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Section 2 Organisation et cadre juridique des services de renseignement canadiens

2. Élargissement des prérogatives du SCRS

2.2 Adoption de la loi et critiques

En février 2015, une Loi antiterroriste est édictée suite à la proposition du projet de loi C-51 du Parti Conservateur. Avec la modification d’une législation déjà existante, dont le Code Criminel, et l’édiction de nouvelles lois, ce projet de loi tend à renforcer la sécurité nationale, en adaptant l’organisation des entités fédérales concernées mais aussi en instaurant des mesures plus radicales à l’égard de l’immigration et du contrôle des individus.

Loi antiterroriste de 2015 se divise en cinq parties dont chacune traite d’un sujet

destiné à lutter plus efficacement contre la menace terroriste. Dans un premier point la loi permet le partage des informations entre les institutions fédérales canadiennes « qui sont compétentes ou qui ont des attributions à l’égard des activités portant atteinte à la sécurité du Canada »93. La deuxième partie porte sur la création d’une liste d’interdiction de vol, et crée un « nouveau cadre législatif » pour prévenir tout suspect qui « menacerait la sûreté des transports »94 ou qui serait soupçonné de « commettre une infraction de terrorisme ». Toujours en se rapportant aux activités terroristes, la troisième partie de ce texte porte essentiellement sur le maintien de l’ordre public et la modification des procédures à l’égard de la délivrance des mandats et de la protection des témoins. La quatrième partie étend les pouvoirs du Service Canadien du Renseignement de Sécurité. Enfin, la cinquième partie reprend certains points des législations ayant attrait à l’immigration et à la fourniture de renseignement.

Cette loi réforme en profondeur les rapports entre les institutions fédérales à l’égard des renseignements de sécurité. La quatrième partie du texte de loi se penche particulièrement sur le cadre légal d’action du SCRS en lui assurant une plus grande autonomie dans la récolte et l’utilisation des informations.

Les dispositions du texte proposé permettent à dix-sept entités étatiques, allant des services de police au Ministère de la Santé, d’échanger leurs renseignements sur les citoyens canadiens. En effet, la première partie de cette loi permet aux institutions gouvernementales d’échanger les informations personnelles des suspects. De cette

93 Loi antiterroriste de 2015, (Sanctionnée le 2015-06-18), L.C. 2015, ch. 20, (Canada). 94 Id.

manière, les services de police ont accès à un plus grand nombre de renseignements dont l’impôt sur le revenu ou encore les informations relatives à la santé jusque-là strictement confidentielles et protégées par la loi. Or, la loi ne fait pas état de la limite existant entre cet accès plus large aux informations personnelles et le respect du droit à la vie privée.

Également, la loi laisse un flou administratif à l’égard des informations, individus et situations concernés et prévoit que les informations puissent être communiquées dès lors qu’elles se rapportent à des « activités portant atteinte à la sécurité du Canada ». Dans sa partie « définitions », ces termes sont définis comme pouvant se rapporter à « l’emploi […] de moyens illégaux »95. En effet, toute activité illégale pourra désormais être considérée comme touchant à la sécurité du Canada. Or, de nombreux actes sont considérés comme étant illégaux. Loin d’être lié au terrorisme mais résultant d’une volonté populaire, le cas d’une manifestation non permise par le gouvernement peut alors être sujette au fichage et à la transmission des informations des manifestants entre ces organes étatiques. Le terme illégal ne semble donc pas adapté car n’est pas uniquement destiné à la menace terroriste. Il peut ainsi être détourné au profit du gouvernement et pourrait user du renseignement à l’encontre des intérêts des citoyens canadiens.

Plus encore, les détracteurs de la loi soulignent les mesures accordées au SCRS qui lui permettent aujourd’hui d’agir en conséquence des informations récoltées, mettant fin à la séparation strictement établie en 1984 entre les fonctions du GRC et du SCRS. Dès lors, il est permi au SCRS de sortir de son champ d’action initial et d’agir relativement aux informations qu’il aura récoltées. En effet, l’article 12 de la quatrième partie de la loi prévoit :

12.1 (1) S’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une activité donnée constitue une menace envers la sécurité du Canada, le Service peut prendre des mesures, même à l’extérieur du Canada, pour réduire la menace. 96

De cette manière, la Loi antiterroriste de 2015 fait fi de la séparation élaborée en 1984 entre les services de récolte de renseignement et les services qui assurait la mise en application qui prévenait les abus de pouvoirs97.

