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3. Un enseignement ésotérique

3.3. La contemplation époptique

Si l’hebdomade est le lieu de la purification, l’ogdoade en revanche est le lieu de la pureté, la demeure supérieure, le sanctuaire interdit aux impurs et réservé

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CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Stromates IV, 39 : « Ἐπεὶ δὲ τῶν ἀπαγόντων εἰς τὴν τελείωσιν τῆς

σωτηρίας ὁδοὶ εὑρίσκονται δύο, ἔργα καὶ γνῶσις, μακαρίους εἶπεν τοὺς καθαροὺς τὴν καρδίαν, ὅτι αὐτοὶ τὸν θεὸν ὄψονται. κἂν τῷ ὄντι τὸ ἀληθὲς σκοπῶμεν, ἡ γνῶσις, <ᾗ> τοῦ ἡγεμονικοῦ τῆς ψυχῆς κάθαρσίς ἐστι, καὶ ἐνέργειά ἐστιν ἀγαθή. ἀγαθὰ γοῦν τὰ μὲν αὐτὰ καθ’ ἑαυτά, τὰ δὲ μετέχοντα τῶν ἀγαθῶν, ὡς τὰς καλὰς πράξεις φαμέν· ἄνευ δὲ τῶν μεταξύ, ἃ δὴ ὕλης ἐπέχει τάξιν, οὔθ’ αἱ ἀγαθαὶ οὔθ’ αἱ κακαὶ συνίστανται πράξεις, οἷον ζωῆς λέγω καὶ ὑγιείας τῶν τε ἄλλων τῶν ἀναγκαίων ἢ περιστατικῶν. καθαροὺς οὖν κατὰ τὰς σωματικὰς ἐπιθυμίας καὶ ἁγίους τοὺς διαλογισμοὺς τοὺς εἰς ἐπίγνωσιν τοῦ θεοῦ ἀφικνουμένους εἶναι βούλεται, ἵνα μηδὲν ἔχῃ νόθον ἐπιπροσθοῦν τῇ δυνάμει ἑαυτοῦ τὸ ἡγεμονικόν. », éd. A. VAN DEN HOEK, trad. C. MONDÉSERT, Sources chrétiennes 463, p. 122-125.

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Voir également Stromates VI, 109 ; VII, 12, 4-5 ; 20, 3-6.

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à la contemplation. Le terme ἐποπτεία « contemplation » appartient au langage des cultes à mystère (à Eleusis par exemple, il désigne le plus haut degré de connaissance et d’initiation)184

. Clément pose une équation reliant le grand prêtre185 et l’initié aux mystères, le Temple et l’ogdoade.

Selon l’Alexandrin, l’époptie dans laquelle s’installe le gnostique au terme de sa formation est certes contemplation de Dieu selon l’usage des mystères païens, mais elle est aussi contemplation du monde186 :

« Bienheureux les pacifiques. » [Mt 5, 9] Après avoir dompté et apprivoisé la loi qui en nous s’oppose aux ambitions de l’esprit, c’est- à-dire les menaces de la colère, les attraits du désir et toutes les passions qui combattent la raison, ceux qui ont passé leur vie dans la science à la fois des bonnes œuvres et de la vraie raison, seront rétablis dans la filiation divine la plus étroite. Or la pacification parfaite est bien celle qui en toute occasion conserve immuable sa disposition pacifique, qui déclare la providence sainte et bonne, qui est établie sur la science des choses divines et humaines, grâce à laquelle elle regarde les contradictions qui sont dans le monde comme la plus belle harmonie de la création.187

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Cf. CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Stromates I, 15, 2 ; 176, 2-3 ; II, 47, 4. Sur la contemplation

platonicienne, cf. James B. WALLACE, Snatched into Paradise (2 Cor 12:1-10). Paul’s Heavenly

Journey in the Context or Early Christian Experience (Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche 179), Berlin, New-York : W.

de Gruyter, 2011, p. 47-53 ; et sur sa réception, cf. T. RASIMUS, Paradise Reconsidered in

Gnostic Mythmaking, p. 256 n. 62, par ailleurs Christophe RIEDWEG, Mysterienterminologie bei

Platon, Philon und Klemens von Alexandrien (Untersuchungen zur antiken Literatur und Geschichte 26), Berlin, New-York : W. de Gruyter, 1987 ; Herbert G. MARSH, « The Use of ΜΥΣΤΕΡΙΟΝ in the Writings of Clement of Alexandria », Journal of Theological Studies 37 (1936), p. 64-80.

