• Aucun résultat trouvé

Section 1 Les fondements de la liberté d’expression

3. La liberté d’expression dans la législation canadienne

Au Canada et plus largement dans le monde anglo-saxon, la liberté d’expression figure très tôt comme un principe de common law. À l’époque, elle était cependant soumise à de nombreuses restrictions juridiques que la Charte ne retint pas pour accorder à la liberté d’expression son caractère fondamental.

La liberté d’expression est assurée au niveau fédéral par la Charte canadienne des

droits et libertés. Cette dernière spécifie à son article 2b) :

Chacun a les libertés fondamentales suivante : (…)

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; […]177

La protection de cette liberté, telle que prévue par la législation canadienne, s’étend à tout type d’expression. Cette protection est intrinsèque au système démocratique qui suppose « l’accès sans obstacles à la diffusion des idées »178. Dès lors, dès qu’il y a l’intention d’exprimer un point de vue, la protection législative sera appliquée179. Elle s’applique ainsi à plusieurs formes d’expression et touche à la liberté de la presse, au discours politique dans les périodes d’élection ou encore au discours commercial, qui, comme il l’est confirmé dans l’affaire Ford :

176 Loi sur la liberté de la presse, préc., note 171.

177 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 82, art. 2.

178 Nathalie DES ROSIERS, « La liberté d’expression », Encyclopédie juridique JurisClasseur, 2013-12-01,

LexisNexis Canada, p. 7/4.

[…] protège autant celui qui s'exprime que celui qui l'écoute, joue un rôle considérable en permettant aux individus de faire des choix économiques éclairés, ce qui représente un aspect important de l'épanouissement individuel et de l'autonomie personnelle. 180

L’interprétation canadienne de la liberté d’expression vise « à protéger la démocratie, la recherche de la vérité et l’épanouissement individuel »181. Comme le soulignent Kent Roach et David Schneiderman, la liberté d’expression est essentielle à une société libre et démocratique182. Son caractère est par ailleurs souligné à plusieurs reprises par la jurisprudence canadienne. À cet égard, le juge LeBel a ainsi affirmé que la liberté d’expression « joue un rôle critique dans le développement de notre société. Elle confère à tous la possibilité de s’exprimer sur l’ensemble des sujets qui concernent la vie en société »183. Plus encore, le juge McLachlin dans la décision Sharpe a confirmé : la liberté d’expression est « la matrice, l’élément essentiel de presque toute forme de liberté »184.

Ainsi, afin de prévenir la censure, la loi interdit tout contrôle a priori. Plus encore, il convient de souligner la particularité canadienne qui limite le contrôle a postériori par des garanties juridictionnelles185. En effet, à l’instar du droit américain, dont le premier

amendement exprime l’impossibilité pour les législateurs et l’autorité étatique de porter atteinte à ce droit, la législation canadienne protège la liberté d’expression contre l’invasion des autorités publiques fédérales ou provinciales. Pour autant, on situe l’approche canadienne à mi-chemin entre le droit américain, qui prévoit l’immuabilité de la liberté d’expression, et le droit français qui prévoit des limites à la liberté d’expression pour assurer un équilibre entre les droits fondamentaux. Le droit canadien prévoit ainsi des limites et une forme de répression qui elles-mêmes sont soumises à des conditions strictes pour être appliquées.

Enfin, bien que la législation canadienne assure la protection de cette liberté, elle ne prévoit aucune obligation pour les autorités publiques d’en faciliter l’application186. En

180 Ford c/ Québec, 1988-12-15, CSC, [1988] 2 RCS 712, en ligne : <https://scc-csc.lexum.com/scc-

csc/scc-csc/fr/item/384/index.do> (consulté le 2016-08-09).

181 Nathalie DES ROSIERS, préc., note 178, p. 7/4.

182 Kent ROACH et David SCHNEIDERMAN, préc., note 140. 183 Nathalie DES ROSIERS, préc., note 178, p. 7/6.

184 R. c. Sharpe, 2001-01-26, CSC, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, §23, en ligne : <https://scc-

csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/1837/index.do> (consulté le 2016-08-26).

185 Nathalie DES ROSIERS, préc., note 178, p. 6/7 et 7/7. 186 Id., §2.

d’autres termes, il n’y a pas pour l’État d’obligation positive à faciliter l’expression.187 C’est ce qu’entend le juge l’Heureux-Dubé dans l’affaire Haig v. Canada où il affirme que la liberté d’expression « interdit les bâillons mais n’oblige pas la distribution des porte- voix »188. En ce sens, la liberté d’expression doit être comprise comme une liberté négative.

La portée de la liberté d’expression a plusieurs fois été questionnée, comme l’expliquent Kent Roach et David Schneiderman189. La question du médium a par exemple

été abordée. Une distinction était en premier lieu de rigueur190 entre le message et le medium comme l’ont affirmé le Juge Dugas J. dans l’affaire Devine191 et le procureur général du Québec dans l’affaire Ford. Tous deux affirmaient que la Charte protégeait le message mais pas le médium. Cette idée fut rejetée par le juge en chef Dickson qui affirme que « le langage n’est pas seulement un moyen ou un mode d’expression. Il colore le contenu et le sens de l’expression »192. Dès lors, le médium est considéré comme composant à part entière de l’expression.

