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5. Résultats de l’enquête

6.2 Perte, substitution, évolution : une transmission des savoir-faire qui s’ajuste?

6.2.2 Que sont devenus les classiques?

Est-il possible de dire que les classiques ont disparu? Ou que la période spéciale a marqué la fin de certaines recettes? Ce qui est inévitablement ressortit auprès des participants, c’est qu’effectivement, la reproduction de certains plats se fait plus difficile

78 Eugénie : Hablando de esos platos cubanos, desde el periodo especial, tú puedes ver un cambio de esos

platos, que se han perdido, que no se han vuelto a hacer? Isabel : Siempre hay un cambio, porque fueron muchos años de escasez. Hay muchas cosas que antes hacía y que ya no. Pero también en mi caso influye que he aprendido más de nutrición, que hay limitaciones en la casa relacionado con el colesterol, no hago plato que lleva mucha mantequilla, mucho queso, mucha grasa. Antes hacía papas rellenas por ejemplo, ahora casi nunca las hago. Porque después hay que freírlas. Hay más educación. Me lo como pero solo una vez, antes no. Yo freía todos los días. Cocinaba con mucha grasa. Yo tenía malos hábitos nutricionales. Uno va aprendiendo, y ha habido mucha más información. De todos tipos.

pour de multiples raisons : le temps à dédier, la difficulté de réunir les ingrédients ou l’impossibilité de les trouver et même le coût élevé de ces ingrédients.

En premier lieu, il importe de se référer à ce que les participants considèrent comme étant leur tradition et leur patrimoine alimentaire. Leurs réponses ont toutes été très homogènes et les mêmes plats et ingrédients sont revenus sans faute : riz, haricot, congrí79, viande de porc, banane plantain, malanga, manioc ainsi que le goût pour la friture et le sucre. Quelques participants par exemple ont rajouté à leur liste le tamale, sorte de pâte de maïs cuite à l’intérieur des feuilles même de l’épi. Or, ceux-ci ont par la suite souligné ne plus les préparer à la maison, car le maïs est couteux à La Havane puisqu’il provient des provinces centrales de l’île. Les ingrédients ne sont également pas toujours de confiance. En effet, il est possible d’acheter du maïs déjà moulu dans les marchés, mais les participants ont mentionné qu’il était souvent additionné d’eau ou de farine de maïs, rendant la pâte de piètre qualité. C’est de plus une préparation qui demande beaucoup de temps et peu de familles semblent prêtes à investir leurs journées à la confection de ce plat traditionnel. Andrés et Olivia poursuivaient également en mentionnant qu’il était de coutume de préparer les tamales lorsqu’ils vivaient en milieu rural et que leur famille avait l’opportunité de semer le maïs. La tradition de consommer le tamale ne s’est pas nécessairement perdu, mais s’est plutôt converti en un plat qui est plus souvent acheté à l’extérieur que préparé à la maison. La disponibilité des aliments est donc un élément important à prendre en compte dans la reproduction du patrimoine. Le témoignage suivant illustre la difficulté de reproduire un type de dessert qui nécessite le gras du lait, sa réalisation dépendant donc de l’accès au lait frais.

Eugénie : Te rappelles-tu des recettes que faisait ta famille depuis toujours et que tu continues de faire?

Isabel : Oui, de ma grand-mère, c’était une excellente cuisinière. Je disais justement que si je réussis à acheter du lait à plusieurs occasions et d’accumuler la crème, accumuler une tasse de crème, qui est le gras, ma grand-mère faisait un gâteau, un dessert à la crème.80

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Plat composé d’un mélange de riz et de haricot noir, assaisonné avec de l’oignon, de l’ail, du cumin, et autres condiments.

80 Eugénie : Te acuerdas de recetas que hacía tu familia desde antes y que vuelves a hacer? Isabel : Sí, de

mi abuela, era una excelente cocinera. Ahora mismo decía que si logro comprar leche en varias ocasiones y acumular nata, acumular una tasa de nata, que es la grasa, mi abuela hacia una panatela, u n dulce de nata.

La grande difficulté de se procurer du lait frais81 en milieu urbain agit sur ce classique familial et pourrait engendrer sa perte. Toutefois, même s’il ne peut pas être reproduit fréquemment, il semble demeurer dans la mémoire de cette participante, ce qui est un gage de survie en quelque sorte.

En deuxième lieu, il semble également important de faire ressortir des classiques cubains qui ne font pas nécessairement partie de la tradition vivante des participants, pour comprendre leur place au sein du patrimoine. Si aucun participant n’a noté ce plat typique de bœuf qui s’appelle ropa vieja (Figure 11) dans sa conception de la cuisine traditionnelle cubaine, il semble malgré tout nécessaire de le mentionner. En effet, il est toujours présent dans les livres de recettes traditionnelles ou encore dans les paladares offrant de la gastronomie cubaine, mais parait aujourd’hui être réservé à l’élite ou encore aux touristes. Ce plat était, avant la révolution, souvent préparé par les familles à plus faible revenu, car il est cuisiné à partir d’une partie du bœuf plutôt coriace qui était à ce moment peu dispendieuse et devait être cuite pendant plusieurs heures. Actuellement, la difficulté de se procurer du bœuf ainsi que son coût prohibitif peuvent expliquer pourquoi ce plat dit emblématique n’est plus considéré par les citoyens moyens comme faisant partie de leur tradition.

Figure 11 — Plat de ropa vieja et salade, servi dans un paladar

(Photo Eugénie Jacques, 2014)

Un autre exemple serait ce plat traditionnel notamment encensé par l’anthropologue cubain Fernando Ortiz en 1940 : l’ajiaco. Pour lui, ce plat représente l’image métaphorique de la formation du peuple cubain où plusieurs ingrédients et

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techniques de différentes cultures ont été mélangés pour former une soupe nationale (Ortiz, 1940). Pourtant, une seule participante a fait référence à l’ajiaco comme faisant partie du patrimoine alimentaire cubain, alors que trois autres l’ont mentionné lorsqu’une question directe a été soulevée par rapport à ce plat. Il est possible que le peu de référence à ce plat emblématique soit dû au fait qu’il est constitué d’une longue liste d’ingrédients82 qui doivent être couteux et difficiles de réunir tous en même temps, surtout la viande de bœuf.

La restauration pourrait être un lieu de recherche du patrimoine alimentaire, un endroit où promouvoir les recettes traditionnelles, pourtant ce ne semble pas toujours être le cas. Des participants ont d’ailleurs fait allusion au « sauvetage » du patrimoine alimentaire grâce éventuellement à la restauration, comme s’il leur semblait perdu. La restauration parait surtout s’adapter aux goûts et aux préférences des Cubains et des touristes, ce qui ne pousse pas nécessairement les restaurateurs à expérimenter ou ressortir d’anciennes recettes. Sous cet aspect, la réalisation de certaines recettes classiques semble donc avoir été affectée par la période spéciale, ou plus spécifiquement l’instabilité des marchés agricoles et d’importation qui s’en est suivi et qui perdure même encore aujourd’hui. Certaines traditions ont pu être laissées de côté pour satisfaire le marché touristique ou en raison de la marge de manœuvre limitée que peuvent se permettre les Havanais en matière d’alimentation.