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L’engagement du politique – Enseigner les faits religieux pour « faire vivre la laïcité »

B – Premier séminaire national de formation sur l’enseignement des faits religieux (novembre 2002)

1. L’engagement du politique – Enseigner les faits religieux pour « faire vivre la laïcité »

Dès novembre 2002, l’expression « fait religieux » est reprise dans le cadre du premier « Séminaire national sur l’enseignement du fait religieux » 134 dont l’allocution d’ouverture                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

ici que la construction même du religieux comme objet d’études scientifiques est sujette à discussions et débats au sein même de la communauté scientifique. Les limites de l’objectivation du religieux constituent, pour certains chercheurs, une aporie synonyme d’impasse pour la rationalité scientifique. Pour une histoire plus complète concernant les questions et les définitions de l’expression, se référer au chapitre 2 - rédigé par Jean-Paul Willaime – de l’ouvrage dirigé par Dominique Borne, Jean-Paul Willaime, Enseigner les faits religieux, quels enjeux ?, op. cit., chapitre 2, p. 37 à 57.

134  Ministère de l’Éducation nationale, « Séminaire “ l'Enseignement du fait religieux ”,

http://eduscol.education.fr/cid46367/l-enseignement-fait-religieux-7-novembre-2002.html [page consultée le 26 juillet 2018] : « Dans le cadre du Programme national de pilotage, un séminaire national interdisciplinaire s'est tenu sur “l'Enseignement du fait religieux”. Ce séminaire concrétisait une des recommandations du rapport remis par Régis Debray au ministre. C'est ainsi qu'ont été réunis des chercheurs réputés et des spécialistes de divers domaines (histoire des religions, histoire de l'art, sociologie, sciences politiques) et des cadres de l'Éducation nationale. Tous ont travaillé dans une optique délibérément pluridisciplinaire. Ils sont intervenus sur des questions tout aussi fondamentales que délicates, avec le constant souci de se placer dans le cadre de la laïcité républicaine. Au terme de ces journées, les acquis ont été redéfinis et l'avenir de l'enseignement du fait religieux esquissé. Ces

revient au ministre délégué à l’Enseignement scolaire, Xavier Darcos, qui débute son discours par la lecture d’un message du Président de la République, Jacques Chirac, attestant d’un engagement fort du politique dans la promotion de cette politique publique d’enseignement :

« La laïcité est un des principes fondateurs de notre démocratie. Quel sens, quel contenu lui donnons-nous ? Comment l'école de la République doit-elle concevoir son enseignement pour faire vivre la laïcité dans la société française d'aujourd'hui et de demain ? C'est la question à laquelle vous avez entrepris de répondre en organisant, sur la base du rapport remis par Régis Debray, ce séminaire national sur l'enseignement du fait religieux. Je suis heureux de m'associer à ces travaux et d'en saluer les participants. Dans le monde d'aujourd'hui, la tolérance et la laïcité ne peuvent pas trouver de bases plus solides que la connaissance et le respect de l'autre, car c'est du repli sur soi et de l'ignorance que se nourrissent les préjugés et les communautarismes. Renforcer la connaissance des religions, améliorer l'enseignement du fait religieux dans l'ensemble des matières concernées au collège et au lycée, suivre ses manifestations dans l'histoire, dans les arts, dans la culture de chacun, tout cela confortera l'esprit de tolérance chez nos jeunes concitoyens, en leur donnant les moyens de mieux se respecter les uns les autres. »135

Relevons que dans son message, le Président de la République établit une articulation explicite entre l’enseignement des faits religieux et la vitalité de la laïcité : il semble qu’on trouve dans ce discours la première occurrence de l’expression « faire vivre la laïcité », dont la postérité ne sera pas démentie. Cette expression témoigne-t-elle simplement de sa volonté de transposer en des termes qui seraient plus accessibles à tout un chacun l’expression « laïcité d’intelligence » employée par Régis Debray ? Ou bien constitue-t-elle une orientation politique en vue d’infléchir le poids de la dimension civique et citoyenne associée à l’enseignement des faits religieux ? Si nous sommes tentée d’entrevoir dans cette deuxième option une réalité, il nous faut néanmoins, noter que la tonalité donnée par Xavier Darcos à son allocution pourrait rendre cette hypothèse difficile à étayer. En effet, tout au long de son discours, le ministre délégué à l’Enseignement scolaire insistera, d’une part, sur les finalités patrimoniales de l’enseignement des faits religieux, et exclusivement sur elles, et d’autre part, s’il évoque la nature laïque de la démarche que recouvre cet enseignement, la compréhension, voire l’adhésion à la laïcité ne semble cependant pas constituer pour lui une finalité mais, une                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

Actes [publiés par la direction de l'Enseignement scolaire en collaboration avec le CRDP de Versailles dans la collection Les Actes de la DESCO] permettront à tous les acteurs concernés d'enrichir leur réflexion sur cette question très importante. Ils les aideront également à construire une pédagogie concrète au sein des disciplines déjà constituées. »

