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Section 1 Un contrôle constitutionnel des lois

2. Contrôle juridictionnel canadien

2.2 Interprétation de la disposition et détermination de la violation

Le caractère constitutionnel de la Loi antiterroriste de 2015 peut être interrogé selon l’un des trois moyens développés. En imaginant que son inconstitutionnalité soit soulevée, une analyse en deux étapes est abordée270.

Dans un premier temps, la procédure prévoit une analyse de la loi, ou de la mesure gouvernementale concernée, dans sa restriction à un droit ou à une liberté. On analyse alors l’interprétation de la disposition de la Charte concernée puis on détermine la nature de la violation, soit par l’objet, soit par l’effet de ladite mesure. Comme l’affirme Hugo Cyr dans son article « L’interprétation constitutionnelle, un exemple de postpluralisme » :

[…] l'interprétation constitutionnelle se distingue de la qualification de la loi ou de l'acte dont il s'agit d'apprécier la constitutionnalité, un peu de la même façon que l'interprétation de la loi se différencie, toujours au strict plan des concepts, de son application.271

Il s’agit alors d’analyser cette disposition au regard de la Charte elle-même, c’est- à-dire du préambule, des rubriques, des notes marginales et des articles 25 à 31 de la

Charte, qui ont précisément pour objet l’interprétation de la Charte. Ainsi, au regard de la Loi antiterroriste de 2015 et des droits menacés, à savoir la liberté d’expression et le droit

à la vie privé, les articles 2)b et 8 seront étudiés. Il s’agira d’observer la portée de l’article 2b) et d’en étudier les limites pour déterminer si les messages et discours que censure indirectement le travail des services de renseignement fait partie des protections prévues par cet article. De même, une étude de l’article 8 permettra de déterminer si les interventions des services de renseignements sont comprises au sens de cet article. Hugo Cyr illustre l’étude de ces deux articles en prenant les exemples du message commercial et de la fouille :

[…] il faut tout d'abord avoir décidé que la liberté d'expression garantie par l'article 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés englobe la protection du message commercial avant de qualifier une loi qui a trait i celui-ci et de déterminer si ladite loi porte atteinte ou non à cette liberté ; de même, il faut avoir défini ce qu'est une fouille, perquisition

270Stéphane BEAULAC, « L'interprétation de la Charte : reconsidération de l'approche téléologique et

réévaluation du rôle du droit international », Suprême Court Law Review, n°27, 2d, 2005, p.1-46.

271Hugo CYR, « L'interprétation constitutionnelle, un exemple de postpluralisme », McGill Law Journal, vol. 43, 1998, p. 569.

ou saisie abusive au sens de l’article 8 de la Charte canadienne avant de décider si, par exemple, le comportement d'un policier porte atteinte à cet article.272

Enfin, l’interprétation de la disposition concernée se fait par le biais de la jurisprudence canadienne à son égard. Cette partie de l’interprétation garantit ainsi une « interprétation de la Charte canadienne de façon généreuse, large et libérale – plutôt que rigide et formaliste ».273

Il est ensuite question de savoir si la norme étudiée entre en conflit avec le droit ou la liberté garantie par la Charte. L’étude se penche alors sur la détermination de la violation en tenant compte à la foi de l’objet et de l’effet de la loi.

La détermination de l’objet de la mesure étudiée permet une observation à la lumière des droits énoncés par la Charte comme l’a illustré l’arrêt Big M Drug MArt Ltd. qui a établi que la Loi sur dimanche. La question était alors de savoir si cette loi permettait avait un caractère religieux ou pas. Par le biais d’une étude des objets de la loi, il fut déterminé que cette dernière avait été créée pour préserver le caractère religieux du dimanche, entrant de ce fait en contradiction avec l’article 2a) de la Charte qui garantit la liberté de religion.

Finalement, si l’objectif de la mesure étudiée est valable au regard de la Charte, il s’agira d’étudier les effets de la loi, c’est-à-dire d’observer si les conséquences de son application restreignent un droit ou une liberté garantie dans la Charte. À cet égard, il est bon de rappeler l’importance du contrôle a posteriori dans l’étude des effets de la loi car il permet d’en observer les effets réels et également d’assurer une évolution de la législation au regard des mœurs et de la société.

