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CHAPITRE 5 – DISCUSSION

5.1. Analyse et interprétation des résultats

5.1.2. Les composantes d’une intervention digne

La majorité des participantes juge capital de croire les femmes ayant été agressées sexuellement, et ce, en faisant abstraction de possibles aprioris qu’elles peuvent ressentir quant à l’expérience de violence sexuelle décrite par la femme assise devant elles. Aucune n’a nommé la (ou les) raison(s) qui peuvent être identifiées pour expliquer l’émergence de ces apprioris ou doutes quant à la véracité d’un récit d’agression sexuelle, même pour des intervenantes sensibles à cette cause. Dans un tel contexte, il est intéressant de noter qu’aucune des intervenantes n’a nommé statistiquement parlant, que les fausses accusations d’agressions sexuelles sont rares (Weiser, 2017). Il nous est impossible de savoir si cela est un oubli de leur part au cours de l’entretien, si elles ne le savent tout simplement pas ou si les questions n’ont pas permis de faire émerger cet aspect. Une intervenante dit agir de la même façon indépendamment de la véracité de l’agression sexuelle relatée par la victime sans qu’elle nomme de stratégies spécifiques pour ce faire. Il est possible que sans s’en rendre compte,

certaines intervenantes absorbent certains stéréotypes véhiculés socialement sur les femmes ayant été agressées sexuellement.

Les participantes cherchent à miser sur la dignité inhérente aux femmes, voire, à mettre en exergue leurs expériences tout en croyant en le potentiel des survivantes tel que conforme aux principes de l’intervention féministe. Plusieurs ont nommé cette idée d’autodétermination des femmes et du consentement libre et éclairé, particulièrement en matière de consentement à des interventions médicales à la suite de l’agression sexuelle vécue. Bien qu’elles dénoncent des relations de pouvoir inéquitables entre les femmes et divers systèmes que ce soit dans le réseau de la santé et des services sociaux, dans le milieu policier ou encore dans le système de justice, très peu d’intervenantes ont abordé la question de pouvoir inhérent entre elles et les femmes ayant été agressée sexuellement que ce soit en raison de la couleur de la peau, du niveau d’éducation et du statut social, la barrière de la langue, etc. Bien qu’elles aient nommé et reconnu plusieurs enjeux particuliers à certaines communautés dans leurs entretiens, il appert que la majorité des milieux d’intervention où les participantes travaillent ne prennent toujours en compte ces réalités dans les politiques et interventions quotidiennes de manière systématique. Certaines intervenantes prennent en compte ces réalités de manière individuelle et volontaire dans leurs interventions cliniques, sans que cela ne vienne de leur organisation et sans que l’on puisse arriver à savoir si cela est adopté par toutes les intervenant.es qui travaillent au sein de leurs organisations respectives. Pour celles qui ont choisi de prendre certaines réalités en compte notamment avec les femmes trans ou autochtones, on sent néanmoins la difficulté à être confiant et à l’aise dans son intervention auprès de ces populations tout en reconnaissant le besoin pour ces populations d’être également desservies par des ressources en matière d’agressions sexuelles. Il y a reconnaissance que ces populations sont mal desservies. Notamment, cela concorde avec plusieurs cas de femmes trans ayant eu de la difficulté à accéder à des refuges pour femmes au Canada et dont la situation a été médiatisée (Global News, 2019; IHeartRadio, 2017).

Ainsi, nous observons que lorsque les intervenantes de l’échantillon ont une certaine connaissance des oppressions spécifiques que peuvent vivre certaines populations marginalisées, et ce, préalablement à l’intervention, elles se retrouvent d’autant plus sensibilisées aux réalités de ces victimes et adaptent leurs interventions en conséquence. Deuxièmement, lorsqu’elles ne connaissent pas spécifiquement certaines des réalités vécues

plusieurs d’entre elles cherchent à s’éduquer à travers les femmes qui sont assises devant elles en adoptant une posture qu’elles qualifient d’ouverture et de curiosité. Parmi les intervenantes qui adoptent cette stratégie, aucune n’a nommé que cela peut représenter un certain « fardeau » pour la personne survivante qui se retrouve à devoir « éduquer » l’intervenante assise devant elle au lieu de traiter de la raison première pour laquelle elle vient chercher des services. Troisièmement, certaines intervenantes reconnaissent le fait que leur organisation n’est pas adaptée pour répondre aux besoins de certaines catégories de femmes. Parmi ces intervenantes, l’une dit que son organisation n’adopte pas de mesure spécifique face à ce constat. La seconde dit que son organisation a tenté de se rapprocher de certaines communautés marginalisées (par ex. : femmes autochtones), en vain. Cette dernière reconnaît l’expertise d’autres organismes communautaires montréalais qui sont plus habiletés à intervenir auprès de ces populations. Il nous est impossible de savoir si cette reconnaissance de l’expertise d’autres organismes est une manière pour son organisation de se désengager auprès de certaines populations marginalisées. D’un autre côté, cela peut également représenter un souhait que les femmes autochtones reçoivent des services spécifiques à leurs besoins par des gens de leurs communautés, car les services offerts à l’organisme de cette participante sont trop « génériques » ce que la participante reconnaît comme limite au respect de leur dignité. Enfin, une certaine proportion des intervenantes dit ne pas considérer d’emblée ces différences et besoins spécifiques, car elles considèrent que « nous sommes toutes des femmes » et que le simple fait d’adopter une approche d’ouverture et de non-jugement suffira à rejoindre ces femmes davantage marginalisées, et par ricochet, toutes les femmes. Cette dernière posture est une approche « universalisante » en intervention auprès de femmes ayant été agressées sexuellement ce qui est aux antipodes d’une analyse féministe intersectionnelle (Lopez, 2016). On peut se demander si d’autres intervenantes adoptent également une approche universalisante sans le vouloir ou en être consciente, et ce, malgré de bonnes intentions.

Pour ce qui est de la réponse aux besoins affectifs et physiologiques des survivantes d’agressions sexuelles, plusieurs intervenantes ont nommé sortir consciemment et volontairement des cadres normatifs habituels d’intervention en relation d’aide pour être plus chaleureuse et avoir une relation beaucoup moins hiérarchisée entre elles et les survivantes. Cela se traduit principalement par le fait de toucher les femmes (notamment par des câlins) ou encore de s’excuser auprès d’elles lorsque l’intervenante dit ou fait quelque chose par inadvertance qui peut heurter la survivante.