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Contextualisation et analyse par thèmes

2) La contractualisation, entre statu quo et stratégies

Pour les éleveurs rencontrés, le passage des quotas aux contrats, fixés entre les producteurs et les laiteries (privées ou coopératives), est une illusion, un excès de vocabulaire. Cependant, le transfert d’un volume fixé par l’Etat, à un droit à produire fixé par la laiterie, offre de nouvelles opportunités, tant pour les éleveurs que pour les industriels.

Nous verrons dans un premier temps, comment les contrats sont envisagés, dans la continuité des quotas. Dans une deuxième partie, nous étudierons les avantages que permettent les contrats, du point de vue des producteurs et des laiteries.

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2.1) Le passage des quotas aux… quotas ?

Le passage des quotas aux contrats semble concrètement n’avoir rien changé pour les éleveurs. Ils expriment une déception face à ce passage d’une référence à une autre, sans réel gain sur le volume ou sur le prix. Les éleveurs qui s’attendaient à une libération des volumes, ont été âprement déçus par la contractualisation au sens où il s’agit aussi d’un encadrement de la production. Le système n’a quasiment pas changé, les pénalités font office de protection face à la surproduction. Ce n’est cependant plus l’Etat qui régule le marché mais les laiteries qui gèrent leurs approvisionnements par le biais des pénalités. La mise en pratique du système de contractualisation s’est imposée aux éleveurs. Les OP n’étaient pas fortes, car encore peu structurées, quand les contrats ont été proposés par les industriels aux éleveurs. De plus, le syndicat majoritaire a œuvré pour le non- renouvellement des quotas et donc, avec ou malgré lui, il a favorisé l’apparition des contrats.

Martine : « On se doutait bien qu’à la fin des quotas, y aurait pas à produire… Pis après on a vu apparaître les contrats, on a compris. On a dit : c’est une continuité des quotas. » (E10 – Lactalis)

Guy : « Les références sont toujours là. Tu dépasses, on te pénalise. Donc je sais pas, pour moi y a toujours les quotas. » (E21 – Agrial)

2.2) Quelle est l’utilité des contrats dans un contexte de gestion de l’offre laitière ?

Le contrat définit, en premier lieu, un droit à produire. Il correspond à un volume maximal déterminé d’un commun accord par la laiterie et par le producteur. En réalité, les

volumes décidés par les contrats ont repris la référence historique du quota. Pour les laiteries privées, comme pour les coopératives, c’est la dernière référence laitière de l’aire quota qui a fait référence pour la rédaction du contrat (déterminée par FranceAgriMer, avant le 31 Mars 2015). A cette dernière référence s’ajoute celle de la matière grasse. Si le lait produit auparavant était de bonne qualité (TBTP élevés), alors le droit à produire déterminé dans le contrat était plus important (et inversement). Aussi, si l’éleveur n’a pas réalisé plus de 85 % de son quota, sur les deux dernières campagnes laitières, alors la référence de son contrat est calculée sur la moyenne livrée (source : Chambre d’Agriculture de Normandie). De plus, notons que certaines coopératives (non-rencontrées) ont mis en place un système de double prix afin de limiter la surproduction (la coopérative doit en théorie collecter tout le lait produit par ses coopérateurs).

Pour les producteurs qui cherchent du volume, l’achat de contrat peut être une solution pour éviter les pénalités et sécuriser le droit à produire. Certaines laiteries appliquent des pénalités aux dépassements. Sans l’achat de contrat, les éleveurs qui cherchent à augmenter leurs productions se trouvent bloqués et contraints à produire moins. La cessibilité marchande des contrats en fait une bonne opportunité pour les éleveurs cédants. Arrivés à l’âge de la retraite, ou voulant sortir de la profession, ils trouvent une plus-value dans la vente de leurs droits à produire. Comme pour le droit à polluer, les droits à produire, sont devenus une marchandise par le biais des contrats. Le passage des quotas aux contrats n’a fait que développer et mettre en lumière ce procédé. Ajoutons que les contrats Lactalis se vendent à un prix plus élevé que les « contrats » Agrial par exemple. En effet, le contrôle stricte des volumes et l’importance des pénalités chez Lactalis, font des contrats un bien prisé. La coopérative Agrial n’a pas mis en place de contrats marchands, mais des équivalences. Elles correspondent à un transfert de part sociale entre cédant et acquéreur. Ainsi, ces parts sociales prennent une valeur marchande. Au-delà de l’interrogation, nous avons pu entendre parler, au cours des entretiens, de l’existence de « pas-de-porte » sur la vente des contrats.

