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CHAPITRE 1 – RECENSION DES ÉCRITS

1.3. La dignité humaine

1.3.1. Historique du concept de dignité humaine

Selon le dictionnaire Larousse en ligne (2019), la dignité réfère au « respect que mérite quelqu’un ou quelque chose », « le sentiment qu’a quelqu’un de sa valeur » ou parle d’une « fonction imminente, une distinction honorifique ». Le mot « dignité » découle du latin, soit du terme dignitas qui signifie estime, mérite, considération ou prestige. Il y a plusieurs phases historiques quant au développement et à la compréhension du concept de dignité. En effet, la plus ancienne interprétation du concept s’arrimait avec l’idée de « diginitaires », soit des gens dits de noblesse et qui appartenaient aux plus hautes classes de la société (par ex. : les rois, les ministres ou les docteurs). Dans le même esprit, l’époque romaine concevait la dignité comme étant « une vertu qui n’appartenait qu’aux plus éminents » (Borodina, Kiseleva et Semenova, 2016). Bien que la dignité a été une idée qui a préoccupé de nombreux pays et diverses cultures, sa genèse remonterait principalement aux traditions occidentales et russes (ibid). Après la Révolution française, cette compréhension élitiste de la dignité fut contestée pour faire place à la promotion d’une égalité entre tous les êtres humains aux yeux de la loi, et ce, indépendamment de leur classe ou rang social (Horn et Kerasidou, 2016). Dans le même ordre

d’idées, la religion chrétienne a également stipulé que tous les êtres humains, ayant été créés par Dieu, revêtent donc naturellement d’une certaine forme de dignité et de bonté (Borodina, Kiseleva et Semenova, 2016). Le philosophe Emmanuel Kant (1785) exprime dans Fondements de la métaphysique des mœurs une conception de la dignité comme étant propre à l’Homme en raison de sa capacité de raison et donc de moralité, contrairement aux animaux. L’Homme doit « agir comme nous voudrions que tous agissent » (Sambuc et Le Coz, 2012). Il affirme que « l’Homme n’est pas une chose, il n’est pas un objet qu’on puisse simplement traiter comme un moyen » (Kant, 1785 cité dans Reboul, 1970). Sous-jacente à la capacité de raison se trouve donc l’idée d’autodétermination de l’individu, soit la capacité à prendre des décisions pour soi- même (Pullen Sansfaçon et Cowden, 2012). Afin de déterminer la voie à suivre pour poser une action, trois éléments doivent être considérés selon une conception de la dignité kantienne : 1) les intentions qui se doivent d’être bonnes avant de poser une action ; 2) l’action doit être posée lorsqu’on a le devoir de la poser et 3) elle doit être basée sur la morale (ibid, p. 119).

Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale que la dignité humaine est devenue explicite dans des textes de droit et de chartes de libertés nationales et internationales dans la foulée des atrocités ayant été commises durant cette période de l’Histoire. À titre d’exemple, la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) (ONU, 1948) dans son préambule parle de la « dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine ». Le premier article de la DUDH affirme que « tous les êtres humains naissent égaux en dignité et en droits. » (ibid). La dignité est devenue un incontournable sur laquelle reposent de nombreux textes de chartes de droits humains. Or, la communauté internationale n’a jamais statué de manière concrète sur une définition commune de la dignité humaine ce qui en fait un concept contesté, flou et compris de manière différente selon le contexte culturel (Rodriguez, 2015). Cela n’a pas empêché que la dignité est un terme que l’on retrouve dans plusieurs codes de déontologie et d’éthique en matière de santé et de services sociaux.

1.2.2. La dignité humaine dans le réseau de la santé et des services sociaux

Codes d’éthique et de déontologique des professionnels de la santé et des services sociaux

Bon nombre d’individus se dirigeant vers la profession de travailleur social sont animés d’un désir viscéral d’aider son prochain. Le travail social possède une analyse contextualisée de l’interaction entre la personne et son environnement. En d’autres mots, les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales prennent en compte les dimensions macro, politiques,

