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La loi du 15 mars 2004 et sa circulaire d’application : neutralisation de la visibilité du religieux et réaffirmation de l’importance de l’enseignement des faits religieu

C – L’inscription des « faits religieux » dans les instructions officielles

1. La loi du 15 mars 2004 et sa circulaire d’application : neutralisation de la visibilité du religieux et réaffirmation de l’importance de l’enseignement des faits religieu

Cette loi - encadrant en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics188- dans

son effort affiché de lutter contre le prosélytisme religieux189 et contre les revendications                                                                                                                

186  Notons néanmoins qu’il n’évoque cet enseignement que pour le secondaire, sauf à lire dans la

dernière partie de l’extrait qui suit une référence implicite à l’inscription de l’histoire des religions dans l’enseignement de l’histoire à l’école primaire. Rapport de la Commission de réflexion sur

l’application du principe de laïcité dans la République remis le 11 décembre 2003 au Président de la

République, p.39 : « Enfin, l'enseignement du fait religieux, comme de l'ensemble des humanités, n'est pas absent des apprentissages scolaires selon les nouvelles orientations des programmes de français et d'histoire, pour les classes de 6e, 5e, 2de et 1re. Il faut par ailleurs rappeler que, depuis la IIIème

République, les grandes questions relatives aux religions antiques, médiévales et modernes ont toujours figuré dans les programmes. »

187  Dans une sous-section du rapport, intitulée « Réapprendre la laïcité », il nous semble pouvoir

déceler une préfiguration de l’enseignement des faits religieux comme une composante d’une éducation à la laïcité, dont atteste également la proposition concernant l’institution de deux modules de formations sur ces thèmes - qui reprennent les propositions du rapport de Régis Debray et ne seront pas effectivement mis en œuvre, du moins systématiquement à l’échelle nationale -, Rapport de la

Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République remis le 11

décembre 2003 au Président de la République, p.51 : « Le premier lieu d’apprentissage des valeurs républicaines est et doit rester l’école : enseignants comme élèves gagneront à approfondir le principe de laïcité. La commission se félicite de la création, dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), de deux modules d’enseignement, l’un sur la philosophie de la laïcité et les valeurs de la République, l’autre sur l’enseignement du fait religieux et la déontologie laïque. Ces modules doivent être généralisés. […] En tant que principe fondateur de l’école, la laïcité est un thème majeur de l’éducation. »

188  Loi n°2004-228 publiée au Journal Officiel n°65 du 17 mars 2004.

189  La loi du 15 mars 2004 ne reprend pas à son compte l’interdiction des tenues ou signes manifestant

une appartenance politique - proposée par la commission Stasi -, et ce faisant marque bien sa volonté de lutter non pas contre le prosélytisme en général, mais bien contre la visibilité du religieux en particulier. Notons néanmoins que le prosélytisme en matière politique est déjà encadré à l’école par une circulaire de Jean Zay, du 31 décembre 1936, sur l'absence d'agitation politique dans les établissements scolaires. Sur ce point, voir l’article d’Olivier  Loubes, « L'interdiction des propagandes politique et confessionnelle dans les établissements scolaires. Deux circulaires de Jean Zay en 1936 et 1937 »,  Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. no  81, no. 1, 2004, pp. 131-136.

communautaires via la neutralisation de la visibilité du religieux dans l’espace scolaire, a suscité de nombreuses réactions et polémiques. Certains commentateurs y ont vu une instrumentalisation voire une déformation de la laïcité. Il ne s’agit pas de revenir sur les termes de la discussion ici, mais de souligner que cette loi a conduit à de nombreuses confusions parmi le grand public et au sein du corps enseignant. En ce sens, nous rejoignons l’analyse de Mireille Estivalèzes qui suggère que les débats autour de cette loi et plus largement autour du port du voile islamique ont freiné le dynamisme de l’enseignement des faits religieux190. En effet, certains y ont lu l’interdiction de parler de religion à l’école - dans la vie scolaire comme dans les enseignements.

