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2. Cadrage théorique

2.6 La psychologie sociale et la notion d’identité

2.6.3 Construction identitaire et apparition des préjugés

Vander Kelen, Lauwers et Licata (2006) ont travaillé sur la question du développement moral chez le jeune enfant pour tenter de comprendre quelles étaient les principales balises de la construction identitaire, tout en cherchant à analyser de quelle manière et à quel moment les préjugés apparaissaient. Pour se faire, les auteurs se sont notamment basés sur des études sur le développement moral effectuées par Piaget et Weil (1951), Kohlberg (1983) ou encore Turiel (1983).

Selon Piaget et Weil (1951, cités par Vander Kelen, Lauwers & Licata, 2006), l’apparition des préjugés chez les enfants serait directement liée aux différents stades cognitifs et à la notion d’égocentrisme, stades qui seront d’ailleurs développés de manière plus approfondie dans la suite de notre travail. C’est vers l’âge de 7 ans que l’enfant « prend conscience du fait qu’il existe des catégories stables et les processus de catégorisation systématiques commencent, alors que durant la période préopératoire, les enfants classaient par exemple les objets selon des règles qui changeaient en cours de route –forme, couleurs… » (p.74, 75).

Nesdale (2004) propose d’approfondir le sujet en distinguant quatre courants théoriques différents :

- La théorie de l’inadaptation émotionnelle, courant selon lequel « il existerait un lien entre acquisition des préjugés chez l’enfant et personnalité autoritaire. Les préjugés proviendraient de mesures disciplinaires très rudes des parents qui provoqueraient des

frustrations et des réponses agressives des enfants […] » (p.75). Cependant, comme le souligne Nesdale (2004), la faiblesse de cette théorie est « qu’elle ne rend pas compte de l’existence dans certains groupes de préjugés homogènes et n’explique pas pourquoi certains groupes sont plus souvent victimes de préjugés que d’autres » (p.75-76).

- La théorie de la réflexion sociale qui « propose que les enfants, à travers le processus de socialisation, apprennent des attitudes et des stéréotypes qui reflètent les relations de pouvoir qui existent dans la société » (Nesdale, 2004, p.76). En d’autres termes, les enfants naîtraient vierges de tout préjugé et c’est au contact de la société qu’ils intérioriseraient les attitudes et valeurs de leur entourage. Ainsi, stéréotypes, préjugés et discrimination s’apprendraient. En nous basant sur cette théorie, nous déduisons que les parents jouent un rôle important dans la transmission des préjugés à leurs enfants.

Cependant, cette théorie présente également quelques lacunes, car elle peine notamment à expliquer pourquoi certains enfants ne développent pas les mêmes stéréotypes que leurs parents. En effet, « tous les membres d’un groupe social donné n’ont pas les même préjugés à l’encontre des membres d’un autre groupe » (Vander Kelen, Lauwers & Licata, 2006, p.76).

- Selon la théorie socio-cognitive du développement des préjugés (Aboud, 1988), ces derniers seraient plus forts chez les enfants que chez les adultes. En s’inspirant des stades cognitifs de Piaget, Aboud (1988) explique que les enfants âgés de quatre à sept ans montrent le plus grand degré de préjugés. En effet, jusqu’à cinq ans, la pensée égocentrique de l’enfant le contraint à préférer les personnes qui lui sont familières, au détriment des étrangers. Par ailleurs, jusqu’à l’âge de sept ans, l’enfant va petit à petit construire des catégories, sans pour autant que ces dernières soient forcément stables et l’enfant sera amené à préférer l’endogroupe au détriment de l’exogroupe qui est perçu comme une menace. Cependant, la théorie développée par Aboud (1988) est lacunaire sur un point : elle ne prend pas en compte l’influence de la socialisation sur le développement des préjugés.