sociétales et matérielles qui favorisent l’émergence de difficultés perçues comme étant de prime à bord d’ordre strictement personnel. En ce sens, les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales sont des acteurs clés de changement se devant d’agir en respectant “la dignité et la valeur inhérente des personnes” (ACTS, 2005) et en ayant comme idéal la défense des droits humains et la promotion des principes de justice sociale (Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec – OTSTCFQ, 2018). Les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales ont la responsabilité de combattre l’oppression et la discrimination négative présente à l’endroit de groupes et de populations historiquement marginalisées (Fédération internationale des travailleurs sociaux – FITS, 2018). Il incombe donc à toute personne désirant exercer cette profession de prendre connaissance de ces obligations éthiques aux plans local, national et international. Le concept de dignité vient ainsi sous-tendre la pratique des travailleurs sociaux et des travailleuses sociales, et ce, dans tout contexte d’intervention auprès de toute population ciblée par ses interventions. Cela concerne donc d’emblée les femmes vivant ou ayant vécu de la violence. Plusieurs autres professions ont aussi incorporé le concept de dignité dans leurs codes d’éthique et de déontologie tels que la médecine (Collège des médecins du Québec, 2017) et les soins infirmiers (Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec, 2015).

En raison de la rareté d’écrits sur le concept de dignité en lien avec les agressions à caractère sexuel, la prochaine section abordera le concept de dignité dans le contexte de violence interpersonnelle, notamment dans les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violences conjugales. Ce parallèle est intéressant, car les femmes victimes de violences conjugales peuvent être également victimes de violences sexuelles de manière simultanée (Dubé et Drouin, 2018).

1.2.3. Intervenir avec dignité auprès des femmes victimes de violences conjugales

Toute forme de discrimination, d’exploitation ou de violence porterait atteinte à la dignité humaine. Il est possible d’avancer que cette valeur traverse, implicitement ou explicitement, l’ensemble des écrits féministes. (Côté, 2018)

Une étude qualitative ayant été réalisée au Royaume-Uni en 2018 a porté sur les perspectives d’une vingtaine de survivantes d’agression sexuelle quant à la signification qu’elles donnent à la justice. L’échantillon comprenait des femmes qui ont engagé le système de justice pour les agressions vécues et des femmes ayant choisi de ne pas prendre cette avenue. Pour bon nombre d’entre elles, la justice était associée avec le concept de dignité. Plus

concrètement, cela signifiait d’être reconnue comme être humain à travers le processus judiciaire, ce qui était trop peu le cas selon elles (McGlynn et Westmarland, 2018). En outre, des chercheuses du Québec se sont intéressées à la dignité de manière transversale dans l’étude des violences faites aux femmes selon des méthodologies féministes. C’est le cas de Côté (2018) qui a publié un ouvrage québécois portant sur l’histoire des pratiques en maison d’hébergement pour femmes victimes de violences conjugales. Un chapitre entier (p.40-51) est consacré à la résonnance du concept de dignité en contexte d’intervention auprès des femmes fuyant la violence conjugale. Dans ce contexte, le respect de la dignité rime avec l’offre d’un endroit convivial, intime et chaleureux pour les femmes hébergées dans ces refuges. De plus, intervenir avec dignité signifie écouter, accueillir et soutenir ces femmes. Le chapitre se clôt en énonçant des inquiétudes sur le fait que les interventions cliniques et individualisantes font de l’ombre à une analyse politique des violences conjugales (et des problématiques sociales en général, de manière plus large). L’auteure nomme la nécessité de lutter contre les discours médicaux et psychiatriques qui reviennent en force dans l’espace public et auxquels les milieux d’intervention ne sont pas imperméables. De la vigilance est alors de mise (p.51). Constituant une entrave à leur dignité, ces discours pathologisent les victimes de violences conjugales les tiennent ainsi responsables de ces violences (ibid).

1.2.4. Les conséquences du non-respect de la dignité humaine

Dans le contexte énoncé plus haut, le non-respect de la dignité inhérente à chaque être humain entraine chez les femmes ayant été agressées sexuellement ou ayant vécu d’autres types de violences, la dignité est rattachée au fait d’éviter la victimisation secondaire, soit le fait de blâmer les victimes pour la violence vécue – ou de ne pas les croire – lorsqu’elles naviguent à travers les systèmes d’assistances formels. Ultimement, la victimisation secondaire peut aggraver le trauma vécu par les survivantes de violences ainsi que de freiner leur rétablissement (Campbell, 2005; Campbell et coll, 2001; Campbell et Raja, 1999; Dworkin et Schumacher, 2018). De plus, la victimisation secondaire peut donner l’impression aux femmes ayant été agressées sexuellement de revivre l’agression vécue (Campbell et coll., 2001). Ainsi, des liens importants peuvent être effectués entre non-respect de la dignité et les barrières précédemment nommées lorsque les survivantes décident de dévoiler ou de dénoncer l’agression sexuelle vécue.

1.4. Agressions sexuelles, dévoilement et dignité: pertinence de l’étude, objectifs et