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B – L’institutionnalisation de la mission « Laïcité et valeurs de la République » à la Dgesco – Un intérêt renouvelé pour le primaire

Comme nous l’avions déjà mentionné, la nomination de Benoît Falaize à ce poste constitue un jalon important de l’histoire de l’enseignement des faits religieux, et ce pour plusieurs raisons277. D’abord, parce qu’il est un historien spécialiste de l’enseignement des questions sensibles à l’école primaire278, ensuite, parce que s’il rejoint la mission laïcité confiée à Abdennour Bidar au sein de la mission « prévention des discriminations et égalité filles- garçons » de la Dgesco, sa nomination marque l’institutionnalisation de cette mission devenue une charge d’étude inscrite dans la chaîne hiérarchique de la Dgesco, ce qui pérennise au ministère un poste sur les questions d’éducation à la laïcité et d’enseignement des faits religieux. Enfin, parce qu’il est convoqué, notamment en tant que pédagogue, pour concevoir différentes ressources pour faciliter la prise en charge, entre autres, de l’enseignement des faits religieux à l’école élémentaire. Ainsi, sa première mission consistera à mettre au point279 un parcours de formation en ligne sur la plateforme M@gistere, analogue à celui réalisé par Abdennour Bidar sur la laïcité, mais portant cette fois sur «l’enseignement laïque des faits religieux »280. Les autres missions qui lui sont confiées concernent plus spécifiquement la laïcité et les valeurs de la République : coordonner la conception et la rédaction d’un Livret laïcité ; prendre part à l’élaboration du portail « Valeurs de la République » sur le site de Canopé, structurer le réseau des référents laïcité académiques ; répondre aux questions des personnels de l’éducation nationale, notamment en donnant des conférences281 ; assurer un suivi dans la rédaction du programme d’enseignement moral et civique ; coordonner l’appel à projets « esprit critique et laïcité » qui sera le thème de la journée anniversaire de la laïcité à l’école du 9 décembre 2016.

                                                                                                               

277  Nous avons réalisé un entretien avec Benoît Falaize le 23 mars 2017.    

278  Notamment de l’histoire de l’enseignement de la Shoah, de la colonisation/décolonisation, de

l’immigration, de l’esclavage ainsi que de l’histoire de l’enseignement des faits religieux et de la laïcité. Cette nomination confère donc une légitimité à la recherche en pédagogie, au sein de l’institution scolaire et du champ académique.  Benoit Falaize sera nommé inspecteur général rattaché au groupe enseignement primaire le 31 mars 2017.

279  Avec l’équipe M@gistère du ministère de l’Éducation nationale, composée de spécialistes en

ingénierie de formation et d’enseignants dont, notamment, un professeur des écoles.

280  Précisons qu’Abdennour Bidar avait initié la conception de ce parcours sur l’enseignement laïque

des faits religieux à l’automne 2014, mais celui-ci était resté inachevé avant les attentats et l’arrivée de Benoît Falaize à la Dgesco. Il sera publié le 9 octobre 2015.    

281  Une majorité de ses interventions ont lieu dans le cadre de stages de formation académique et de

Bien que l’enseignement des faits religieux ne figure pas explicitement dans le titre de la charge d’étude qui lui a été confiée, Benoît Falaize insiste sur le fait qu’une place est dévolue à l’enseignement des faits religieux au sein de ses missions282. En atteste d’ailleurs le Livret laïcité, qui comporte une partie intitulée « Difficultés et contestations autour de l’enseignement laïque des faits religieux »283 dont un passage spécifique portant sur la différence entre savoir et croire avait d’ailleurs fait l’objet de polémiques largement médiatisées284 :

