jeunesse. Il me semble normal que la littérature de jeunesse soit soumise aux mêmes règles que celles auxquelles est soumise toute parole adressée à un enfant dans une école, dans la rue, dans sa famille. (Lenain, 2002, cité par Lagache, 2006, p.27).

Ainsi, la principale différence entre la littérature de jeunesse et la littérature pour adultes se situerait au niveau de la censure et du contenu proposé, la littérature qui s’adresse aux enfants devant faire l’objet d’un contrôle spécial pour protéger les jeunes lecteurs.

Nous avons parlé des frontières qui pouvent exister entre la littérature jeunesse et la littérature pour adultes, à savoir l’intelligibilité, la censure, le contenu ; enfin, dans une moindre mesure, l’âge des lecteurs.

Nous souhaitons maintenant aborder un point commun entre ces deux types de littérature : la classification sociale. Par la classification sociale, nous envisageons ici deux manières différentes de traiter cette notion. D’abord, dans la littérature de jeunesse, comme dans celle qui est destinée adultes, il existe deux types de littératures : « les bons livres » et la « sous- littérature » (Nières-Chevrel, 2005, p.14). Les « bons livres » étant habituellement davantage proposés par les parents des milieux favorisés, par les bibliothécaires ou encore par les enseignants. La « sous-littérature », quant à elle, a longtemps été le réservoir des milieux moins favorisés qui se penchaient par exemple sur la bande-dessinée, même si aujourd’hui, ce genre littéraire a réussi à sortir d’une vision simpliste et négative pour acquérir finalement la reconnaissance des milieux littéraires.

Mais existe-t-il réellement une « sous-littérature » ? Quels critères permettraient de conclure qu’un livre ne remplit pas les conditions nécessaires pour obtenir l’appellation de littérature ? Pourquoi Moumine le troll (Jansson, 1968) aurait-il un statut inférieur à celui du Père Goriot ? Car il s’agit bien là de hiérarchisation. Hiérarchisation entre littérature pour adultes et littérature de jeunesse ; hiérarchisation également entre les différents genres issus de ces littératures. Ainsi, « la littérature de jeunesse est en fait tout aussi hiérarchisée que la littérature générale. Elle englobe une littérature exigeante, soutenue par les critiques et une production grand public, des collections et des séries destinées aux linéaires des grandes

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surfaces » (Nières-Chevrel, 2005, p.15). Enfin, selon l’auteur, il n’existerait pas de sous- littérature dans la littérature jeunesse : « en dépit des apparences, elle n’est donc pas assimilable à une « sous-culture », en ce sens qu’elle traverse tout le corps social » (p.15). En résumé, « bons livres » et « sous-littérature », sont des notions remises en question par Nières- Chevrel (2005).

La deuxième façon d’aborder la notion de classification sociale souligne un paradoxe que nous souhaitons développer ici brièvement : « Le paradoxe veut que ce soit du Liban, de ce petit pays fragile avec ses dix-huit confessions et ses quatre langues, qu’une jeune femme vienne nous dire qu’il est des pays où la littérature pour les enfants est encore tout entière à inventer » (par Nières-Chevrel, 2005, p.27).

Ainsi, comme nous pouvons le constater, non seulement la littérature jeunesse n’est de loin pas accessible dans tous les pays ; mais, plus dommageable encore, elle est encore inexistante pour une grande partie du monde. En effet, même si notre recherche souhaite volontairement se restreindre au contexte littéraire d’une ville multiculturelle comme Genève14, il nous paraît toutefois important de souligner que, dans de nombreux pays, l’accès aux livres reste impossible. Quiñones (1995), dans une recherche sur l’édition africaine, rejoint l’idée que, mis à part les manuels scolaires, les enfants ont très peu l’occasion de se retrouver face à un livre. Pourtant l’auteur nuance ses propos en ajoutant qu’il existe toutefois de plus en plus d’occasions où la littérature est mise à la portée du public, et ce notamment dans des lieux tels que les bibliothèques d’écoles, les paroisses ou les centres culturels qui voient progressivement le jour dans de nombreux villages. Cependant, toujours selon Quiñones, le principal problème n’est pas forcément l’accès aux livres, mais l’accès aux types de livres et surtout dans quelle langue ils sont écrits. En effet, l’auteur déplore que les livres proposés aux enfants le soient rarement dans la langue maternelle des principaux intéressés. Ainsi,

« l’enfant a beau avoir la maturité nécessaire à la compréhension d’un texte, ce texte restera muet pour lui si ses connaissances en français ne sont pas suffisantes, et le découragera pour d’autres lectures » (p.214).

