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De même que l’auteur de la Pistis Sophia, Théodote explique la configuration actuelle de l’univers comme le nouvel équilibre établi suite à une succession de cataclysmes provoqués par des fautes morales. En effet, l’éclatement du plérôme et l’existence du monde matériel sont les conséquences d’une transgression. Néanmoins, cette nouvelle situation n’est pas faite pour durer : l’univers dans ses diverses parties n’aspire qu’à disparaître et, paradoxalement ne se maintient qu’à cette unique fin.

Du point de vue de l’auteur, le cosmos est encore déployé, ou éclaté, en sept sphères qui constituent le monde matériel, auxquelles s’en ajoute une huitième, l’ogdoade, de l’ordre du spirituel. Cette création en cascade est appelée à se résorber pour reconstituer l’unité du plérôme. La description du processus de restauration est au cœur des Extraits de Théodote, il en est même l’objet principal.

L’être humain est totalement impliqué dans ce retour (apocatastase), dont le caractère purgatoire se manifeste à deux niveaux : le premier est collectif, puisque seule une partie de l’humanité sera restaurée ; le second est individuel,

458

Cf. Tellington cité par A.C. ITTER, Esoteric Teaching in the Stromateis, p. 8 ; A. JAKAB,

Ecclesia Alexandrina, p. 66.

459

Cf. Michel TARDIEU, « Histoire du mot ‘gnostique’ », Introduction à la littérature gnostique, éd.

Jean-Daniel DUBOIS, Michel TARDIEU, Paris : Les Éditions du Cerf, Éditions du CNRS, 1986, t. 1, p. 21-37. La position de Clément a été qualifiée de « gnose orthodoxe », cf. C.MONDÉSERT,

Sources chrétiennes 30, Paris, 1951, p. 1 et 10 ; CLÉMENT D’ALEXANDRIE, et Stromate II, P. CAMELOT, Sources chrétiennes 38, p. 22. Cette finesse de nomenclature, peu économique, n’est guère justifiable. Choufrine thématise la distinction possible entre gnose orthodoxe et hétérodoxe, résume les débats et apporte de nombreuses références, cf. A. CHOUFRINE,

puisqu’au sein de ce groupe, à l’intérieur même de chacun, seule une partie de l’homme sera sauvée.

2. Anthropologie

Les Extraits de Théodote donnent une version relativement classique de l’anthropologie valentinienne460 : l’humanité se répartit entre trois types d’âmes, générées par les trois fils d’Adam et Ève, à savoir Caïn, Abel et Seth. La descendance de Caïn le maudit, associée à la matière (ὑλή) et au corps, est vouée à disparaître. La descendance d’Abel est celle des justes, les « psychiques », qui ne sont que de simples « appelés »461 par opposition à la descendance de Seth, formée d’« élus » dits « pneumatiques ».

L’anthropologie valentinienne implique une réflexion sur la prédestination et le libre-arbitre. Les Extraits de Théodote sont tout à fait explicites :

La race pneumatique est donc sauvée par nature, la psychique dotée du libre-arbitre peut tendre vers la foi et l’incorruptibilité ou vers l’incroyance et la corruption selon son propre choix462

. La race hylique est par nature vouée à disparaître. […] De ces trois races, surviennent la formation de la pneumatique et la transposition [μετάθεσις] de la psychique de l’esclavage à la liberté.463

460

Cf. Extraits de Théodote 50-57.

461

Cf. Extraits de Théodote 21.