De même, une distinction a été émise à l’égard des discours selon leur valeur. Cette distinction, également rejetée dans l’affaire Ford, aurait permis de protéger plus ardemment certaines expressions d’une ingérence gouvernementale par rapport à d’autres. En d’autres termes elle aurait levé la protection législative de la liberté d’expression à l’égard de certaines activités.193 Cette distinction est rejetée au motif que toute expression est protégée également devant la Charte.

La portée de la liberté d’expression n’est ainsi altérée qu’à l’égard des formes violentes d’expression. En effet, malgré un caractère fondamental confirmé, la liberté d’expression n’est pas absolue. À cet égard, la jurisprudence canadienne distingue expressément certaines expressions particulières pour lesquelles la protection constitutionnelle n’est pas applicable. On parle ici des formes d’expression violentes194

187 Id., p. 7/9

188Haig c Canada, 1993-09-02, CSC, [1993] 2 RCS 995, en ligne : <https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-

csc/fr/item/1036/index.do> (consulté le 2016-08-26).

189 Kent ROACH et David SCHNEIDERMAN, préc., note 140, p. 434. 190 Id. p. 435.

191Devine c. Procureur général du Québec, 1988-12-15, CSC, [1988] 2 R.C.S. 790, en ligne : <http://scc-

csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/386/index.do> (consulté le 2016-08-26).

192 Id. §40.

193 Kent ROACH et David SCHNEIDERMAN, préc., note 140, p. 435. 194 Id.

comme les incitations au racisme, pointée dans l’affaire Keegstra195, le négationnisme, réfuté dans l’affaire Zundel196, le matériel obscène, dénoncé dans l’affaire Butler197, ou

encore la pornographie infantile, comme le montre la cas Sharpe198.

Ces formes d’expression violentes, en plus d’être condamnée par la jurisprudence sont principalement désignées par la loi comme étant des infractions criminelles. À titre d’exemple, le Code Criminel prévoit les infractions relatives à l’incitation à la haine. Intégrées au Code depuis les années 1970, ces dispositions répondaient initialement à des groupes néo-nazis et racistes venus des États-Unis qui fomentaient la haine au Canada. Énumérés des articles 318 à 320, ces dispositions condamnent l’encouragement au génocide ou encore l’incitation publique à la haine. Les articles 318(1) et 319(1) précisent notamment :

318 (1) Quiconque préconise ou fomente le génocide est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans. […]

319 (1) Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

À l’instar du Code criminel, les lois fédérales et provinciales peuvent limiter la liberté d’expression dès lors que des valeurs concurrentes sont menacées.

À cet égard, il convient de relever l’impact des mesures antiterroristes adoptées depuis 2001 sur la portée de la liberté d’expression. Comme le soulignent Kent Roach et David Schneiderman, la définition de « l’activité terroriste » ignore volontairement la protection de l’article 2b) à l’égard de la liberté d’expression199. Ils précisent :

195 R. c. Keegstra, 1990-12-12, CSC, [1990] 3 R.C.S. 697, en ligne <https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-

csc/fr/item/695/index.do> (consulté le 2016-08-26).

196 R. c. Zundel, 1992-08-27, CSC, [1992] 2 R.C.S. 73, en ligne : <https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-

csc/fr/item/904/index.do> (consulté le 2016-08-26).

197 R. c. Butler, 1992-02-27, CSC, [1992] 1 R.C.S. 452, en ligne : <https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-

csc/fr/item/844/index.do>> (consulté le 2016-08-26).

198 R. c. Sharpe, préc., note 184.

This led to concerns that unlawful protests, of the kind conducted by some in the environmental, anti-poverty, union, and anti-globalization movements could be treated as terrorist activities.

Plus encore, les pouvoirs nouvellement accordés aux services de renseignement canadiens dans le cadre de la lutte antiterroriste interrogent quant à la censure qu’ils impliquent. En effet, permettant aux services d’enquêter pour des motifs plus nombreux et sans garanties adéquates, la liberté d’expression se retrouve menacée dans sa portée par la censure qu’impliquent les enquêtes et l’autocensure qu’impliquent les menaces.

*

La liberté d’expression est menacée par les actions des services de renseignement dans la mesure où ces dernières peuvent mener à une forme de censure. De manière plus directe, le droit à la vie privée est clairement limité dès lors que les services de renseignements mettent sur écoutes ou démarrent une enquête. Ce droit fondamental se voit ainsi imposer des restrictions dès lors que certaines conditions sont rassemblées. Plus encore, c’est au nom de la sécurité que les lois sécuritaires canadienne et française dernièrement adoptées réduisent encore les protections à cette disposition au sein des droits des deux pays.

Documents relatifs