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D – La consécration de la « pédagogie de la laïcité »

2. La Charte de la laïcité à l’école

Ce relatif effacement de l’enseignement des faits religieux, en conséquence de l’effort de plus en plus soutenu du ministère de l’Éducation nationale en faveur des réflexions et des productions pédagogiques autour de la laïcité, se retrouve dans une certaine mesure dans la Charte de la laïcité à l’école publiée au Bulletin Officiel le 12 septembre 2012 et présentée dans une circulaire d’accompagnement257.

Elle constitue un document à valeur normative et pédagogique qui doit être « affiché de manière à être visible de tous. Les lieux d'accueil et de passage sont à privilégier »258, dont l’objectif primordial est de présenter la laïcité comme un principe avant tout libéral et positif et d’en faire un objet d’enseignement ou d’activités pédagogiques259.

Rappelons qu’elle est tout à la fois l’aboutissement d’une recommandation de la commission Stasi et du travail entamé par Abdennour Bidar comme chargé de mission « pédagogie de la laïcité » au sein de la Dgesco. Elle s’inscrit donc dans la continuité d’une politique d’éducation à la laïcité qui ne cesse d’être explicitée au fil des ans. Mais elle constitue

                                                                                                               

256  Entretien avec Pierre Kahn, du 24 avril 2017. 257  Circulaire n° 2013-144 du 6 septembre 2013.     258  Ibid.    

259  Ibid. : « Elle offre ainsi un support privilégié pour enseigner, faire partager et faire respecter ces

principes et ces valeurs, mission confiée à l'École par la Nation. […] La laïcité souffre trop souvent de méconnaissance ou d'incompréhension. Ce texte permet d'en comprendre l'importance, comme garante à la fois des libertés individuelles et des valeurs communes d'une société qui dépasse et intègre ses différences pour construire ensemble son avenir. La laïcité doit être comprise comme une valeur positive d'émancipation et non pas comme une contrainte qui viendrait limiter les libertés individuelles. Elle n'est jamais dirigée contre des individus ou des religions, mais elle garantit l'égal traitement de tous les élèves et l'égale dignité de tous les citoyens. Elle est l'une des conditions essentielles du respect mutuel et de la fraternité. […] Dans toutes les écoles et tous les établissements scolaires, ces dispositions doivent être accompagnées par une pédagogie de la laïcité et des autres principes et valeurs de la République, qui s'appuie notamment sur la Charte de la laïcité à l'École et qui permette à la communauté éducative de se les approprier. »

également la deuxième traduction pédagogique260 de ces multiples orientations politiques et de leurs traductions institutionnelles. Si elle ne mentionne pas l’enseignement des faits religieux, elle ne l’exclut pas non plus, puisque son article 12, indique qu’ « afin de garantir aux élèves l'ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu'à l'étendue et à la précision des savoirs, aucun sujet n'est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique ». 261

Un mois après la publication de cette charte, lors de l’ouverture du colloque « Enseignement laïque de la morale et enseignement des faits religieux »262 organisé les 18 et 19 octobre 2013 par l’IESR, le directeur de la Dgesco, Jean Paul Delahaye263 souligne même ce lien entre l’article 12 de la Charte de la laïcité à l’école et l’enseignement des faits religieux :

« C’est ce que souligne bien la Charte de la laïcité à l’École, en indiquant qui plus est le bien- fondé de l’ouverture à cette pluralité. C’est son article 12 […]. Le commentaire de cet article, proposé sur Eduscol comme ressource d’explicitation, insiste sur ce thème en insistant sur une phrase en particulier : “ Aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et

pédagogique ” : il n’y a pas de sujet tabou à l’École laïque. L’enseignement des faits religieux

y a donc toute sa place. »264

Cette affirmation du directeur de la Dgesco atteste que le processus d’effacement de l’enseignement des faits religieux des discours politiques et institutionnels est relatif. En effet, tout au long de son intervention, il se fait promoteur de cet enseignement dont il réaffirme l’importance, comme les finalités patrimoniale et civique qu’il poursuit. Mais cette allocution d’ouverture constitue aussi une nouvelle étape dans l’histoire de cet enseignement puisqu’il y emploie pour la première fois l’expression, qui pourrait sembler confiner au pléonasme : « l’enseignement laïque des faits religieux », dont Jean-Paul Delahaye justifie l’utilisation, en lien avec ses réflexions sur l’enseignement de la morale et qui constitue une occasion de rappeler tout à la fois l’ouverture des enseignements à la connaissance de la pluralité des croyances et convictions et un rappel de l’obligation de neutralité des enseignants :

                                                                                                               

260  L’ouvrage Pour une pédagogie de la laïcité à l’école étant la première.

261  Article 12 de la Charte de la laïcité à l’école.    

262  Isabelle Saint-Martin et Philippe Gaudin (dir.), Double défi pour l’école laïque : enseigner la

morale et les faits religieux, op. cit.

