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À l’aune de cette première partie, nous pouvons établir un double constat.

Le premier est celui d’une continuité de l’action des milieux politiques et académiques dans la détermination des finalités et contenus de l’enseignement des faits religieux et d’une pédagogie de la laïcité, qui fait de cette dernière non plus seulement un cadre juridique et éducatif, mais aussi un objet d’éducation transversal. Dès lors que l’éducation à la laïcité constitue la finalité primordiale de l’enseignement des faits religieux, celui-ci acquiert une légitimité qu’il ne trouvait pas dans sa justification exclusivement patrimoniale. Nous sommes consciente que notre thèse de la continuité dans les discours politiques et leurs traductions dans les prescriptions officielles en la matière est discutable en ce qu’elle tend à gommer la pluralité de positionnements des acteurs de l’Éducation nationale quant à la pertinence et à la légitimité de l’enseignement des faits religieux comme composante d’une éducation à la laïcité et, dès lors, qu’elle ne met peut être pas suffisamment en évidence les différents degrés d’engagement de ces acteurs dans la définition de cette politique publique, dans sa promotion et dans sa mise en œuvre effective. Ainsi, d’autres travaux pourraient insister davantage sur ces différents degrés d’engagement, notamment entre les discours des politiques et ceux des corps intermédiaires de l’Éducation nationale, davantage impliqués dans les réflexions d’ordre didactique fondées sur leur connaissance plus fine des pratiques des professeurs des écoles en la matière. Nonobstant, si le recul historique nous permet ici de souligner une continuité, nous avons néanmoins tenté de mettre en évidence les discontinuités et les inflexions majeures à l’œuvre via l’identification de trois grandes périodes. D’une part, nous avons vu que depuis la création de l’école républicaine à la fin du XIXe siècle jusqu'à la fin des années 1980, la laïcisation des programmes n’avait pas conduit à dénier aux religions une place dans les savoirs scolaires. En effet, même s’il est discutable de parler d’histoire des religions (selon une définition académique), il est en revanche certain que les religions ont toujours eu une place au sein de l’enseignement de l’histoire à l’école élémentaire. D’autre part, si nous avons entrevu, dans cette place accordée aux religions dans l’enseignement de l’histoire, la préfiguration de l’enseignement des faits religieux, cela ne devrait pas passer sous silence que c’est bien à partir de la fin des années 1980 qu’émerge véritablement cette politique publique scolaire, et dont les jalons majeurs demeurent les rapports de Philippe

Joutard en 1989 puis de Régis Debray en 2002, suivis de la création de l’IESR la même année. Enfin, nous identifions dans cette thèse une troisième période, contemporaine de notre terrain d’étude, qui voit s’opérer à partir de 2015 un tournant pédagogique. Celui-ci est caractérisé, d’une part, par la détermination croissante de l’éducation à la laïcité. On assiste à l’avènement de la « pédagogie de la laïcité », caractérisé par deux dynamiques successives : un premier temps de la « pédagogie de la laïcité » semble constituer une occasion de pérenniser la promotion de l’enseignement des faits religieux, tandis que dans un second temps – à partir des attentats de janvier 2015 –, l’éducation à la laïcité devenant une priorité dans les discours politiques et les instructions officielles, elle tend à diminuer légèrement la visibilité de l’enseignement des faits religieux. D’autre part, un processus de subordination de l’enseignement des faits religieux à une éducation à la laïcité semble s’enclencher. Ce faisant, la finalité avant tout patrimoniale historiquement associée à l’enseignement des faits religieux deviendrait non plus une fin en soi, mais un moyen privilégié de contribuer à l’éducation à la laïcité et plus largement à l’éducation à la citoyenneté. Cette période est aussi caractérisée par l’engagement des politiques et des acteurs de l’institution scolaire dans la production de formations et d’outils pédagogiques pour faciliter la prise en charge de l’enseignement des faits religieux pour éduquer à la laïcité par les professeurs des écoles, dès l’école élémentaire.

Le deuxième constat est celui d’un certain caractère inachevé de cette élaboration, qui semble encore à l’œuvre. Certains y verront plutôt – ou aussi – les conséquences de l’ambiguïté entretenue par différents politiques et acteurs de l’Éducation nationale, qui en leur for intérieur demeureraient opposés – ou du moins sceptiques – quant à la légitimité de l’enseignement des faits religieux, y compris lorsqu’il est conçu comme une composante de l’éducation à la laïcité. En effet, il est envisageable que certains acteurs institutionnels n’expriment pas publiquement leurs circonspections et leurs réticences sur ce point, notamment par devoir de loyauté, et il est dès lors plausible que certains représentants de l’Éducation nationale ne s’engagent pas plus avant dans la promotion de cet enseignement notamment via un investissement dans le champ des traductions pédagogiques (en terme de formation et d’outils) qui faciliteraient pourtant la généralisation de l’enseignement des faits religieux pour éduquer à la laïcité à l’école élémentaire. Néanmoins, il nous semble que des efforts importants ont été déployés par l’Éducation nationale en ce sens depuis 2015 et jusqu’à la fin de notre recherche (au printemps 2017). Ce constat doit cependant être nuancé. D’une part, il nous semble qu’une indétermination demeure quant à la place que l’enseignement des faits religieux pourrait ou devrait avoir dans le projet d’une éducation à la

laïcité, et plus encore de l’enseignement moral et civique, indétermination qui peut être source de tensions sur ces sujets sensibles. D’autre part, il apparaît que l’école élémentaire demeure un champ d’étude et d’action moins investi que le secondaire, ce qui a pour corollaire une relative indétermination des savoirs scolaires à transmettre, et donc, à la faveur de la liberté pédagogique des professeurs des écoles, une hétérogénéité des pratiques de classe, résultat d’une interprétation individuelle, par les enseignants, des consignes institutionnelles. Enfin, si les pouvoirs publics à tous les niveaux de l’Éducation nationale réfléchissent et esquissent des intentions en faveur de l’enseignement des faits religieux, il n’existe pas de vademecum sur les pratiques pédagogiques pour le mettre en œuvre, alors même que c’est bien la transposition didactique de ces questions socialement vives qui constitue un enjeu prioritaire. Cet interstice permet dès lors de comprendre que des initiatives portées par des structures privées – telles qu’ENQUÊTE – se greffent sur ce dispositif institutionnel pour contribuer à définir des manières d’enseigner les faits religieux pour éduquer à la laïcité via des propositions de déclinaisons pédagogiques de ces intentions institutionnelles, comme c’est le cas avec le jeu L’Arbre à défis et avec le pack numérique éducatif Vinz et Lou « laïcité et faits religieux »358, deux outils que nous présenterons pour l’un dans le cadre de notre deuxième

partie sur les bricolages des professeurs des écoles, et pour le second dans la dernière partie de ce travail, consacré à l’exemple de l’association ENQUÊTE.

                                                                                                               

358 Coproduit par la société de production Tralalère, le Ministère de l’Éducation nationale et Canopé et

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