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5. Résultats de l’enquête

6.3 La convivialité : la nourriture comme composante essentielle

Les jours de fête sont importants et honorés. L’alimentation est toujours au cœur de toutes les célébrations et une grande importance est mise dans le partage de la nourriture. Les fêtes sont également l’occasion de sortir et de manger à l’extérieur, par exemple dans un restaurant ou chez des amis. Que ce soit pour un mariage, la nouvelle année ou un anniversaire de quinceañera93, ces évènements sont immanquablement marqués par un repas convivial, qui est vu comme satisfaisant s’il est copieux, riche en gras et en féculents (Paponnet-Cantat, 2003).

6.3.1 La restauration

Manger à l’extérieur parait revêtir une importance particulière pour les Cubains. Si ce type de sortie est très couteux pour les familles moyennes, il n’en reste pas moins que des économies sont toujours laissées de côté pour célébrer une occasion spéciale au moins

92 Elena : La carne de res por ejemplo, casi no sé como cocinarla. Cuando la voy a cocinar, tengo que

llamar a mi abuela, y preguntarle como la hago.

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Anniversaire largement célébré en Amérique latine lors du quinzième anniversaire des filles pour souligner leur entrée dans la vie d’adulte.

une fois par année. Comme le rapporte cette professeure d’anthropologie, une telle sortie a une valeur significative élevée.

Eugénie : Mais le secteur touristique, les paladares, ils ne sont pas très accessibles pour le Cubain moyen?

Yasmina : Tu n’y vas pas de manière régulière, mais quand tu as l’opportunité de célébrer quelque chose, à Cuba ça a toujours été très fort, donner à une célébration la théorie de manger à l’extérieur. Comme nous le disons, « allons manger à l’extérieur ». C’est une manière particulière, avec un symbolisme assez élevé, qu’ont les Cubains de célébrer.94

Un symbolisme très élevé, certes, car c’est inévitablement un moment de rassemblement avec la famille et les amis, faisant s’unir alimentation et convivialité. Il faut aussi rappeler que puisque les familles moyennes ne peuvent pas souvent se permettre le luxe de la restauration, cela fait en sorte que ces sorties sont hautement mises en valeur et semblent procurer un statut spécial à toute célébration. Ce qui a été souligné également, c’est que lors de ces sorties, c’est le moment d’essayer de nouveaux plats et de manger des aliments qui seraient autrement inaccessibles, tel que l’exprime cette participante.

Laura : Quand je vais sortir, ce que je demande ce sont des fruits de mer. J’adore ça. Chaque fois que je sors et qu’il y a du homard, ou des crevettes, ou du poisson, puisque j’adore le poisson.95

Une telle sortie donne non seulement un symbolisme à une célébration, mais est également le moment de combler certaines préférences alimentaires qui ne sont pas accessibles au jour le jour.

6.3.2 Les invitations à la maison

S’il est une conséquence à souligner découlant de la période spéciale, ce serait sans doute le rapport à l’importance des invitations à manger. Il est parfois plus difficile d’organiser

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Eugénie : Pero el sector turístico, las paladares, no son muy accesibles para el cubano medio? Yasmina:

Tú no vas de manera regular, pero cuando tú tienes la oportunidad de celebrar algo, en Cuba eso siempre fue muy fuerte, darle a una celebración la teoría de comer afuera. Como lo decimos nosotros, “vamos a comer fuera”. Es una manera particular, con un simbolismo bastante elevado, que tiene el cubano de celebrar.

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Laura : Que pasa cuando yo voy a salir, lo que pido es mariscos. Eso me encanta. Cada vez que yo salgo

des repas pour plusieurs personnes supplémentaires, car le budget alimentaire est assez restreint, ou plutôt, l’essentiel du salaire y est dédié. Selon les participants, par le passé, les familles avaient l’habitude de cuisiner en trop au cas où quelqu’un viendrait à s’ajouter à la table. Aujourd’hui, la réduction du pouvoir d’achat restreint les possibilités de préparer des surplus et d’investir de l’argent pour inviter des amis à manger, comme en fait part cette participante.

Eugénie : C’est important d’inviter les gens à venir manger à la maison?

Elena : C’est quelque chose qui a changé beaucoup. Quand j’étais petite par exemple, je me rappelle que chaque fois que quelqu’un arrivait, on lui disait de s’asseoir pour manger. Avec la période spéciale, je crois que ça a changé, parce qu’il y a eu un moment où il n’y avait pas de nourriture, il y en avait très peu. Il y avait peut-être du riz, et quelque chose d’autre. Je crois que ça s’est perdu. Peut-être que ça s’est récupéré un peu, mais pas comme avant.96

Dans un autre ordre d’idées, l’invitation à manger dépend aussi de la provenance de la famille. Maria et Laura, qui vivent en périphérie de la municipalité et qui possèdent une fermette, ont l’habitude de recevoir des convives. Cela semble aller de pair avec une plus grande marge de manœuvre alimentaire grâce à leur fermette ainsi qu’un espace mieux adapté pour les réceptions. Ce type de tradition peut également venir de pratiques plutôt rurales, comme l’explique ce participant.

Eugénie : C’est important d’inviter les gens à manger?

