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Section 1 Le partage comme outil de lutte anti-terroriste à part entière

1. Histoire et fondements du partage des renseignements

Le partage des renseignements n’est pas un fait nouveau issu de la menace terroriste globale appréhendée depuis le début des années 2000. En effet, autant en temps de guerre que de paix, les nations ont partagé un certain nombre d’informations suivant des préceptes diplomatiques.

Ce domaine, institutionnalisé en Europe à partir des XVIe et XVIIe siècles, répondait originellement à la nécessité pour les nations d’obtenir des informations relatives aux affaires étrangères329. La création d’agences spécialisées dans la collecte et l’analyse

des renseignements apporte une autonomie supplémentaire aux nations les unes par rapport aux autres. Les rapports diplomatiques sont désormais accompagnés par le travail de ces agences notamment en temps de guerre. En effet, les échanges de renseignements militaires relatifs aux ennemis potentiels et aux menaces de guerre font partis des premières coopérations, comme en témoigne les prémices de la Première Guerre Mondiale, où les services de renseignements français et britanniques échangeaient quotidiennement à l’égard des avancées de l’armée allemande330. La guerre développe donc les rapports entre les agences de renseignement et pousse les États à se regrouper au sein d’alliance. C’est ainsi au cours de la Seconde Guerre Mondiale qu’émergent les prémices de l’accord

329 Micheal HERMAN, Intelligence power in peace and war, Cambridge University Press, 1996, p. 32.

UKUSA et la coopération entre les États Unis et la Grande Bretagne pour décoder les opérations militaires des Allemands et des Japonais.

Cet accord témoigne d’un partage des renseignements qui perdure en temps de paix. Il intègre en effet dès la fin de la guerre le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui assureront à eux cinq un échange de renseignements aux quatre coins du globe. Également, parmi les organisations perpétuant les échanges de renseignements en temps de paix, il convient de relever la place occupée par l’OTAN. Bien que son rôle soit de nature politico- militaire et que l’information échangée assure principalement la coopération des pays membres en temps de guerre, son rôle en temps de paix n’en est pas moins important car témoigne d’un partage permanent entre les États membres. De même, le partage des renseignements à l’échelle européenne n’a pas une vocation intrinsèquement militaire et est particulièrement active en temps de paix par le biais de sa Politique étrangère et de sécurité commune.

Ces échanges bilatéraux ou alliances relèvent d’un degré de coopération qui est propre à chacun et qui ne répond à aucun code ou norme international à l’égard du partage. Ils peuvent ainsi rester secret, comme ce fut longtemps le cas pour l’accord UKUSA. Michael Herman, dans son ouvrage Intelligence power in peace and war explique :

The result is a patchwork of bilateral and multilateral arrangements of all kinds and all degrees of intimacy. The patchwork is unusual in its secrecy, but otherwise is not unlike the intergovernmental arrangements that have developed in other specialized areas. Rather as in these other areas, arrangements for intelligence are modulated by states' political alignments and overseas policies, and at the same time interact with them 331

Cette coopération à l’égard du renseignement répond principalement à l’idée qu’il y a toujours une information supplémentaire qu’une entité alliée peut fournir. Michael Herman parle ici d’un « appétit insatiable pour l’information »332. Il souligne à cet égard deux fondements principaux à la création et au maintien des coopérations pour le partage de l’information : « Cooperation with foreign agencies is often rooted in historical links

and other intangibles, but there is usually a bottom line of national professional-technical self-interest. ».

331 Id., p. 225. 332 Id., p. 226.

En effet, la coopération en matière de renseignement est principalement issue d’une bonne relation diplomatique entre les nations. Cette relation peut être issue d’une coopération diplomatique de longue date, sur des accords communs réguliers et une politique étrangère commune, qui traduisent une certaine confiance entre les deux pays concernés. Cependant, elle peut aussi relever de l’influence d’un pays puissant sur la scène internationale et de la dépendance d’autres nations à son égard. On pense par exemple aux États Unis et à leur emprise sur certains pays alliés. À cet égard, le partage des informations peut être issu d’un nécessaire soutien politique, économique ou militaire sur la scène internationale. La guerre froide témoigne de ces deux motivations, certains pays étant alliés à l’un des deux camps pour des raisons idéologiques, comme ce fut le cas de Cuba allié à l’ex-URSS, ou encore d’une dépendance nécessaire, comme en témoigne la dépendance de certains pays de l’Europe de l’Est toujours auprès de l’ex-URSS.

Cependant, il serait précipité de conclure que le partage des renseignements n’est gouverné que par des questions diplomatiques globales ou de représentation sur la scène internationale. En effet, les coopérations sont également le fait pour certains pays de ne pouvoir agir unilatéralement pour la collecte de renseignements. En effet, il convient de relever que certains pays n’ont pas les moyens techniques ou les richesses nécessaires pour obtenir certains renseignements d’origine électromagnétique, dont la collecte nécessite un matériel spécifique et développé sur une zone géographique particulière.

Pour autant, le fait de bénéficier de la puissance internationale ou des richesses nécessaires ne garantit pas l’indépendance. Les nations avec peu de moyens peuvent également être avantagées par leur position géographique pour la collection de certains renseignements, notamment les renseignements d’origine humaine. L’intervention des services de renseignements alliés, physiquement proches des zones à surveiller sont avantagés pour, par exemple, surveiller physiquement des individus ou groupes ou encore avoir accès aux fichiers de la police locale. Ce fut notamment le cas pour les États Unis qui, durant la guerre froide, voyaient en certains pays de l’Europe de l’Ouest ou encore le Japon, des nations susceptibles de soutenir le bloc américain par le biais des renseignements333.

Enfin, « l’appétit insatiable » mentionné par Michael Herman traduit la volonté des nations d’obtenir le plus de renseignement possible. Ici, l’exemple de l’accord UKUSA est une illustration parfaite de la standardisation de la collecte et de l’analyse des renseignements. À cet égard, les Five Eyes se sont partagés le travail et se sont répartis des zones géographiques à surveiller ainsi que des techniques de collecte à prioriser selon le matériel à disposition. Dès lors, le partage de l’information devient un outil militaire et diplomatique à part entière, permettant de contrôler un maximum les informations au sein d’un groupe restreint, relié par son histoire et ses relations diplomatiques.

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Aujourd’hui, la menace terroriste implique aux services de renseignement de couvrir un grand nombre d’informations tant sur le plan de la nature du renseignement que sur le plan de la localisation géographique. Les alliances et partages s’entrecroisent au sein d’une lutte multilatérale contre le terrorisme dans laquelle le renseignement tient une place essentielle.

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