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Section 1 Un contrôle constitutionnel des lois

1. Contrôle constitutionnel français

1.2. Un contrôle à l’échelle européenne

La Convention européenne des droits de l’Homme prévoit la protection des droits fondamentaux, notamment de la liberté d’expression et du droit à la vie privée. Pour autant, elle assure aux États membres de l’Union une marge de manœuvre dans la mise en œuvre des obligations qu’elle prévoit. On parle de la marge nationale d’appréciation. Cet élément, intégré à la doctrine depuis sa première apparition en 1958 dans le rapport de la Commission dans l’affaire Grèce c/ Royaume-Uni254, ne permet pas aux États de modifier la substance des obligations prévues par la Convention mais d’en assurer l’exercice selon les conditions et le contexte. En d’autres termes, la marge nationale d’appréciation prévoit que les États soient mieux placés pour mettre en place les garanties qui assurent l’ordre général.

Pour autant, la marge nationale d’appréciation ne signifie pas que les États membres de l’Union échappent aux contrôles de la Cour européenne. En effet, des moyens de contrôle à posteriori à l’échelle européenne sont envisageables. En partie au nom de la liberté d’expression, de la liberté de s’informer et du droit à la vie privée, des associations de journalistes et d’avocats ont saisi la Cour européenne pour protester contre ces droits menacés à outrance par cette nouvelle loi. En effet, bien que la saisine de la Cour soit possible pour tout État membre en vertu de l’article 33 de la Convention255, cette dernière

252 Loi organique du 10 décembre 2009, préc., note 244, art. 1.

253 Décision relative à la loi organique du 10 décembre 2009, préc., note 248.

254 Grèce c/ Royaume-Uni, 1956-05-07, Cour Européenne des droits de l’Homme, n° 176/56. 255 Convention européenne des droits de l’homme, préc., note 41, art. 33.

peut être également saisie selon une requête individuelle. L’article 34 de la Convention précise :

La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit.

Dès lors, et selon la recevabilité des requêtes, la Cour européenne des droits de l’homme observera la légitimité de la loi sur le renseignement avec les droits fondamentaux prévus par la Convention et déterminera ou non l’ingérence de l’État. Ici, la Cour européenne permet aux individus de contester la constitutionnalité des décisions de justice et ainsi influencer la jurisprudence nationale256. Pour ce faire, cette dernière se réfère aux clauses limitatives généralisées, qui s’appliquent à tous les droits et clauses limitatives individualisées spécifiques à chacun.

À cet égard, la Cour européenne devra considérer la loi sur le renseignement à la lumière des articles 15 et 17 de la Convention. En effet, l’article 15 autorise les États à prendre des mesures dérogatoires à l’égard des droits et libertés prévus par la Convention. Il spécifie :

En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.257

L’article 17 de la Convention vise à empêcher l’usage abusif des droits protégés par la Convention. En d’autres termes, elle empêche tout État, groupes ou individus de s’attribuer les droits de la Charte pour mieux les limiter. Il précise :

Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la

256 Laurent PECH, préc., note 142, p. 86.

présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention.258

Additionnées à ces clauses limitatives généralisées, la Cour européenne devra considérer des clauses limitatives individualisées que l’on observe aux articles 8§2, en ce qui concerne le droit à la vie privée, et 10§2, à l’égard de la liberté d’expression. Ils précisent :

8§2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.259 […]

10§2. L’exercice de [la liberté d’expression] comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.260

Ces deux articles mettent en avant la possibilité pour un État de ne pas respecter le droit à la vie privée de ses citoyens et de faire obstacle à la liberté d’expression de ces derniers. On parle ici d’ingérence261. Néanmoins, ces derniers établissent certaines conditions à l’ingérence. Ils prévoient en premier lieu une condition de légalité, c’est-à-dire que l’ingérence soit prévue par la loi. Deuxièmement, une condition de légitimité est prévue. En effet les deux articles énumèrent les objectifs qui légitiment l’ingérence. On pense par exemple ici à des conditions de sécurité nationale. En troisième lieu, les deux clauses limitatives présentent une condition de nécessité quant à l’ingérence qui « ne s’apprécie qu’au regard de l’existence d’un besoin social impérieux »262. Enfin la Cour européenne

258 Id., art. 17. 259 Id., art. 8§2 260 Id., art. 10§2

261 Laurent PECH, préc., note 142, p. 87. 262 Id., p. 90.

devra observer un critère de proportionnalité entre l’ingérence et la limitation des droits que la loi implique.

À la lumière des clauses limitatives générales et individuelles prévues par la Convention, la Cour se devra de déterminer de l’état de la loi sur le renseignement. Il s’agira alors de l’examiner dans le contexte d’état d’urgence proclamée en France depuis les attentats de janvier 2015 et au regard des autres attentats et menaces qui orientent la politique de sécurité nationale française depuis. S’il est établi qu’il y a ingérence, alors la Cour devra étudier l’équilibre entre la sécurité nationale et les droits concernés par le biais des conditions et critères que les clauses prévoient.

Ses détracteurs espèrent qu’elle rende un avis défavorable et contraire au Conseil constitutionnel. Des avis similaires ont été rendus par la Cour dans les récents arrêts Roman

Zakharov c. Russia et Szabo et Vissy c. Hungary où la Cour a considéré les dispositifs de

surveillances comme étant illégaux263. Plus précisément, le dernier arrêt fait état de l’illégalité de la loi hongroise antiterroriste et des dispositifs de surveillance qu’elle propose vis-à-vis de l’article 8 de la Convention, relatif au droit à la vie privée.

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En France, il du rôle des juridictions ordinaires d’assurer l’applicabilité des lois selon les circonstances et les contextes. Il pour autant du rôle du Conseil Constitutionnel de contrôle la conformité de la loi avec les dispositions de la Constitution. Au Canada, le contrôle de constitutionnalité est le fait du pouvoir judiciaire qui décide ou non de l’inconstitutionnalité d’une loi par un contrôle qui lui est propre.

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