263  Il a été nommé à ce poste le 21 novembre 2012.    

264  Jean Paul Delahaye, directeur de la Dgesco, Ouverture du colloque, in Double défi pour l’école

laïque : enseigner la morale et les faits religieux, Isabelle Saint-Martin et Philippe Gaudin (dir.), op. cit., p. 16.

« Tout d’abord une remarque : dans l’École de la République, c’est non seulement l’enseignement de la morale qui doit être laïque, mais aussi l’enseignement des faits religieux : “ enseignement laïque de la morale et enseignement laïque des faits religieux » pourrait être le titre de votre rencontre. Cette précision nous permet de souligner d’emblée que tout enseignement prodigué par l’École publique garantit à l’élève le bénéfice d’une instruction et d’une éducation qui respecte pleinement sa liberté de conscience, de conviction ou de croyance : qu’il s’agisse de morale ou de faits religieux, l’enseignement qu’il reçoit ici lui est donné par des professeurs qui se sont engagés à ne pas afficher leurs convictions personnelles. […] Séparer pour rassembler, là est le formidable et fécond paradoxe de la laïcité. »265

L’emploi de l’expression « enseignement laïque des faits religieux » fera date, puisqu’elle deviendra usuelle dans les instructions officielles à venir. Enfin, il nous semble qu’un autre passage de l’allocution de Jean-Paul Delahaye permet non seulement de comprendre qu’il adjoigne l’épithète laïque à un enseignement qui pouvait d’évidence déjà sembler l’être, mais qui constitue aussi, dans une certaine mesure, une nouvelle inflexion dans la définition institutionnelle de l’enseignement des faits religieux qui, selon lui, ne devrait pas taire l’héritage, en partie religieux, de la morale collective et individuelle républicaine, sans pour autant le confondre avec une approche confessionnelle de quelque ordre qu’elle soit : « On peut d’ailleurs souligner que si la culture du respect d’autrui est une exigence universelle, c’est sans doute parce qu’il y a un humanisme universel, c’est-à-dire un humanisme qu’on retrouve dans le fonds culturel des différentes civilisations. Il n’y a pas un seul humanisme, universalité ne veut pas dire uniformité, mais des humanismes religieux ou profanes, qui ont insisté, chacun à sa manière, chacun avec son génie propre sur la valeur inestimable de l’être humain. Voilà aussi pourquoi il est nécessaire qu’il y ait un enseignement laïque des faits                                                                                                                

265  Ibid., p. 15. Ces remarques, comme la teneure générale de l’intervention du directeur de la Dgesco,

en lien avec la Charte de la laïcité à l’école font écho aux analyses de Philippe Portier dans son ouvrage L’État et les religions en France - Une sociologie historique de la laïcité, op. cit., p. 308 : « Dans cet ensemble de quinze articles, dont certains reprennent les formules de la loi du 9 décembre 1905, il y a lieu de faire une place à part aux articles 4 et 8. L’article 4 dispose : “ La laïcité permet l'exercice de la citoyenneté, en conciliant la liberté de chacun avec l'égalité et la fraternité de tous dans le souci de l'intérêt général. ” L’article 8 va dans le même sens sur le terrain spécifique de l’école : “ La laïcité permet l'exercice de la liberté d'expression des élèves dans la limite du bon fonctionnement de l'École comme du respect des valeurs républicaines et du pluralisme des convictions. ” Ces deux articles confirment la philosophie du projet d’intégration que nous avons vu se dessiner au début des années 1990 : ils rappellent à tous que la société ne peut se construire que dans la conciliation de la liberté et de la concorde. Il n’est pas questions certes, comme le voudrait un républicanisme lourd, d’abolir la référence à la diversité. Il n’est pas question non plus, comme le souhaitent […] les tenants “ anti-éducationnistes ” de la morale minimale, de l’absolutiser au nom du droit à l’auto-détermination. Il s’agit d’éviter de s’enfermer dans une société de la juxtaposition, fondée sur la seule éthique de la tolérance, pour favoriser l’émergence d’une société de la responsabilité, impliquant de donner toute sa valeur à la relation à l’autre, considéré dans son statut de “ personne libre et égale ”. »

religieux : pour montrer aux élèves que la question de l’homme, l’hommage rendu à la condition humaine, à sa grandeur, à ses mystères, fut et est encore une constante observable dans toutes les civilisations du monde. »266