1.3 La pondération des intérêts individuels avec les intérêts sociétaux : le test d’Oakes

La deuxième étape du contrôle de constitutionnalité de la loi n’intervient que s’il a été déterminé, par la procédure initiale, que la mesure étudiée restreint ou viole un droit ou une liberté prévue par la Charte. Il s’agira alors de déterminer « si cette limite peut se

272 Id.

273 « Revue du Barreau/Numéro spécial », (2003-03), p. 30, en ligne :

justifier dans une société libre et démocratique »274. Ici il conviendra de pondérer les intérêts individuels protégés par la Charte avec les intérêts sociétaux par le biais de la clause limitative de l’article premier de la Charte, autrement appelé test d’Oakes275.

Le test d’Oakes se présente comme le contrôle judiciaire canadien assurant la constitutionnalité des lois. À travers notamment la recherche de l’objectif réel et urgent d’une loi, le test d’Oakes permet de disposer des limites d’un droit mais également d’assurer son application lorsque celle-ci est nécessaire. Il met en évidence que tous les objectifs législatifs ne sont pas acceptés pour limiter les droits et libertés276. En effet, la justice canadienne exclu les objectifs relatifs à la morale et se concentre sur le préjudice qui peut avoir eu à l’égard d’un individu ou d’un groupe de personne vulnérable. Par ailleurs, l’objectif réel et urgent conçoit la défense de certains intérêts. Dans le cas de la liberté d’expression par exemple il assure des intérêts relatifs à l’ambiance saine et neutre de l’école ou de tout autre service public.

Continuant sur le cas de la liberté d’expression, restreinte notamment par la Loi

antiterroriste de 2015, il est intéressant d’illustrer l’application du test d’Oakes dans l’arrêt Keegstra277. Dans cet arrêt, le plaignant, professeur au secondaire, avait tenu des propos antisémites devant ses élèves. Il était alors accusé en vertu de l’article 319.2 du Code criminel, qui interdit de fomenter la haine contre un groupe identifiable :

(2) Quiconque, par la communication de déclarations autrement que

dans une conversation privée, fomente volontairement la haine contre

un groupe identifiable est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire278.

L’accusé a défendu son droit à tenir de tels propos et plaide la liberté d’expression. À cet effet, et suivant la première étape du contrôle de constitutionnalité, la Cour Suprême a confirmé que l’article en question viole la liberté d’expression qui, comprise dans son cadre le plus large, protège même les discours racistes.

274Stéphane BEAULAC, préc., note 270, p. 4.

275 R. c. Oakes, 1986-02-28, CSC, 1 R.C.S. 103, en ligne : <https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-

csc/fr/item/117/index.do> (consulté le 2016-07-14).

276 Nathalie DES ROSIERS, préc., note 178, p. 7/12. 277 R. c. Keegstra, préc., note 195.

Afin d’observer l’application de l’article 319.2, la Cour a appliqué la deuxième étape du contrôle et a appliqué le test d’Oakes. Elle a, en premier lieu, identifié l’objectif réel et urgent et a confirmé qu’il y avait lieu d’éviter qu’il y ait propagande à l’encontre d’un groupe vulnérable, plus encore, qu’il était impératif d’empêcher la propagation du racisme au sein de la société. Elle a également affirmé que l’interdiction de la propagande haineuse était le lien rationnel avec cet objectif et propose la prison comme atteinte minimale et a infirmé l’existence d’une proportionnalité entre les limitations de la liberté d’expression et les avantages supposés. De ce fait, la Cour Suprême a finalement confirmé une violation de la liberté d’expression mais, par le biais du test d’Oakes, a justifié la nécessité de cette atteinte, et de l’application de l’article 319, pour protéger un groupe identifiable.

La question se pose alors du passage de Loi antiterroriste de 2015 au test d’Oakes. Les nouveaux pouvoirs accordés aux services de renseignement vont à l’encontre de la liberté d’expression et du droit à la vie privée des individus. En effet, les nouvelles mesures pour la mise sur écoute menacent la propagande et l’action terroriste, mais elles ne présentent aucun garde-fou à l’égard, par exemple, des opposants politiques, ou de toute autre forme d’opposition. Ainsi, ces nouvelles mesures peuvent devenir le fait d’une censure indirecte ou d’une autocensure des discours minoritaires par peur de représailles et mettre à mal l’intégrité et la dignité de l’individu.

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Les droits supplémentaires accordés aux services de renseignement canadien et français ont été déclarés constitutionnels et conformes à l’équilibre des droits par instances canadienne et française. Pour autant, les deux lois édictées en 2015 remettent en question l’équilibre garanti par l’État de droit et font l’objet de nombreuses critiques.

Section 2 - Lois sur les services de renseignement : quelle garantie des droits ?

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