- Nesdale (2004) propose de pallier ce manque par le biais de la théorie du développement de l’identité sociale. Selon l’auteur, dès l’âge de quatre ans les enfants sont capables de différencier des personnes sur la base de critères qu’il appelle

raciaux. Nesdale décrit quatre phases de développement chez l’enfant pour que ce dernier ait la possibilité de formuler des préjugés ou des stéréotypes, étant le résultat de la volonté des individus de s’identifier à un groupe social considéré comme supérieur ou différent. Cette distinction positive se réalise par comparaison entre groupes, d’où la mise en place de stratégies telles que les préjugés, voire même la discrimination.

1) l’indifférenciation : jusqu’à l’âge de 2 ou 3 ans, l’enfant est incapable d’établir une différenciation ethnique.

2) vers 3 ans, débute la phase dite de conscience ethnique qui dépend des contacts sociaux de l’enfant. Petit à petit, l’enfant est capable de comprendre qu’un adulte parle d’un membre d’un exogroupe ethnique.

3) autour de 4 ou 5 ans, l’enfant va préférer son propre groupe d’appartenance. Ceci se vérifie davantage chez les enfants appartenant au groupe dominant. Dans le cas où les enfants feraient partie d’une minorité ethnique, ces derniers auraient tendance à valoriser le groupe dominant au détriment de leur endogroupe.

4) la dernière phase dite de préjugé ethnique apparaît vers 7 ans. A cet âge, les préjugés dépendent de la situation sociale de l’enfant et de son niveau d’identification au groupe.

Des auteurs tels que Zaouche-Gaudron (1997) ont développé, en se basant sur la théorie de l’apprentissage social, l’idée-clé selon laquelle les enfants imiteraient les modèles avec lesquels ils se sentiraient proches. En nous basant sur ce postulat, nous nous demandons si les préjugés raciaux ou culturels s’acquerraient également par le biais de l’imitation et de l’identification. Dans ce cas, il serait important de proposer aux enfants, au moment de leur construction identitaire, des modèles qui encourageraient la diversité culturelle et le respect de la différence.

Abordons maintenant la question du lien entre socialisation et apparition des préjugés chez le jeune enfant, en nous référant aux travaux de Piaget (1977). Malgré l’ancienneté de certaines de ses études, Piaget reste aujourd’hui encore une référence en matière de recherches sur l’impact de la socialisation. Ainsi, selon Piaget, « c’est dès la naissance que l’enfant est plongé dans l’atmosphère sociale » (p.320). « C’est donc sur le terrain de la petite enfance et dès avant le langage qu’il faut poser le problème des transmissions sociales […] » (Piaget,

1977, p.321). Lorsque l’enfant atteint l’âge d’aller à l’école, certains processus semblent déjà acquis, notamment concernant le développement des préjugés, d’où l’importance, par le biais de la construction d’un label interculturel, de toucher également les familles qui sont les premières à exercer une influence sur le développement identitaire et social de l’enfant.

Pour compléter les divers courants explicatifs de l’apparition des préjugés chez les jeunes enfants, nous nous appuyons sur des recherches effectuées dans le domaine de l’éthologie pour constater que certaines théories rejoignent les recherches de Piaget (1977).

Deux courants se distinguent dans cette discipline :

- le développement des préjugés serait inné (Eibl-Eibesfeldt, 1977, cité par Mellouki, 2004). Certains chercheurs ont réussi à identifier auprès de très jeunes enfants sourds et aveugles une aversion pour l’Etranger. Tout ce qui était familier et proche remportait la sympathie des enfants, alors que tout ce qui n’était pas connu générait systématiquement un sentiment d’antipathie, voire de répulsion.

- le second courant d’éthologues rejoint des chercheurs, tel Nesdale (2004), en voyant dans les préjugés et l’aversion ou l’agressivité envers l’Autre le résultat d’un apprentissage social.

En résumé, l’apparition des préjugés chez les enfants dépendrait de deux facteurs : le développement moral et les différents processus de socialisation.