Damien : « Le volume de lait, en fin de compte, ça tourne entre 15 et 20 centimes du litre de lait, voire 25, ça dépend des endroits. Chez Lactalis c’est plus 25 comme les pénalités sont plus chères.» (E20 – Agrial)

Comme pour les éleveurs, les contrats ont une réelle utilité stratégique pour les laiteries. En effet, pour réaliser un transfert de contrats d’une exploitation à une autre, l’aval de la laiterie est nécessaire puisqu’elle est cosignataire du contrat. Cependant, laisser la décision finale à la laiterie n’est-il pas risqué ? L’intérêt pour ces structures est stratégique. Si elles souhaitent un jour restructurer leurs parcours et réseaux de collecte, il leur suffira d’attendre la cessibilité du contrat d’une exploitation et d’orienter le droit à produire vers l’exploitation de son choix. Le statut non-sécable des contrats et leurs prix élevés vont dans le sens d’une préférence de collecte des laiteries vis-à-vis des grosses structures agricoles. Ces dernières sont souvent les seules à avoir les capacités d’investissements nécessaires pour acheter des contrats et pour financer un outil de production, capable d’absorber un volume supplémentaire.

66 Partie 3 : Contextualisation et analyse par thèmes

Ajoutons, que la non-entente des laiteries au sujet de la cessibilité des contrats impacte clairement les transferts de lait. Un éleveur chez Agrial ne pourra pas acheter un contrat Lactalis, et vice-versa. Chaque laiterie garde la main mise sur son cheptel d’exploitation et surtout sur son volume collecté.

Denis : « On a vendu 50€ la tonne. […]. Y en a un qui dépassait pas mal cette année alors ça va l’arranger un p’tit peu. Et pis y en a un autre, il a refait sa stabu, et il avait cor’ les moyen de faire 200 000-280 000… […] Ce qu’il y a c’est qu’il faut être à la même laiterie ! Sinon ça aurait été un gendre, mais comme on n’est pas à la même laiterie c’est pas possible. » (E19 – Lactalis)

Jean-Michel : « En faisant zéro avoir cette année je pense qu’ils ont compris qu’ils motivaient un peu à l’achat. Parce que je crois qu’il y a 1 cédant pour 7 acheteurs… Moi dans mon cas si j’avais voulu 30 000 c’était pas possible, c’est minimum 100 000. Donc là tu vois, la politique délibérée de Lactalis c’est de faire en sorte qu’ il n’y est pas d’épicerie et que finalement les gros volumes aillent déjà à des exploitations qui sont importantes et bien en place. » (E23 – Lactalis)

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Nous avons vu que le passage des quotas aux contrats n’avait pas vraiment bousculé les choses du point de vue des éleveurs. Les contrats, s’inscrivent bel et bien dans la continuité des quotas. Les éleveurs, qui avaient espéré une libération de la production, ont trouvé un nouveau droit à produire et dépendent désormais des laiteries. Nous sommes alors passés d’une gestion administrative des volumes, à une gestion privée. Le passage aux contrats trouve son utilité pour certains éleveurs et pour les laiteries. A l’avenir, la cessibilité des contrats et le droit de regard des entreprises de collectes présentent un risque potentiel pour l’avenir du secteur laitier. Nous sommes à même de nous demander, si nous nous dirigeons vers la démocratisation des droits à produire, par le biais de contrats cessibles en plusieurs parts ?

Vincent : « D’après le gars de la laiterie là, d’ici à la fin de l’année, on pourra partager le quota s’tu veux. Je pourrais peut-être en vendre à deux ou trois personnes différentes, tandis que pour l’instant, on peut en vendre qu’à une seule personne, ou qu’une seule société. » (E2 – Agrial)

La loi Sapin 2, votée à l’assemblée le 9 Juin 2016, propose dans l’article 30 : l’interdiction de « la cession à titre onéreux des contrats de vente de lait de vache pendant une période de cinq ans à compter de la publication de la loi. » Cette loi tend à faire péricliter la « pratique de « marchandisation » des contrats » à l’œuvre, « pendant la période nécessaire à la transition progressive vers de nouveaux équilibres. » (ASSEMBLEE NATIONALE, 2016). Selon cette nouvelle proposition, les contrats ne seront donc plus marchands jusqu’en 2022. Ainsi, les stratégies

 L’avis des professionnels des structures encadrantes

Deux tendances perpendiculaires sont à l’œuvre entre l’achat de contrat et la crise exprimée par l’adhésion au plan de soutiens à l’élevage. Le contrat est un investissement dans un outil qui permet d’accroître les volumes. Il évite à certains éleveurs la pénalité, et assure à d’autres une prime à la cessation. Ils ne sont pas transférables d’une laiterie à l’autre, ils instaurent un rapport figé avec les producteurs. Ils disposent toujours aujourd’hui d’une valeur marchande. Les stratégies des laiteries influencent fortement le rapport des producteurs aux contrats.

A la rédaction des contrats, les OP et syndicats n’ont pas été écoutés. Les