14 Genève est non seulement le canton suisse où la proportion d'étrangers est la plus forte (38.1% en 2000), mais aussi celui qui abrite le plus de nationalités différentes (184 sur 194 possibles). Cette diversité se retrouve dans les classes de l’Ecole primaire genevoise où le taux d’élèves étrangers atteint pratiquement 40%. (Source : swissworld.org)

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Sur le même sujet, Quiñones (1995) note justement que « l’immense majorité des livres des bibliothèques provient de France. Situation de lecture particulière : les livres viennent d’une autre culture, d’un pays lointain qui ne ressemble pas au sien propre » (p.215).

Pour terminer sur l’exemple concret de la situation littéraire propre à la plupart des pays d’Afrique, nous déplorons également que seul un petit nombre de livres est publié par des maisons d’édition africaines, livres d’ailleurs bien souvent influencés par des cultures éloignées, mais « à la mode », comme la culture française qui paraît bien loin des préoccupations des enfants et qui complique leur compréhension des histoires.

De l’autre côté, en France, la situation est tout aussi paradoxale, puisque la plupart des livres édités au sujet de l’Afrique le sont par des Non-Africains. Ainsi, comme le souligne Quiñones (1995), le style propre aux contes africains et le français d’Afrique n’est pas conservé. Pire, l’illustration est parfois européenne ou américaine et « elle comporte des invraisemblances dues à la méconnaissance de la part de l’auteur du milieu d’origine » (p.215).

Souccar-Lecourvoisier (2005) rejoint Quiñones (1995) en déplorant certains paradoxes présents dans la littérature de jeunesse des pays étrangers influencés par la culture française.

En effet, l’auteur a effectué plusieurs recherches au Liban qui ont conclu que les personnages de fiction qui influençaient le plus les enfants libanais étaient tous issus d’une culture étrangère. Pire encore, sur huit groupes de 7 à 30 étudiants, pas un seul n’était capable de citer une comptine libanaise, les seules connues étant des comptines françaises. « Force est de constater qu’il y a un fossé entre l’enfant libanais et son propre patrimoine littéraire. La littérature arabophone n’est pas bien diffusée. L’éditeur peut produire un chef d’œuvre, peu de gens en entendent parler » (Souccar-Lecourvoisier, 2005, p.315).

Nous pouvons nous poser la question de savoir pourquoi, à l’heure actuelle, tant de sociétés se détournent de leur propre patrimoine culturel pour s’intéresser uniquement à la culture occidentale, idéalisée, mais peu en phase avec les cultures étrangères. Pour pallier cette fascination de la culture française, voire à cette domination de la culture occidentale, un effort de réappropriation, de réhabilitation des cultures locales mériterait vraiment d’être fait, afin que les jeunes écoliers renouent avec leurs racines et avec un registre idéologique plus cohérent pour éviter une situation telle que Souccar-Lecourvoisier (2005) la décrit : « l’enfant libanais, coupé de sa propre tradition littéraire et nourri presque exclusivement de littérature étrangère, est devant une énigme identitaire » (p.315), situation propre au Liban, mais également à bien d’autres pays. Enfin, l’auteur conclut en expliquant qu’un retour aux racines propres à chaque culture n’exclut pas une littérature de jeunesse destinée à tout le monde qui serait au-dessus des différences culturelles.

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Cependant, même si les paradoxes cités par Quiñones (1995) ou Souccar-Lecourvoisier (2005), concernant respectivement la situation en Afrique et au Liban, sont à déplorer, nous souhaitons rappeler qu’il existe des pays où la littérature de jeunesse est tout simplement inexistante. Tout reste à créer. Ainsi, même si la volonté de construire un label interculturel n’est pas forcément à remettre en question, puisque nous envisagerons d’analyser sa pertinence sur un périmètre réduit et multiculturel : Genève, demandons-nous toutefois si un label interculturel ne devrait pas pouvoir traverser les frontières et être présent dans le plus de pays possible. Or actuellement, cette ambition est encore trop grande, puisque non seulement certains groupes nationaux ont encore tout à inventer en matière de littérature de jeunesse, mais ce sont davantage des questions économiques qui bloquent l’accès des jeunes lecteurs aux livres pour enfants. En effet, le livre reste un bien rare, un objet de luxe pour beaucoup de familles et de nombreuses écoles.