Néanmoins, on pourrait regretter qu’elle ait largement éclipsé sa circulaire d’application, du 18 mai 2004191, qui promeut parallèlement à l’application de la loi, la mise en œuvre de l’enseignement des faits religieux :

« Parce que l’intolérance et les préjugés se nourrissent de l’ignorance, la laïcité suppose également une meilleure connaissance réciproque y compris en matière de religion. À cet égard, les enseignements dispensés peuvent tous contribuer à consolider les assises d’une telle connaissance. De même, les activités de “vivre ensemble” à l’école primaire, l’éducation civique au collège ou l’éducation civique, juridique et sociale au lycée constituent des moments privilégiés pour faire progresser la tolérance et le respect de l’autre. Plus spécifiquement, les faits religieux, notamment quand ils sont des éléments explicites des programmes, comme c’est le cas en français et en histoire, doivent être utilisés au mieux dans les enseignements pour apporter aux élèves les éléments de culture indispensables à la compréhension du monde contemporain. »192

Le ministre de l’Éducation nationale en poste lors de l’adoption de la loi de 2004 était Luc Ferry, dont nous avions déjà souligné qu’il était en faveur de l’enseignement des faits religieux. À cet égard, la conclusion du discours qu’il a donné, le 4 février 2004, à l’Assemblée nationale, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics est significative193. En effet, s’il                                                                                                                

190  Mireille Estivalèzes, Les religions dans l’enseignement laïque, op. cit., p. 24.  

191  Ministère de l’Éducation nationale, circulaire n°2004-084 du 18 mai 2004, publiée au Journal

Officiel du 22 mai 2004.

192  Ibid.  

193  Luc Ferry, discours à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à l’application du principe de

laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, le 4 février 2004, à l’Assemblée nationale, p. 10 : « Il est clair qu’il faut développer, comme les nouveaux programmes y invitent, un enseignement, bien évidemment non confessionnel, du fait religieux. Car c’est sans doute seulement grâce à une meilleure connaissance de l’histoire des différentes traditions que l’on pourra redonner à

peut sembler paradoxal, de prime abord, de promouvoir l’adoption d’une loi qui tend à « invisibiliser » le religieux dans l’espace scolaire, tout en réaffirmant la place légitime et essentielle que tient l’enseignement des faits religieux dans les enseignements dispensés à l’école publique, la cohérence réside bien dans la finalité non plus uniquement patrimoniale associée à l’enseignement des faits religieux mais bien dans sa finalité citoyenne, et plus exactement dans sa contribution à une éducation à la laïcité. Celui-ci, comme les autres enseignements scolaires, est le lieu d’un apprentissage et d’un exercice de l’esprit critique présupposant nécessairement que les élèves apprennent à mettre à distance leurs propres convictions comme celles qu’ils ne connaissent pas ou qu’ils ne partagent pas194.

Le statut propre à toute circulaire195, fait que celle qui accompagne la loi du 15 mars 2004 ne peut à elle seule constituer la traduction juridique de l’obligation d’enseigner les faits religieux, mais cette dernière suivra de près l’adoption de cette loi et la publication de sa circulaire d’accompagnement puisque l’enseignement des faits religieux sera officiellement inscrit dans le socle commun de connaissances et de compétences prévu par la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005196 portée par le

ministre de l’Éducation nationale, François Fillon197.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

nos élèves le sens du poids des mots et faire mieux comprendre ce que chaque civilisation, par-delà les liens communautaires sur lesquels elle repose du point de vue religieux, a pu aussi apporter de grandiose à l’histoire commune de l’humanité tout entière. »

194    Philippe Foray, La laïcité scolaire, autonomie individuelle et apprentissage du monde commun,

op. cit., p. 90 : « Le but de l’école publique, précisément en tant qu’elle est laïque, n’est pas de

combattre frontalement les convictions des uns et des autres, mais de les respecter. Il réside dans une acquisition d’aptitudes intellectuelles, une transmission de connaissances et une initiation à la réflexion rationnelle, qui doit permettre à chacun de prendre un peu de distance vis-à-vis des convictions qui sont les siennes et à l’arrivée, d’être capable de les assumer, les rejeter ou les modifier un peu plus en connaissance de cause. »

195  URL : http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/administration/action/voies-

moyens-action/qu-est-ce-qu-circulaire.html, [page consultée le 31 juillet 2018] : «  La circulaire est un texte qui permet aux autorités administratives (ministre, recteur, préfet…) d’informer leurs services. Il peut s’agir par exemple de faire passer l’information entre les différents services d’un ministère, ou du ministère vers ses services déconcentrés sur le terrain. Ces circulaires peuvent prendre d’autres noms, par exemple « note de service » ou encore « instruction ». On compte chaque année plus de 10 000 circulaires rédigées au sein des différents ministères. Le plus souvent, la circulaire est prise à l’occasion de la parution d’un texte (loi, décret…) afin de le présenter aux agents qui vont devoir l’appliquer. Mais la circulaire doit se contenter de l’expliquer, et ne peut rien ajouter au texte. »

196  Loi n°2005-380 publiée au Journal Officiel n°96 du 24 avril 2005.     197  Nommé ministre de l’Éducation nationale le 31 mars 2004.

2. La loi du 23 avril 2005 institue le socle commun et rend obligatoire l’enseignement des

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