Évoquons brièvement trois autres étapes, qui attestent tout à la fois de la prévalence de l’engagement politique et institutionnel en matière d’éducation à la laïcité, ayant pour corollaire une visibilité moins importante accordée à la promotion de l’enseignement des faits religieux : en octobre 2013, une page dédiée à la laïcité est mise en ligne sur le site éduscol du ministère267, suivie le 22 avril 2014 de la publication d’un module de formation sur la laïcité sur la plateforme de l’Éducation nationale M@gistère qui « propose aux personnels enseignants et d'éducation du premier et second degré une offre nationale de parcours de formation à distance, accessible d'où ils le souhaitent en suivant un parcours personnalisé » et qui a été conçu dans le cadre de la mission « pédagogie de la laïcité » de la Dgesco. Enfin, la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem268 publie une circulaire instaurant, comme le recommandait la commission Stasi dès 2003, une « Journée anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État ». Elle s’inscrit dans la continuité de l’incitation politique et institutionnelle à la mise en œuvre de la pédagogie de la laïcité, rappelle que la Charte de la laïcité à l’école en constitue un support privilégié et annonce la nomination dans chaque académie d’un référent laïcité269.

Nous avons vu que durant cette deuxième période, qui s’étend de 1989 à 2014, les discours politiques en faveur de l’enseignement interdisciplinaire des faits religieux, y compris à l’école élémentaire, sont nombreux et trouvent différentes traductions institutionnelles : socle commun, circulaires, séminaires nationaux et académiques de formation, etc. Nous avons                                                                                                                

266  Jean Paul Delahaye, directeur de la Dgesco, Ouverture du colloque, in Double défi pour l’école

laïque : enseigner la morale et les faits religieux, Isabelle Saint-Martin et Philippe Gaudin (dir.), op. cit., p. 19.

267  Précisons néanmoins que dans l’arborescence du site, cette page « la laïcité à l’école » figure dans

l’onglet dédié à la « vie des écoles et des établissements » dans une sous-section « citoyenneté » et non pas dans l’onglet « contenus et pratiques d’enseignement » qui dispose, pourtant, d’une sous-section dédiée aux « éducations transversales », attestant du fait que la laïcité scolaire est d’abord conçue comme un cadre juridique et administratif, avant de devenir progressivement un objet d’éducation voire d’enseignement scolaire.

268  Elle a été nommée à ce poste le 26 août 2014.

269  Ministère de l’Éducation nationale, Circulaire n°2014-158, publiée au Bulletin Officiel n°44, le 27

novembre 2014.

également observé l’avènement de l’éducation à la laïcité, qui est la traduction des réflexions croissantes quant à la multiplicité des formes de laïcité scolaire, conçue, d’abord, comme un cadre réglementaire et administratif qui organise la vie scolaire et détermine la déontologie à appliquer à tous les enseignements scolaires, puis est progressivement envisagée comme un objet interdisciplinaire d’enseignement. Cette dynamique a donné lieu à l’engagement du ministère de l’Éducation nationale, d’une part, dans sa traduction institutionnelle via l’inscription de la laïcité dans le socle commun et les programmes scolaires, la création d’une mission laïcité au sein de la Dgesco, l’organisation de séminaires de formation, le caractère normatif de la Charte de la laïcité à l’école, ou encore l’institution d’une journée anniversaire de la laïcité à l’école. D’autre part, elle a suscité un tournant pédagogique, avec la production de ressources pédagogiques sur la laïcité : l’ouvrage Pour une pédagogie de la laïcité à l’école, la création d’une page dédiée à ce thème sur le site éduscol, la publication de la charte, qui est également conçue comme un support pédagogique pour éduquer à ou enseigner la laïcité.

Chapitre III : Le tournant pédagogique

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