185 Ce qui apparaît dans l’extrait précité, Stromates VII, 10, 3, cf. V, 41, 1 ; VII, 29, 4-7 et plus

largement sur le grand prêtre et le sceau : Charlotte TOUATI, « Effective Writing. The Inscription of the Rosette on the High Priest’s Forehead and the Egyptian Reception of Exodus 28 »,

Writing and Scribalism, éd. Philip DAVIES, ThomasRÖMER (à paraître).

186

Stromates II, 5, 1, voir le commentaire des éditeurs P. CAMELOT, C. MONDÉSERT, Sources

chrétiennes 38, p. 36 n. 1 ; cf. Stromates IV, 40, 3 ; VI, 49, 2 ; 69, 3 ; 75, 1 ; 79, 1 ; 102, 1-2 ;

VII, 44, 6-7 ; 57, 1 ; 3 ; 86, 7.

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CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Stromates IV, 40, 2-3 : « ‘Μακάριοι’ τοίνυν ‘οἱ εἰρηνοποιοί.’ τὸν

ἀντιστρατηγοῦντα νόμον τῷ φρονήματι τοῦ νοῦ ἡμῶν, τοῦ θυμοῦ τὰς ἀπειλὰς καὶ τῆς ἐπιθυμίας τὰ δελέατα τά τε ἄλλα πάθη, ὅσα πολεμεῖ τὸν λογισμόν, τιθασεύσαντες καὶ ἐξημερώσαντες, οἱ μετ’ ἐπιστήμης ἔργων τε ἀγαθῶν καὶ λόγου ἀληθοῦς καταβιώσαντες εἰς υἱοθεσίαν ἀποκατασταθήσονται τὴν προσφιλεστάτην. εἴη δ’ ἂν ἡ τελεία εἰρηνοποίησις ἡ ἐπὶ παντὶ τῷ συμβαίνοντι ἄτρεπτον φυλάσσουσα τὸ εἰρηνικόν, ἁγίαν τε καὶ καλὴν τὴν διοίκησιν λέγουσα, ἐν ἐπιστήμῃ θείων καὶ ἀνθρωπίνων πραγμάτων καθεστῶσα, δι’ ἧς τὰς ἐν τῷ κόσμῳ ἐναντιότητας ἁρμονίαν κτίσεως καλλίστην λογίζεται », éd. A. VAN DEN HOEK, trad. C. MONDÉSERT, Sources

La Loi et la sagesse des philosophes188 ne suffisent toutefois pas si l’amour fait défaut. Dieu éduque l’homme qu’il aime189

; sans cet amour, pas de salut190. De même, l’observant qui fait l’aumône sans amour ne récoltera aucun fruit191

. Ἀγαπή surpasse l’économie ; elle lui donne littéralement son sens et par conséquent, lui sert de moteur. Bidirectionnelle192, elle provoque un mouvement ascendant vers le Père qui, de son côté, attire l’homme à lui par amour193. L’amour « […] a la maîtrise du sabbat, selon l’ascension gnostique »194. Ἀγαπή domine les cycles planétaires et calendaires, puisque la domination du sabbat signifie le retour (apocatastase) dans le repos195 après une formation douloureuse et purgatoire à travers les sphères inférieures196.

C’est également par amour que les anges se penchent sur la destinée des hommes. Un amour ambigu, presque intéressé. Si certains d’entre eux ont connu la chute et tentent d’entraîner les humains dans leur perte, ceux qui se sont maintenus veulent également attirer l’âme humaine, mais vers le haut, visant l’apocatastase197

, pour les hommes, certes, mais aussi pour eux-mêmes.

chrétiennes 463, p. 125. Sur la domination des forces du mal selon une expression guerrière : Stromates IV, 26, 5 ; V, 39-40 ; VI, 138, 3 ; VII, 44, 7.