Nous tenons encore à souligner que l’intérêt de créer une littérature enfantine n’est pas forcément une réalité pour toutes les cultures, et l’imposer à des sociétés pour lesquelles elle ne représente pas un but en soi irait justement à l’encontre d’un projet interculturel, car nous transférerions une conception occidentale de l’écrit dans une culture qui ne l’est pas.

L’implantation d’une littérature de jeunesse y serait donc un échec si la population concernée n’en voit pas l’intérêt.

Nous sommes partis du sens commun qui instaure une frontière entre la littérature jeunesse et la littérature pour adultes. De plus, nous avons démontré qu’il existait plusieurs points communs entre ces deux types de littérature, points communs qui nous permettent de dépasser une vision stéréotypée d’une littérature hiérarchisée. Nous avons mis en évidence un problème de taille qui nous semble central dans notre réflexion, même s’il ne constitue pas notre préoccupation principale dans ce travail : aujourd’hui encore, la littérature jeunesse, voire même la littérature en général, n’est pas accessible à tous.

Nous souhaitons encore aborder brièvement la question de « la littérature du monde » soulevée par Lagache (2006). En effet, les propos de l’auteur nous permettent de faire un lien intéressant entre la littérature et la question de la culture et des valeurs transmises lorsque nous sommes en possession d’un livre « exotique ».

La littérature est un des espaces de connaissance des cultures du monde. Lire une œuvre écrite dans un autre pays, avec des repères d’une autre culture et d’une autre histoire, permet d’en avoir une certaine connaissance. Certes l’œuvre

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littéraire n’est pas un guide de voyage et il faut se garder d’y chercher l’expression réaliste du pays qui l’a vue naître ; même si certains détails de la vie quotidienne y apparaissent nécessairement, ce qui donne à connaître relève plutôt de l’esthétique, des valeurs et de l’imaginaire. (Lagache, 2006, p. 56)

Lagache (2006) poursuit en décrivant les particularités propres à la littérature du monde. Tout d’abord, les littératures du monde ne sont pas seulement différentes par leur ancrage géographique et social. Les traditions et les pratiques littéraires sont également particulières.

D’où l’importance de prendre du recul lorsque nous nous retrouvons face à un album étranger. En effet, non seulement les codes de lecture ne correspondent pas forcément avec ceux auxquels nous sommes habitués, mais le fait même de se trouver face à un livre traduit peut complètement transformer le message originel d’un auteur. Ainsi, même les publications bilingues ne peuvent respecter et retranscrire la totalité des valeurs, de la culture, de la langue, du rythme propre à l’histoire de départ. Une prise de conscience pour adopter une posture critique et distancée face à album issu d’une culture différente est donc nécessaire.

Lagache (2006) apporte un dernier élément à son étude sur les littératures du monde. L’auteur rejoint ce que nous cherchons justement à mettre en avant dans notre travail, à savoir l’importance de la confrontation par le biais de la lecture, non seulement à la ressemblance, mais également aux différences. Universalité et particularisme sont donc des éléments essentiels aux livres ouverts sur l’Autre.

Les littératures du monde sont toutes des littératures humaines. De ce fait, elles comportent une part de signification universelle qui permet de les lire, de les comprendre et de les aimer dans toutes les régions du monde. Lire un récit issu d’une autre culture, c’est donc apprécier des différences, mais aussi des ressemblances. La démarche est essentielle pour ne pas cantonner une œuvre à un espace géographique et la limiter ainsi à une sorte d’exotisme en passant à côté de sa valeur esthétique et universelle. (Lagache, 2006, p.57)

L’histoire de Nasreddine (Darwiche 2000) est d’ailleurs un parfait exemple de cette expression du particulier et de l’universel. En effet, dans un monde culturel différent (monde arabo-musulman), l’auteur propose en même temps, à la fin de chaque histoire, une morale qui peut être comprise de manière universelle.

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