135  Message adressé par le Président de la République, Jacques Chirac, en ouverture de l’allocution de

Xavier Darcos, ministre délégué à l’Enseignement scolaire, à l’occasion du premier séminaire national sur « L’enseignement du fait religieux », les 5,6 et 7 novembre 2002.    

fois encore, uniquement un cadre à respecter et un principe qui doit guider les enseignements :

« S'agissant des finalités de l'enseignement du fait religieux, je crois que, depuis les premières interrogations sur ce sujet, à la fin des années 1980, un réel consensus s'est peu à peu établi. […] Lors de la consultation de 1998, les lycéens eux-mêmes ont émis le vœu de recevoir un enseignement qui leur permette de mieux s'approprier le monde qui était là avant eux et dans lequel ils traceront leur chemin. Face à ces demandes, la politique de notre ministère a été constante, indépendamment des changements politiques. […] Comment y parvenir ? Il va de soi que notre démarche est totalement laïque, comme vient de le rappeler fortement le président de la République. »

Là où nous étions tentée d’entrevoir une ambition supplémentaire, lorsque Jacques Chirac affirmait sans détour que l’enseignement des faits religieux pouvait constituer une base solide de la laïcité (et de la tolérance)136, le contenu de l’allocution de Xavier Darcos sème le doute sur la plus juste interprétation à donner à cette dissonance. Si nous ne sommes pas en mesure de soutenir qu’il existe une contradiction épistémologique entre ces deux interventions, à tout le moins pouvons-nous soutenir que la recherche d’un consensus autour des finalités patrimoniales, et des contenus qui en découlent, de l’enseignement des faits religieux est ce qui occupe prioritairement les acteurs réunis dans ce séminaire. Ceci pour dire que la préfiguration du rôle que l’enseignement des faits religieux serait susceptible de jouer dans l’adhésion des élèves à la laïcité en est à ses prémices, comme en atteste l’intervention de Christiane Menasseyre, doyenne du groupe philosophie de l'Inspection générale de l'Éducation nationale qui est intitulée « Laïcité et enseignement du fait religieux ».

Lors de celle-ci, Christiane Menasseyre rappelle d’abord que la laïcité est un principe fondateur de l’école républicaine, puis justifie la légitimité de l’enseignement des faits religieux par la laïcité même de l’école, qui est « solidaire d'une philosophie de la liberté comme émancipation », avant d’aller jusqu’à envisager un enseignement de la laïcité (il nous semble trouver dans ce texte la première occurrence de cette expression) :

« Dernière condition, ou la première de toutes : une affirmation claire de la laïcité, laquelle doit y trouver une nouvelle vigueur. Car cela exige de la laïcité qu'elle soit davantage consciente d'elle-même et qu'on ne la considère pas comme quelque chose de définitivement

                                                                                                               

136  La conjonction de coordination établie par Jaques Chirac entre la tolérance et la laïcité est-elle

l’indice d’une possible confusion entre ces deux notions, ou bien justement que leur mise en relation ne vient pas à nier leur différence de nature ?    

acquis. Montesquieu disait qu'il n'y a de République que s'il y a des républicains. De même, il ne peut y avoir d'école laïque que s'il y a des esprits laïques. Que soient ainsi toujours présents une attention à la laïcité et même, un enseignement de la laïcité, dans son histoire et sa portée, selon ses exigences mêmes et ses principes, les mêmes que ceux énoncés ci-dessus : liberté de conscience et égalité de tous, stricte séparation du public et du privé137. Et l'on peut formuler

quelques pistes de travail : inviter à la vigilance sur les mots et les concepts ; associer au savoir historique sur les faits religieux (ceux des trois grands monothéismes mais aussi ceux des religions mortes, et des religions sans dieu, bien instructives pour comprendre le phénomène religieux) un travail d'ordre non seulement sociologique mais aussi philosophique ; inscrire une réflexion sur la laïcité et l'école et sur leurs histoires respectives, indissociablement liées. »138

Pourtant, à aucun moment l’enseignement des faits religieux n’est présenté comme une composante de l’enseignement de la laïcité qu’elle appelle de ses vœux . Néanmoins, les questionnements autour de cette articulation entre l’enseignement des faits religieux et la laïcité de l’école, toujours conçue comme principe encadrant la vie scolaire et organisant les méthodes et les contenus d’enseignement, sont bien à l’œuvre dans ce premier séminaire                                                                                                                

137 Cette dernière affirmation nous invite à mettre en évidence que la représentation de la laïcité ici

convoquée tend à s’inscrire dans un modèle de compréhension exclusiviste de la notion, tel que Philippe Portier le décrit. En effet, Christiane Menasseyre insiste à plusieurs reprises sur le fait que la laïcité se fonde sur une « stricte séparation du public et du privé », bien qu’elle la considère comme un moyen - et non une fin en soi - de la loi de Séparation de 1905. Sur ce sujet, voir Philippe Portier,