95 Id., partie 1 art. 2 al. b). 96 Id., partie 4, art. 42.

97 Craig FORCESE, « Annoted Part 4 », Canada’s Proposed Antiterrorism Act, en ligne :

Finalement, l’adoption de la loi est mouvementée par de nombreuses oppositions et l’inquiétude de l’opinion publique face à l’absence de contre-mesures permettant le contrôle ou la supervision des nouveaux pouvoirs accordés aux services de renseignement. Les critiques portent principalement sur l’absence d’un contrôle plus accru des actions du SCRS par des entités indépendantes qui logiquement devrait accompagner les nouvelles prérogatives accordées au SCRS. On pense ici au CSARS dont les pouvoirs ne sont pas ajustés aux fonctions nouvelles du SCRS, laissant la porte ouverte aux nombreuses possibilités d’abus de pouvoir par l’agence de renseignement de sécurité98.

Le projet de loi est présenté à la Chambre des Communes le 30 janvier 2015 pour une première lecture. Après une seconde lecture en Chambre des Communes un mois plus tard, le projet de loi est envoyé au Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Ce dernier produit alors un rapport99 avec des amendements qui sont cependant, tous rejetés du fait d’une majorité de députés conservateurs au Comité. Ces amendements comprenaient la mise en place de mécanismes de contrôle des autorités100 ou encore la création d’une clause spécifique d’échéance aux nouvelles dispositions101.

En parallèle, le Sénat et plus particulièrement le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense étudient le projet de loi. Le Comité publie en Mai 2015 un rapport102, sans amendement, mais accompagné d’observations. Elles font en premier lieu part de décisions du gouvernement en réponse à la réception négative de la loi par l’opinion publique. Le gouvernement affirme envisager d’obliger le SCRS à fournir des preuves du respect de son mandat au CSARS. Également, il affirme que les ministères concernés par la loi et par la communication d’informations devront effectuer une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, en présence du commissaire à la protection

98Pilar CIL, Mémorandum, Review by Reformed Review Bodies – Bill C-51, p. 3, en ligne :

<http://static1.1.sqspcdn.com/static/f/842287/26118043/1428411814233/C-

51+Annotated+Review+Bodies.pdf?token=mo8rauGInUXlMru3UZtoJoo8rh4%3D> (Consulté le 2016-06- 09).

99 Délibération du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, Fascicule n°5,

(2015-04), (Canada), en ligne : <http://www.parl.gc.ca/content/sen/committee/412/SECD/pdf/16issue.pdf> (consulté le 2016-02-24).

100 Wayne EASTER, « A propos des amendements », Liberal, (2015-03-26), en ligne :

<https://www.liberal.ca/fr/wayne-easter-a-propos-des-amendements-c51/> (Consulté le 2016-02-23).

101 « Projet de loi C51 : les conservateurs rejettent les amendements », Radio-Canada, (2016-03-31), en

ligne : <http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/politique/2015/03/31/006-c51-conservateurs- amendements.shtml> (consulté le 2016-02-23).

102 Sénat du Canada, « Le Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense dépose son rapport et ses observations sur le projet de loi C-51 », (2015-05-27), en ligne :

à la vie privée. Par ces affirmations, le gouvernement propose des alternatives en vue d’apaiser l’opposition. Enfin, le Comité propose une série de recommandations et suggère notamment au gouvernement de mettre en place des autorisations législatives permettant aux « organismes nationaux chargés de la sécurité puissent mettre en commun l’information opérationnelle, décider de l’entité la mieux placée pour mener chaque enquête, procéder à des enquêtes conjointes et coordonner l’établissement des rapports ».103

Le texte fait finalement l’objet d’une troisième lecture en Chambre des Communes et au Sénat et est finalement adoptée par sanction royale le 18 juin 2015104.

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Le rôle attribué aux services de renseignement dépasse les frontières nationales canadiennes et françaises. En effet, la lutte contre le terrorisme implique un partage des informations avec les pays partenaires. Une telle coopération à l’égard des informations collectées, voire analysées, s’inscrit dans une lutte multilatérale contre le terrorisme. Le Canada et la France sont ainsi engagés dans deux systèmes de partage différents, présentant des codes et cadres propres à chacun.

Section 3 - Coopération internationale dans la collecte et le partage des

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