« Dans le dialogue avec les élèves et leurs parents, il revient aux chefs d’établissement et directeurs d’école de montrer que les savoirs enseignés sont le fruit de la démarche scientifique de l’historien et montrer aux élèves la distinction entre savoir, opinion ou croyance. Distinction entre croire et savoir : ce qui peut être cru ne relève pas de

l’enseignement scolaire de l’École laïque mais appartient à la liberté de conscience, de croyance de chacun. Ce qui peut être su relève de l’enseignement des faits religieux

appréhendés comme « faits de civilisation. » Il convient de ne pas faire de la classe un lieu de débat sur la question de la vérité de la croyance religieuse, qui ne relève pas des missions de l’École. L’enseignement des faits religieux est laïque : ce n’est pas un cours d’instruction religieuse. Il faut pouvoir : montrer que les grands textes religieux, les œuvres d’art constituent un bien commun universel et ne sont pas la propriété exclusive des croyants. Leur découverte permet une véritable ouverture aux autres cultures ; opérer une lecture critique des textes et des œuvres : tout texte, toute œuvre peut être soumis(e) à l’examen et au débat ; faire respecter la liberté de conscience et d’expression des élèves, ce qui ne signifie en aucun cas accepter intolérance et violence de la part des élèves ; éviter la confrontation ou la comparaison du discours religieux et du savoir scientifique. Dans les disciplines scientifiques (SVT, physique- chimie, etc.) il est essentiel de refuser d’établir une supériorité de l’un sur l’autre comme de les mettre à égalité. »285

                                                                                                               

282  Entretien avec Benoît Falaize, le 23 mars 2017. : « Les faits religieux ne sont certes pas

nommément inscrits dans le titre de ma charge d’étude mais dans les faits cet enseignement a toute sa place dans mes missions, car il s’agit d’une commande du cabinet de la ministre. Il y a, je crois, une réelle volonté personnelle, portée par la ministre, et relayée par son cabinet, de faire en sorte que l’étude du religieux ne soit pas considéré comme un champ tabou, mais qui, au contraire, a toute sa place dans les enseignements à l’école publique, dans une perspective bien évidemment laïque282. Il

s’agit en priorité de doter les enseignants d’une véritable connaissance des faits religieux et de développer des outils sur l’enseignement des faits religieux. D’ailleurs, dans la fiche du poste de chargé d’étude “Laïcité et valeurs de la République“, travailler en partenariat avec l’IESR constitue une obligation. »  

283  Ministère de l’Éducation nationale, Livret laïcité, octobre 2015, p. 16-17.    

284  « Non, le “ livret laïcité ” ne revient pas sur la distinction entre “ croire et savoir ” », Libération du

22 octobre 2015, URL : http://www.liberation.fr/france/2015/10/22/le-livret-laicite-accuse-de-revenir- sur-la-distinction-entre-croire-et-savoir_1408120, [page consultée le 6 août 2018].

À ce sujet, lors de notre entretien, Benoît Falaize a d’ailleurs souligné que la rédaction du passage qui a suscité ces polémiques – et que nous avons indiqué en gras dans l’extrait ci- dessus –, « a été particulièrement complexe et a nécessité de nombreux échanges entre la Dgesco et le cabinet de la ministre. »286 Dans la seconde version du Livret laïcité, publiée en décembre 2016, ce passage a d’ailleurs fait l’objet d’une réécriture, qui s’est, elle aussi, avérée être « un travail de longue haleine »287.

De notre entretien avec Benoit Falaize, nous retiendrons ici essentiellement son analyse des blocages qui freinent la mise en œuvre effective et généralisée de l’enseignement des faits religieux par les professeurs des écoles, malgré les prescriptions officielles nombreuses et réitérées en la matière, ainsi que les leviers qui pourraient être mobilisés pour permettre une évolution des pratiques pédagogiques intégrant l’enseignement interdisciplinaire des faits religieux. Selon lui, du coté des blocages, il y a, d’une part, la rétivité des enseignants vis-à- vis du religieux, qui est structurelle dans le premier degré, liée à la forte sécularisation du corps des instituteurs depuis la IIIe République, et qui a encore des effets aujourd’hui. D’autre part, la mécompréhension de la laïcité chez certains qui continuent de penser que les religions sont un sujet qui n’a pas sa place à l’école, car il relèverait uniquement de la sphère privée. Un autre blocage serait lié à la culture de l’institution principalement : s’il n’y a pas de « mauvaise volonté »288, il peut y avoir à certains endroits une méfiance, voire un refus, quant à la légitimité de l’enseignement des faits religieux, bien que l’institution elle-même n’a pas « de blocage idéologique à ce sujet, du moins si l’on parle de la Dgesco, ou encore de l’inspection générale »289. Néanmoins, du côté des corps intermédiaires (inspecteurs pédagogiques régionaux, inspecteurs d’académie, conseillers pédagogiques de circonscription), il existerait une pluralité de points de vue à ce sujet, et possiblement de plus

