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2. Cadrage théorique

2.2 Aperçu historique de la littérature jeunesse

Selon Jan (1977), c’est au Japon au XIIe siècle, que les premiers documents destinés aux enfants ont été découverts. Par la suite, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le contenu principal des ouvrages qui s’adressent aux enfants portait essentiellement sur l’alphabet, les pensées pieuses, la morale ou l’histoire naturelle, le but étant « de fournir des connaissances concrètes et une morale sans inquiétudes et sans nuances » (p.36). Ainsi, toujours selon Jan (1977),

« l’enseignement passe avant le conte » (p.35). Le conte revêt donc un caractère moral et transmet toujours un message derrière l’histoire qui est narrée. Par ailleurs, les animaux sont très largement utilisés comme métaphore de la société. Les Fables de La Fontaine (1668-1694) ou Le livre de la Jungle de Kipling (1894) en sont d’ailleurs des exemples frappants.

Enfin, la famille (Oliver Twist, 1838) et l’aventure (Le club des cinq, 1940 ou Moby Dick, 1851) constituent également des thématiques récurrentes.

Jusqu’au XXe siècle, la littérature enfantine est uniquement destinée à une clientèle d’enfants privilégiés et ne fait pas l’objet d’une production continue. Ce n’est que récemment que le débat s’est ouvert sur l’importance de toucher un large public.

La volonté d’adapter le livre à un public précis n’est pas une idée récente. En effet, comme le souligne Nières-Chevrel (2005) :

[…] dès le XVIe siècle, les éditeurs se sont attachés de manière pragmatique et intuitive à adapter leurs livres aux capacités des jeunes lecteurs : création de caractères typographiques qui empruntent à l’écriture cursive, appariant ainsi l’apprentissage de la lecture et celui de l’écriture, recours à un corps de caractères plus élevé et à des espacements nets entre les mots pour les

lecteurs débutants, souci d’offrir aux aînés une mise en page claire et constante. (p.17)

Concernant les principales thématiques abordées dans la littérature jeunesse, nous pouvons nous appuyer sur le portrait historique brossé par Ottevaere-van Praag (1999). Ainsi, de manière fréquente, au cours du siècle dernier, la littérature jeunesse a été particulièrement influencée par les événements historiques qui touchaient la société. Les années 30 ont été marquées par des albums « joyeux, ponctués d’être heureux qui se débrouillent bien tout seul et par un sentiment de sécurité récurrent » (Ottevaere-van Praag, 1999, p.14). L’après-guerre, quant à elle, fait émerger de nombreux livres de fiction à caractère réaliste, même si pour l’heure, les auteurs hésitent à s’inspirer des événements historiques qui viennent de prendre fin. La littérature accorde au merveilleux une place importante, car « l’après-guerre engendre des œuvres nées d’un désir de paix » (Ottevaere-van Praag, 1999, p.66). La seconde moitié du XXe siècle suivra, elle aussi, le même schéma, à savoir une littérature inspirée du climat économique, social, culturel et politique de la société dans laquelle s’inscrivent les albums.

C’est pourquoi les dix dernières années du siècle verront par exemple émerger des thématiques telles que le divorce ou la famille élargie, en prise avec les changements de société.

Nous aimerions souligner une étude réalisée par Gratiot-Alphandery (1986). Même si la recherche est ancienne, elle reste d’actualité et s’insère dans notre problématique. En effet, l’auteur évoque la question de la place de l’Etranger au fil du temps dans les livres pour enfants. Nous pouvons donc noter que le sujet préoccupait déjà les chercheurs dans les années quatre-vingt, mais malheureusement, la situation semble peu avoir évolué et les stéréotypes sont toujours présents dans la littérature jeunesse.

Gratiot-Alphandery (1986) évoque le côté « négatif » de l’utilisation de l’Etranger dans les livres pour enfants, notamment en prenant l’exemple du célèbre titre d’Hergé (1946) : Tintin au Congo. L’auteur dénonce également l’apparition de la science-fiction, qui traite, par un autre biais, de l’image de l’Autre en tant qu’étranger, trop souvent mis en scène de manière négative, « […] dévolue aux puissances du Mal » (p. 205).

Nous pourrions nous poser la question de savoir quelle image de l’étranger offrent les livres pour enfants et quel contenu, quelle signification illustrent les images proposées ?

Pour répondre à cette question, nous pouvons nous appuyer sur la recherche de Mc Andrew (1987) qui aborde la question du racisme dans les manuels scolaires québécois. L’auteur

conclut en mettant en évidence jusqu’à quel point les idéologies sociétales évoluent et se reflètent dans le corpus de matériel scolaire. Mc Andrew (1987) rejoint ainsi notre bref aperçu historique qui démontrait que littérature jeunesse, histoire et idéologies étaient intimement liées.

Pour en revenir au célèbre débat sur Tintin au Congo (Hergé, 1946), nous pensons qu’il ne faut pas forcément incriminer l’auteur, puisque l’image de l’Etranger a passablement évolué depuis le début du siècle. Ce qui pouvait être illustré sans choquer avant la Seconde Guerre Mondiale, devra faire face, après la guerre, à un vaste mouvement de protestation comme le souligne Gratiot-Alphandery (1986). Jusqu’au milieu du XXe siècle, nous avons été témoins, dans les livres pour enfants d’« un déferlement de stéréotypes racistes et d’apologie de la violence » (p.208). Ce n’est qu’en 1947 qu’un comité de défense s’est créé, notamment soutenu par l’UNICEF, allant jusqu’à l’élaboration, en 1949 d’une loi sur la presse prônant

« la dignité de la personne humaine qui possède une valeur universelle et doit être respectée sans distinction de race et d’origine » (Gratiot-Alphandery, 1986, p.209). Cette loi marquera un tournant dans la manière d’illustrer l’Etranger et donnera par exemple naissance à des collections telles que « Les enfants de la terre » (Père Castor) ou encore « Les enfants du monde » (Nathan). « Toutes témoignent du souci de susciter une curiosité chez l’enfant, de développer un intérêt fraternel pour l’enfant d’autres pays » (p.210). Malheureusement, il reste encore bien du chemin à parcourir puisque, même si des efforts ont été faits dans la manière de mettre en scène l’Autre, des études telles que Courette et Lehmann (2007) démontrent qu’au XXIe siècle, le problème de la représentation de l’Etranger ne semble toujours pas résolu.

Comme nous le verrons de manière plus détaillées dans la prochaine partie de notre cadrage théorique, la tendance de la société à prôner l’ouverture et la diversité culturelle devrait idéalement se répercuter sur les contenus abordés dans la littérature jeunesse. Compte tenu du visage pluri-ethnique que revêt aujourd’hui la société occidentale, il paraît normal que nous soyons témoins d’une diversification des cultures illustrées dans la littérature jeunesse. Or, malheureusement, cette évidence ne semble toujours pas suffisamment entrée dans les mœurs.

Même si des auteurs de plus en plus nombreux (Halley, 1998, Geffard, 1999) tentent de se tourner vers l’illustration d’une société multiculturelle, il existe encore des actes maladroits de la part d’auteurs mettant en scène des cultures de façon stéréotypées et ce malgré toute leur bonne volonté.