• Aucun résultat trouvé

C – L’inscription des « faits religieux » dans les instructions officielles

4. La création de savoirs intermédiaires pour l’école élémentaire

Il nous faut également évoquer la création en 2008 par l’IESR, en partenariat avec la Documentation française, de savoirs intermédiaires pour les cycles 2 et 3 de l’école élémentaire, avec la création de la collection Les Récits primordiaux220 :

« Chaque ouvrage de cette collection propose, autour d’un thème ou d’un personnage, six récits, ou ensemble de récits, réécrits et adaptés par des spécialistes, universitaires et enseignants, pour être racontés aux enfants […] Chacun de ces récits est encadré par un préambule qui le replace dans son contexte historique, mentionne ses sources, précise les langues originelles, et par des clés de lectures pour explorer plus avant sa signification et confronter les traditions. […] En fin d’ouvrage des pistes pédagogiques sont proposées aux enseignants par des enseignants pour exploiter ces récits en classe. »221

                                                                                                               

218  Ibid.   219  Ibid.

220  Cette collection a été conçue à l’initiative de l’Institut européen en sciences des religions (IESR)

(sous la direction de Dominique Borne) en collaboration avec la Documentation française. Elle n’est plus éditée depuis 2013.  

221  Extrait de la présentation de la collection Les Récits primordiaux, IESR et La Documentation

Entre 2008 et 2013, dix ouvrages ont vu le jour dans cette collection222. Cette étape est importante dans le processus d’élaboration de cet enseignement à l’école élémentaire, d’une part parce qu’elle intervient juste après l’édiction de savoirs institutionnels de référence en la matière avec l’entrée en vigueur du socle commun, et d’autre part parce que ces ouvrages constituent des outils pédagogiques qui sont le fruit de la rencontre entre les savoirs savants de références - l’IESR étant une composante de l’EPHE, il commande chaque ouvrage à un ou plusieurs spécialistes universitaires du thème ou du personnage abordé -, et les savoirs intermédiaires, puisqu’il s’agit d’ouvrages de vulgarisation qui proposent des approches pédagogiques conçues « par des enseignants pour des enseignants ». Bien qu’ils ne soient plus édités aujourd’hui, ils constituent un facteur de prise en charge par les professeurs des écoles de l’enseignement des faits religieux, qui continuent de l’utiliser223.

Cet intérêt pour l’enseignement des faits religieux à l’école élémentaire se manifeste une nouvelle fois dans le cadre d’un séminaire national de formation « Enseigner les faits religieux dix ans après le rapport Debray »224, organisé les 20 et 21 mars 2011 par la Direction

générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), l’IESR et l’Inspection générale de l’Éducation nationale, notamment au travers de deux interventions : l’allocution d’ouverture par le directeur de la Dgesco, Jean-Michel Blanquer, puis l’intervention de Philippe Claus, inspecteur général de l'éducation nationale, doyen du groupe enseignement primaire. Ainsi, tandis que le directeur de la Dgesco rappelle que « depuis 2002, l’enseignement des faits religieux est inscrit au cœur de la polyvalence dans le primaire »225, Philippe Claus réaffirme                                                                                                                

222  Récits de création (Khashayar Azmoudeh, Cécile Becker, Maud Lasseur et al. 2008) ; Déesses de

l'Olympe (Caroline Plichon, 2009) ; Abraham (Laurent Klein, 2009) ; Ulysse (Marella Nappi,

2009) ; Récits de la mort et de l’au-delà (Marie-Charlotte Arnauld, Maud Lasseur, Évelyne martini et al., 2010) ; Jésus (Dominique Borne, Anna Van Den Kerchove, 2010) ; Muhammad (Annliese Nef et Vanessa Van Renterghem, 2011) ; Héraclès (Caroline Plichon, 2012); Fondation de villes (Christophe BADEL, 2012) ; Orphée (Anne ZALI, 2013).

