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CHAPITRE 5 – DISCUSSION

5.1. Analyse et interprétation des résultats

5.1.1. La dignité telle que définie par les participantes

Pour les participantes, le respect de la dignité doit être appliqué dans une optique d’équité et d’égalité de fait et de droit envers les femmes ayant été agressées sexuellement. On peut présupposer que les participantes croient que de respecter la dignité est un principe qui s’accorde avec la mission du travail social qui vise la poursuite de la justice sociale, et ce, en particulier pour les peuples et groupes historiquement marginalisés (FITS, 2018; ACTS, 2005; OTSTCFQ, 2018). Leur interprétation du concept s’arrime, entre autres, avec les définitions de chartes de droit international et de droit de la personne (ONU, 1948). Bien que toutes les participantes s’entendent sur l’importance de la dignité des victimes d’agressions sexuelles en contexte d’intervention, des différences persistent sur la façon dont elles définissent ce concept en lien avec le sujet à l’étude.

Le choix du féminisme intersectionnel et de la perspective anti-oppressive pour ce mémoire présupposait que les intervenantes dresseraient des liens entre les composantes de ces approches et leur pratique auprès des femmes ayant vécu une agression à caractère sexuel, particulièrement pour les groupes de femmes qui sont davantage ciblés par ces violences. Par exemple, il était attendu que les intervenantes reconnaissent toutes la nécessité de prendre en compte la pluralité des expériences d’agressions à caractère sexuel des femmes dans leurs interventions et que leurs organisations auraient développé des pratiques et des approches novatrices et spécifiques auprès de certaines populations. Comme nous l’avons vu dans les

chapitres précédents, il a été reproché au mouvement féministe québécois de ne pas suffisamment prendre cette diversité en compte (Pagé, 2014; Pagé et Pires, 2015). Malgré des efforts louables, les principes fondateurs des cadres théoriques ont été très peu nommés de manière directe par les participantes ce qui étonne compte tenu de leur grande influence dans les théories associées au champ de l’intervention sociale. On perçoit chez plusieurs participantes que ces théories et principes ont du mal à être entièrement actualisés sur le terrain dans un contexte d’intervention clinique ce qui, d’une certaine manière, insiste sur la pertinence scientifique et clinique du sujet de ce mémoire de maîtrise. Quelques participantes ont mentionné le mot « oppression » sans qu’aucune ne nomme la pratique anti-oppressive ou la perspective anti-oppressive (ou un autre synonyme) comme un mécanisme intéressant pour respecter la dignité des survivantes. De la même manière, il est intéressant de noter que très peu d’intervenantes ont nommé le mot « féministe » de manière explicite, et ce, même si la vaste majorité d’entre elles travaillent avec des femmes victimes de violences dans des organismes qui disent pourtant adopter une posture féministe. C’est encore moins le cas pour le mot « intersectionnel » qui n’a été mentionné dans aucune des entrevues.

Les participantes ont pourtant nommé, de manière indirecte le plus souvent, de nombreux éléments et principes qui appartiennent à l’intervention féministe et à l’intervention féministe intersectionnelle. Corbeil (1983) nomme quatre composantes de l’intervention féministe : 1) reconnaître l’influence des structures et des institutions sociales inégalitaires dans la vie des femmes, d’où le leitmotiv le privé est politique ; 2) croire au potentiel des femmes et mettre en exergue leurs expériences ; 3) établir des relations égalitaires entre l’aidée et l’aidante et 4) s’engager personnellement en vue d’un vaste changement social. Les participantes ont notamment parlé de mettre en lumière la dignité intrinsèque des femmes ayant vécu une agression sexuelle et de les croire pour accorder de la valeur à leurs expériences et à leur potentiel. Elles ont aussi parlé de la nécessité pour l’État d’agir et d’intervenir pour prévenir et contrer ce fléau (notamment par de la formation et de la sensibilisation) ce qui correspond avec l’idée de mettre en branle un vaste changement sociétal. Elles ont aussi traité de la notion des rapports de pouvoir entre professionnels et survivantes, mais le plus souvent, dans d’autres contextes d’intervention que le leur.

Outre l’intervention féministe, l’intervention féministe intersectionnelle qui a été choisie pour ce mémoire, bonifie les principes fondateurs étayés par Corbeil (1983) en prenant en

notamment en reconnaissant la pluralité des réalités des femmes (Corbeil et Marchand, 2006; 2007). Mis à part la question numéro 5 du guide d’entrevue qui portait spécifiquement sur la question de la pluralité des expériences des femmes, l’intersectionnalité ou des éléments qui pouvaient s’y rapporter n’a pas émergé naturellement dans la vaste majorité des entretiens. Les participantes abordaient la réalité de femmes davantage marginalisées (par ex. autochtones, femmes trans, vivant en région, etc.) lorsque la question 5 leur a été posée directement. Cela ne sortait pas spontanément dans leur discours préalablement à cette question et elles avaient tendance à parler des femmes de manière générale sans nommer de besoins spécifiques de certains groupes de femmes survivantes. Ainsi, l’idée d’oppressions croisées ou multiples propres à la réalité de certaines femmes n’a pas rejailli très fortement au sein de cet échantillon, particulièrement si ce n’était pas demandé aux participantes.

Enfin, des éléments de la perspective anti-oppressive sont également ressortis implicitement notamment en ce qui a trait au maintien et au renouvellement des compétences par de la formation continue ainsi que par une analyse macrosociétale et critique des difficultés vécues par les femmes (Pullen Sansfaçon, 2013). Néanmoins, cette analyse macrosociétale et critique apparaît s’être principalement limitée à l’oppression vécue par les femmes en général et n’allait pas naturellement plus loin chez les participantes recrutées pour ce projet de recherche.