L’État et les religions en France - Une sociologie historique de la laïcité, op. cit., p. 7 à 10 : « Ces

dernières années, la religion a fait retour. […]. Ce retour qui a démenti le pronostic d’une sécularisation linéaire du monde occidental a eu son corrélat : il a nourri une réflexion renouvelée sur la laïcité. […] À grands traits, on peut repérer en son sein deux grands schémas dominants de compréhension de la laïcité, exclusiviste et inclusiviste. […] Les défenseurs de la position restrictive [exclusiviste] en décrivent le mode de fonctionnement à partir de deux principes. Le principe d’égalisation des conditions, en premier lieu : dans le modèle français, l’État surplombe toutes les croyances et toutes les convictions, en refusant de les distinguer juridiquement, et donc de privilégier l’une d’entre elles. […] Le principe de privatisation des religions, en second lieu : dans le système hexagonal, la législation institue une séparation stricte des Églises et de l’État, dont le corrélat est de reléguer “ les organisations et les convictions religieuses […] dans la vie privée ou la société civile ” […] à distance de l’espace public d’État. […] L’approche inclusiviste de la laïcité […] nous renvoie ici, non point au modèle français de régulation de la croyance, mais plus globalement, au modèle

moderne de relation du politique et du religieux, dans lequel peuvent se retrouver, au fond, toutes les

expériences occidentales de gestion du croire : la laïcité désigne “un aménagement du politique en vertu duquel la liberté de conscience et de religion se trouve garantie aux citoyens par un État neutre à l’égard des différentes conceptions de la vie qui coexistent dans la société, et ce, conformément à une volonté d’égale justice pour tous. ” […] La définition articule deux éléments, étroitement unis. D’une part, au titre de fin, le principe de liberté de conscience. […] D’autre part, au titre de moyen, le principe de neutralité du politique. » Voir également les réflexions de Philippe Foray sur l’école comme espace intermédiaire, in La laïcité scolaire, autonomie individuelle et apprentissage du monde

commun, op. cit., p. 56.

138  Intervention de Christiane Menasseyre, doyenne du groupe philosophie de l'Inspection générale de

l'Éducation nationale sur « Laïcité et enseignement du fait religieux » dans le séminaire national sur l'enseignement du fait religieux, du 5 au 7 novembre 2002, URL : http://eduscol.education.fr/cid46337/laicite-et-enseignement-du-fait-religieux.html [page consultée le 26 juillet 2018].

national. Cela permet de souligner, une fois encore, le sceau de la continuité qui caractérise le rapport de Philippe Joutard et celui de Régis Debray. Souvenons-nous dans ce premier rapport du projet d’instaurer un module de formation intitulée « Laïcité et diversité spirituelle ». Régis Debray redouble cette proposition qui n’avait jamais été réalisée en recommandant la mise en place d’un module obligatoire, dans le cadre de la formation initiale des enseignants, qui s’intitulerait « philosophie de la laïcité et enseignement du fait religieux »139. Si aucune de ces recommandations ne sera effectivement mise en œuvre dans les structures de formation initiale (IUFM puis ESPE à partir de 2013), la tenue de ce premier séminaire national interdisciplinaire, inscrit au plan national de formation140, constitue une nouveauté importante dans l’histoire de l’enseignement des faits religieux.

Enfin, si les rapports Joutard et Debray ont en commun de ne pas s’intéresser à la question de l’enseignement des faits religieux à l’école élémentaire – ou uniquement de façon indirecte via la formation des enseignants dont les professeurs des écoles – ce séminaire national accorde une place à ce champ, en invitant à intervenir, lors de la table ronde, Martine Safra, inspectrice générale du groupe « enseignement primaire »141.

 

                                                                                                               

139  Régis Debray, L’enseignement du faits religieux dans l’école laïque, op. cit., p. 50-51.

140  Un plan national de formation est destiné aux cadres de l’Éducation nationale et a vocation à être

repris et décliné dans les plans académiques de formation. D’ailleurs, dès janvier 2003, un séminaire de formation académique intitulé « laïcité et faits religieux aujourd’hui » s’est déroulé sur cinq jours. Il a été organisé par le rectorat de l’académie de Versailles, en partenariat avec l’IUFM de Versailles et l’IESR. Il a été ouvert par deux conférences inaugurales, l’une réalisée par le ministre de l’Éducation nationale, Luc Ferry et la seconde par Régis Debray.

141  Ministère de l’Éducation nationale, « Mission et organisation de l'inspection générale de

l'éducation nationale », URL : http://www.education.gouv.fr/pid34309/mission-et-organisation-de-l- inspection-generale-de-l-education-nationale.html#enseignement_primaire, [page consultée le 27 juillet 2018] : « L’inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) est un corps placé sous l’autorité directe du ministre de l’Éducation nationale. Composée de 14 groupes disciplinaires et de spécialité, elle assure une mission permanente de contrôle, d'étude, d'information, de conseil et d'évaluation. [Elle] a pour mission d’évaluer : les types de formation ; les contenus d’enseignement ; les programmes ; les méthodes pédagogiques ; les procédures ; les moyens mis en œuvre » Parmi, ces groupes, et c’est toujours le cas actuellement, l’un d’eux est spécialisé sur l’enseignement primaire.

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