223  Dans la deuxième partie de ce travail nous étudierons l’utilisation par un professeur des écoles de

l’ouvrage les Récits de création dans une classe de CP-CE1 (cycle 2) sur l’année scolaire 2014-2015. Nombreux sont les travaux de recherche qui ont montré que l’un des facteurs essentiels de l’évolution de la culture professionnelle et des pratiques didactiques des enseignants est la production de manuels scolaires et d’outils pédagogiques.

224  Ministère de l’Éducation nationale, séminaire national de formation « Enseigner les faits

religieux dix ans après le rapport Debray », les 20 et 21 mars 2011, URL : http://eduscol.education.fr/cid56291/enseigner-les-faits-religieux-seminaire-2011.html#lien0, [page consultée le 4 août 2018].

225  Jean-Michel Blanquer, directeur de la Dgesco, allocution d’ouverture du séminaire national de

formation « Enseigner les faits religieux dix ans après le rapport Debray », les 20 et 21 mars 2011, URL : http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Formation_continue_enseignants/18/3/02-

l’inscription explicite de l’enseignement des faits religieux dans plusieurs compétences du socle commun, faisant de celui-ci un objet d’enseignement dès le plus jeune âge (tous les niveaux de l’école primaire étant alors concernés) et après avoir présenté les approches les plus adaptées, pour ce faire, selon les cycles de l’école primaire (cycle 1, 2 et 3), il insiste sur le rôle de l’inspection générale, de l’administration centrale et des corps intermédiaires pour inciter les professeurs des écoles à s’emparer de cet enseignement et les rassurer :

« Il faut convaincre les enseignants polyvalents d’utiliser au mieux la latitude donnée par les programmes qui globalisent le temps consacré à la culture humaniste pour construire des projets globaux autour de faits religieux. […] Il convient de souligner qu’à l’école primaire, les liens encore confiants avec les familles facilitent une première approche des faits religieux dans un climat plus apaisé qu’au collège. La découverte de l’altérité prend ici tout son sens. »226

Nous voyons bien jusqu’ici que la non généralisation et systématisation de l’enseignement des faits religieux à l’école élémentaire ne tient plus seulement à un besoin d’orientation politique et institutionnel en la matière – les prescriptions existent et sont réitérées bien que l’accent soit plutôt mis sur le secondaire – mais qu’un travail doit être mené, notamment par les corps intermédiaires, pour « convaincre », comme le dit le doyen Claus, les professeurs des écoles de la nécessité de prendre en charge cet enseignement.

Une autre illustration de l’intérêt pour le premier degré, mais de la part du politique cette fois- ci, est donnée par la circulaire du 25 août 2011227, dans laquelle le ministre de l’Éducation nationale Luc Chatel228 évoque brièvement l’enseignement des faits religieux, mais dans le cadre de l’instruction civique et morale, et c’est peut-être là une inflexion nouvelle. Il nous faut néanmoins remarquer que la nature socialement vive229 de cet enseignement apparaît en ce que la circulaire dit moins ce qu’il devrait être que ce qu’il ne doit pas être :

                                                                                                               

226 Philippe Claus, inspecteur général de l'éducation nationale, doyen du groupe enseignement

primaire, intervention lors de la table ronde « les faits religieux à l’école », dans le séminaire national de formation « Enseigner les faits religieux dix ans après le rapport Debray », les 20 et 21 mars 2011, URL : http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Formation_continue_enseignants/18/3/02-

OuvertureMotDgesco_183183.pdf, [page consultée le 4 août 2018].

227  Ministère de l’Éducation nationale, circulaire n° 2011-131 du 25 août 2011, publiée au Bulletin

Officiel n°31 du 1er septembre 2011.