Alfonso : Ça oui, ma mère oui, elle est toujours en train d’inviter des gens, elle le fait, elle ne se cache pas. C’est donc une tradition qui continue. Parce qu’elle vient de Guantanamo, elle vient de la campagne, c’est pour ça. Les gens de la campagne sont plus conservateurs. Ça s’étire plus pour ça. Mais ici, à La Havane…97

En poursuivant sur cette lancée, il a semblé nécessaire pour certains participants de faire la distinction entre les habitudes de La Havane, et celle du milieu rural ou de l’Orient du pays. La campagne serait plus propice à l’organisation de fêtes, car il y aurait plus de

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Eugénie : Es importante invitar a la gente para comer en la casa? Elena: Eso es algo que ha ido

cambiando mucho. Cuando yo era chiquita por ejemplo, recuerdo que cada vez que llegaba alguien, se le decía siéntate a comer. Con el periodo especial, creo que eso se cambió, porque como que hubo un momento que no había comida, la comida era muy poca. O a lo mejor había arroz, y algo más. Creo que eso se perdió. Quizás se haya vuelto a recuperar un poco, pero no como antes.

97 Eugénie : Es importante invitar a la gente a comer? Alfonso: Eso sí, mi mamá sí, siempre está invitando

gente, ella sí lo hace, ella no se esconde. Entonces es una tradición que sigue. Sí porque ella es de Guantánamo, ella es del campo, es por eso. La gente del campo son más conservadores. Se estira más por eso. Pero aquí en La Habana…

ressources, ou du moins l’alimentation y serait facilitée. Les participants Olivia et Andrés racontaient que leur famille, qui venait de l’est du pays, avait la coutume d’élever un porc toute l’année pour faire un barbecue rendu à l’été. Cela n’est pas possible en ville à cause du manque d’espace et des ressources qu’il faudrait engager pour l’alimentation de l’animal. Le milieu urbain havanais connait donc ses limites en ce qui concerne les possibilités de préparation culinaire et fait reposer en quelque sorte la pérennité de certains pans de son patrimoine sur le milieu rural.

La rapidité de la vie en milieu urbain joue également un rôle au quotidien. Si de moins en moins de familles prennent le temps de manger ensemble, il n’en reste pas moins que les anniversaires sont toujours des occasions à ne pas manquer. Pour ce qui est du menu lors des rassemblements, il faut rappeler que les jours de fête, les plats sont très nombreux et les coûts associés peuvent être très élevés. Ce qui est donc privilégié reste souvent la même chose que les jours de semaine, mais seulement avec plus d’abondance. Des efforts considérables peuvent être faits pour avoir une table bien garnie et diversifiée, ou encore pour s’assurer que le menu soit copieux et respecte les préférences (Figure 12). Cette participante raconte par exemple que la viande de porc est une denrée non négociable à offrir au Nouvel An.

Yasmina : Le menu typique cubain, ici à la fin de l’année, si tu dois vendre le radio, tu le vends, mais il ne peut pas manquer de viande de porc, parce que c’est une offense à ta dignité personnelle. Si ce n’était pas aussi important, si ce n’était pas un élément de base au sein de l’identité, tu ne passerais pas autant de temps à la fin de l’année pour mettre ce que tu considères que tu dois mettre. Aussi, si tu ne dis pas au revoir à la vieille année de façon adéquate, tu es perdu. Donc, ça te coûte ce que ça te coûte, c’est difficile qu’à Cuba on célèbre la fin d’année sans viande de porc, même si elle est très chère.98

Ce commentaire allègue à quel point la nourriture est centrale lors des célébrations, et illustre dans le même temps l’importance du rassemblement par le symbolisme des plats. La convivialité semble à coup sûr faire partie de la reproduction du patrimoine

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Yasmina: El menú típico cubano, en fin de año aquí, si tú tienes que vender el fonillo lo vendes, pero no

puede faltar la carne de puerco, porque eso es una ofensa a tu dignidad personal. Si no fuera tan importante, si no fuera un elemento básico dentro de la identidad, tú no pasarías tanto tiempo al fin de año para poner lo que consideras que tú tienes que poner. Además si no despides del año viejo de manera adecuada, y no recibes el año nuevo de manera adecuada, estás embarcado. Entonces te cuesta lo que te cuesta, es difícil que en Cuba se celebre el fin de año sin carne de puerco aun por lo muy cara que esté.

alimentaire. Si des restrictions économiques ont pu diminuer la fréquence des sorties et des célébrations, il n’en reste pas moins qu’elles sont toujours encensées par les Cubains. Pourtant, les fêtes ne sont pas les seuls moments de convivialité. Ce goût pour les réunions peut tout aussi bien être sustenté par un petit café bien sucré, qui est offert à toute heure du jour aux voisins ou amis qui passeraient par là. Ce partage informel de café semble une réelle institution à Cuba et personne ne parait se formaliser de la faible qualité du mélange de grains de chicorée et de café qui est fourni par le rationnement d’État. La convivialité et le partage de boisson ou de nourriture s’avèrent donc être des éléments centraux à l’identité alimentaire cubaine, et ce malgré les changements qui ont eux lieu dans les 25 dernières années.

Figure 12 — Repas de fête, composé de poulet, de porc, de manioc, de haricot, de riz et de concombres