                                                                                                               

286  Entretien avec Benoît Falaize le 23 mars 2017.

287  Entretien avec Benoît Falaize le 23 mars 2017. Dans la deuxième version du Livret laïcité publiée

en décembre 2016, le passage sur la différence entre savoir et croire a ainsi été explicité : « L’enseignement des faits religieux est laïque : ce n’est pas un cours d’instruction religieuse. Il faut pouvoir : […] faire comprendre que la mission de l’École est de transmettre des connaissances reconnues par la communauté scientifique ; que le savoir relève de procédures de vérification et de validation. Expliquer que savoir distinguer les savoirs des opinions et des croyances, savoir argumenter, exercer son jugement de manière réfléchie et critique, apprendre à respecter la pensée des autres sont autant de compétences qui sont au cœur des enseignements de l’École. La pédagogie de l’école opère la distinction entre les savoirs et les croyances, sans pour autant les confronter ou les comparer, en laissant la liberté de conscience à chacun. »

288 Ibid. 289 Ibid.

importants blocages qu’au sein de l’administration centrale à proprement parler. Enfin, d’après lui :

« Tout a été bouleversé dans la formation des maîtres : les relations entre le rectorat et les ESPE sont devenues compliquées […] Ce point constitue un blocage, mais aussi un levier car, si on parvient à mettre en place de bonnes relations on arrivera à une formation initiale de plus grande qualité sur l’enseignement des faits religieux – notamment mais pas uniquement. Quant aux leviers, il y a justement, d’abord, le plan national de formation, puis le renforcement des liens entre les inspecteurs pédagogiques régionaux à l’échelon académique avec les ESPE, et qui mériteraient d’être développés encore. Enfin, je pense que parmi les leviers qui sont insuffisamment perçus par l’institution scolaire, il y a les outils pédagogiques produits par le secteur privé […]. Si le ministère pouvait recommander les auteurs pertinents pour élaborer ces outils, de fait, cela irriguerait l’institution parce que l’on sait très bien comment font les enseignants du premier degré : ils regardent les outils à disposition et s’en servent. Néanmoins, l’institution ne peut pas le faire, car elle ne peut pas privilégier un éditeur, ce qui est normal d’ailleurs, car elle serait accusée d’ingérence dans le secteur privé. Mais cela constitue une aporie, dans une certaine mesure290. »291

La prise en compte de l’enseignement des faits religieux dans la formation initiale et continue des cadres de l’Éducation nationale et des enseignants est au cœur des réflexions depuis de nombreuses années : déjà envisagée suite au rapport de Philippe Joutard (1989), les besoins en la matière sont réaffirmés et explicités dans le rapport de Régis Debray (2002), mais elle demeure encore lacunaire. La question ressurgira lorsque, suite aux attentats, le 22 janvier 2015, la ministre Najat Vallaud-Belkacem présentera onze mesures dans le cadre « Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République ». La première, en effet, concerne la formation des enseignants292.

 

                                                                                                               

290  Il faut préciser, que si le ministère de l’Éducation nationale, ne peut pas valoriser des savoirs

intermédiaires produits par des structures privées, les corps intermédiaires valorisent, notamment via les stages de formation, certains de ces outils.    

291  Entretien avec Benoît Falaize le 23 mars 2017.

292  Déclaration de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'enseignement

supérieur et de la recherche, sur la mobilisation de l'école pour les valeurs de la République, Paris, le 22 janvier 2015 : « Avoir confiance dans les enseignants, c'est avoir confiance dans la République, et cela suppose, au-delà des mots, un soutien sans faille par ce qui est le cœur de leur métier : la formation. »

C – La « Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République »

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