228  Nommé le 23 juin 2009.    

229  Voir Alain Legardez, « Enseigner des questions socialement vives – Quelques points de repères »,

« L'instruction civique et morale constitue un enseignement à part entière, comme le prévoient les programmes de l'école primaire230. […] Il s'agit avant tout d'aider chaque élève à édifier et renforcer sa conscience morale dans des situations concrètes et en référence aux valeurs communes à tout “ honnête homme ” […] Au-delà, au cycle des approfondissements, le maître doit rendre progressivement compréhensibles les grands principes de l'action morale. Dès lors, c'est l'exercice du jugement moral, portant sur le bien et le mal, qu'il s'agit de consolider, par l'examen de situations concrètes et variées qui peuvent être liées à des maximes morales. Sur ces questions, bien évidemment, le professeur ne saurait envisager de se substituer à la famille, encore moins d'imposer ses propres valeurs. Les principes de neutralité et de laïcité s'appliqueront avec vigilance à ce propos, notamment dans les domaines politique et religieux. La connaissance du fait religieux, en particulier, n'implique aucun débat relatif aux obligations religieuses ni aux questions liées à la foi. Aussi, lors de séances pédagogiques, lorsqu'on abordera les jugements moraux, lorsqu'on tentera de se confronter à un dilemme, reviendra-t-il au maître de s'appuyer sur une argumentation rationnelle et une expression aussi respectueuse que possible de la conscience de chacun. Cette attitude, empreinte de sagesse et de prudence, doit, à l'égard de ses élèves, revêtir un caractère d'exemplarité : on sait en effet que, chez l'enfant, les sentiments et les comportements se réfèrent souvent aux exigences du maître. Il revient donc à ce dernier, par sa manière d'être et de s'exprimer, d'exercer en toutes circonstances cette influence formatrice. »231

Par l’idée d’inflexion nouvelle, nous voulons souligner que la mention de l’enseignement des faits religieux dans l’instruction civique et morale constitue une rupture au sein de cette deuxième période (1989-2015) dont nous avons vu que jusque-là les programmes d’éducation civique n’y faisait pas référence, si ce n’est peut-être implicitement par la référence nécessaire à « la diversité culturelle » qui n’était, par ailleurs, pas définie plus précisément. Cependant, cette affirmation du ministre s’inscrit sans nul doute dans la continuité de la IIIe République, en faisant largement écho à un fameux passage de La Lettre de Jules Ferry aux instituteurs du 27 novembre 1883232, dans laquelle ce dernier enjoignait déjà les instituteurs à fonder l’instruction morale sur l’apprentissage de préceptes et de maximes morales fondés sur la raison universelle, à ne pas heurter les croyances des familles et, pour se faire, à s’adresser à « l’honnête homme » que mentionne également la circulaire de Luc Chatel.

Enfin, si nous avons montré que l’enseignement des faits religieux constitue une politique publique qui se construit sous le sceau de la continuité et dans une perspective qui tend à lui                                                                                                                

230  Arrêté du 9 juin 2008, Bulletin officiel de l'Éducation nationale, hors série n° 3 du 19 juin 2008. 231  Ministère de l’Éducation nationale, circulaire n° 2011-131 du 25 août 2011, publiée au Bulletin

Officiel n°31 du 1er septembre 2011.  

232  Lettre du ministre de l’Instruction publique aux instituteurs, en date du 17 novembre 1883, in

Discours et Opinions de Jules Ferry, publiés avec commentaires et notes de Paul Robiquet, Paris,

Armand Colin, 1893, Tome IV, p. 259-67.

conférer une finalité non plus seulement patrimoniale mais également citoyenne, notamment dans son articulation à une meilleure compréhension de la laïcité, nous verrons qu’à partir de 2011 une inflexion s’opère. En effet, on assiste à l’avènement de la « pédagogie de la laïcité », caractérisé par deux dynamiques successives. Un premier temps de la « pédagogie de la laïcité » semble constituer une occasion de pérenniser la promotion de l’enseignement des faits religieux, tandis que dans un second temps - à partir des attentats de janvier 2015 -, l’éducation à la laïcité devenant une priorité dans les discours politiques et les instructions officielles, elle tend à diminuer légèrement la visibilité de l’enseignement des faits religieux.

Nous étudierons dans une dernière section cette première dynamique, avant d’analyser dans le dernier chapitre de cette partie, la période qui voit tout à la fois l’aboutissement de productions institutionnelles et pédagogiques sur l’enseignement des faits religieux, et son relatif effacement dans les discours politiques.

Outline

Documents relatifs