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Dans le passage précité (Stromates IV, 37, 2-3), Clément applique son programme de pédagogie progressive : Platon est commenté et en quelque sorte complété par les explications suscitées par l’enseignement de Jésus, en l’occurrence, les macarismes du sermon sur la montagne. Chaque énoncé constate la « béatitude » de celui qui s’est acquis la qualité citée dans le macarisme et représente une étape d’ascension spirituelle, cf. Agnès BASTIT, « Les béatitudes matthéennes (Mt 5, 1-10) comme péricope dynamique dans l’exégèse ancienne de Clément d’Alexandrie à Augustin », Saint Augustin et la Bible. Actes du colloque de l’Université

Paul Verlaine-Metz (7-8 avril 2005) (Recherches en littérature et spiritualité 15), Gérard

NAUROY, Marie-Anne VANNIER (éd.), Berne : Peter Lang, 2008, p. 179-213 (187-191).

189

Cf. Stromates VII, 84, 1-2. Dans le passage précité : « Ces hommes doux par volonté et non par nécessité, il les loue. »

190 L’amour filial de Dieu pour ses élus renvoie au motif de l’adoption, cf. Stromate IV, 26, 5 ; VI,

75-77, 2. Le Dieu de Clément est tout de miséricorde : une peine est toujours pédagogique, jamais punitive, cf. Stromates IV, 53, 1 ; VII, 61, 5.

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Cf. Stromates IV, 29, 3.

192

Cf. Stromates, VI, 104, 1 ; VII, 9, 3 ; 10 ; 3 ; 57, 4 ; 68, 1-2.

193

Cf. Stromates II, 134, 4 ; IV, 27-29 ; V, 83, 1 ; VI, 46, 1 ; 47, 1 ; 49, 7 ; VII, 10, 3.

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CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Stromates IV, 29, 3 : « [ Ἀγαπή ] ἡ κυριεύουσα τοῦ σαββάτου κατ’ ἐπανάβασιν γνωστικήν. », éd. A. VAN DEN HOEK, trad. C. MONDÉSERT, Sources chrétiennes 463,

p. 104-104. L’amour mène au repos, cf. Stromates VII, 68, 5.

195

Cf. Stromates II, 4, 4. Référence à Héb 12, 5-6 ; VII, 40, 1-3.

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Cf. Stromates IV, 53, 1 ; 158-159 ; V, 106, 3-4 ; VII, 57, 5. Ailleurs, il est question de dix jours de pénitence, correspondant aux cercles de pureté autour de l’Arche, mais à partir du huitième, on entre dans le Temple, cf. A.C. ITTER, Esoteric Teaching in the Stromateis, p. 39- 43.

197 En Stromates II, 98, 1-2, le repentant est « rétabli à sa place » (ἀποκατασταθεὶς) pour

Une telle affirmation pourrait paraître provocante : elle est purement « économique ». Dans la mécanique exposée par Clément, la progression d’un individu conditionne le repos des êtres qui se trouvent au-dessus de lui et qui l’ont formé. L’apocatastase générale devrait même être la conséquence du salut individuel198. Mais toutes les âmes seront-elles purifiées ? Tous les hommes gagneront-ils vraiment le repos ou seulement un nombre prédéfini d’élus ? Clément laisse flotter un voile de mystère sur ce point.

La maîtrise de la physique gnostique, c’est-à-dire la compréhension de l’économie divine, est également prise de conscience de la fonction d’ἀγαπή dans le monde. Tandis que les Grecs attribuent le mal à une aveugle nécessité199, le gnostique comprend que Dieu tolère le mal par amour et pour le salut de l’homme200. C’est pourquoi le sage ne se rebelle plus, ne redoute rien. Dans le cas contraire, sa révolte n’aboutirait qu’à susciter de nouveaux démons. Il a atteint le repos201 et aucune calamité ne peut troubler sa sérénité, pas même l’angoisse de la mort somatique : « Le résumé de toute vertu, à mon avis, c’est quand le Seigneur nous enseigne que nous devons, par amour de Dieu, mépriser la mort de façon plus gnostique. »202