462 L’idée d’une oscillation capricieuse des psychiques entre pneumatiques et hyliques au gré

de la fatalité est due à IRÉNÉE (Adv. haer. I, 6, 1-4), cf. J.L. KOVACS, « Echoes of Valentinian Exegesis », p. 319. D. Hausschield reconnaît une frontière passant non pas entre Clément et les valentiniens, mais divisant la secte elle-même. La prédestination est le critère déterminant : d’un côté Clément ou Théodote enseignent que l’on devient pneumatique et de l’autre Ptolémée, pour qui l’illumination revient à se découvrir pneumatique. La première position est celle que nous exposons dans les présentes pages ; quant à la seconde, nous ne savons si elle doit vraiment être distinguée et opposée à la première, cf. Wolf-Dieter HAUSCHILD, Gottes Geist

und der Mensch : Studien zur frühchristlichen Pneumatologie (Beiträge zur evangelischen Theologie 63), Munich : C. Kaiser, 1972, p. 274.

463 Extraits de Théodote 56, 3 et 57,1 : « Τὸ μὲν οὖν πνευματικὸν φύσει σῳζόμενον· τὸ δὲ

ψυχικόν, αὐτεξούσιον ὄν, ἐπιτηδειότητα ἔχει πρός τε πίστιν καὶ ἀφθαρσίαν, καὶ πρὸς ἀπιστίαν καὶ φθοράν, κατὰ τὴν οἰκείαν αἵρεσιν· τὸ δὲ ὑλικὸν φύσει ἀπόλλυται. […] Γίνεται οὖν, ἐκ τῶν γενῶν τῶν τριῶν, τοῦ μὲν μόρφωσις τοῦ πνευματικοῦ, τοῦ δὲ μετάθεσις τοῦ ψυχικοῦ ἐκ δουλείας εἰς ἐλευθερίαν. », éd. F. SAGNARD, Sources chrétiennes 23, p. 172-174. La métathèse et la libération de l’esclavage en Égypte (Extraits de Théodote 56, 5) sont des thématiques privilégiées dans l’œuvre originale de Clément.

Les psychiques forment la catégorie intermédiaire qui nous intéresse. Ils nécessitent d’être éprouvés 1) pour savoir s’ils méritent d’être sauvés 2) pour être effectivement sauvés. L’examen qu’ils subissent est purgatoire, c’est-à-dire qu’il purifie en même temps qu’il juge. De surcroît, il est igné et localisé, puisqu’il se manifeste dans le monde :

Les justes issus d’Adam, cheminant à travers les choses créées, étaient détenus dans le Lieu, selon les valentiniens. Les autres, dans ce qui est créé de la ténèbre, dans ce qui est à gauche, ont la sensation du feu. « Un fleuve de feu s’avance de dessous le trône » [Dn 7, 10] du Lieu et coule dans le vide du créé, c’est-à-dire la Géhenne, qui n’est jamais remplie malgré le feu qui s’y déverse depuis la création. Et le Lieu lui-même est enflammé.464

Le monde, c’est-à-dire « les choses créées », est comme un creuset dans lequel se déverse le feu du plérôme. Le Lieu est l’autre nom pour le Temple ou le Saint des saints. Il est plein, c’est le plérôme, tandis que le monde, béance insondable, ne serait rien de moins que la Géhenne. Il est tout à fait vraisemblable que, dans le Contre Celse465, Origène se soit souvenu de l’image de Dieu trônant, déversant son feu pour purifier les âmes de la Géhenne.

Cet ouvrage est un vaste argumentaire contre un philosophe grec ayant lui- même composé une diatribe antichrétienne dans la seconde moitié du IIe siècle. Celse a donc connu la génération de gnostiques à laquelle appartenait Théodote.

Dans le Contre Celse, la mention de la Géhenne s’inscrit dans un débat sur la description du cosmos sous la forme d’un diagramme que Celse attribue aux chrétiens. Origène rétorque qu’un tel diagramme est propre à un groupe hérétique, que nous pouvons aujourd’hui identifier et rapprocher des

464 Extraits de Théodote 37-38, 1 : « Οἱ ἀπὸ Ἀδὰμ ἐξελθόντες, οἱ μὲν Δίκαιοι, διὰ τῶν ἐκτισμένων τὴν ὁδὸν ποιούμενοι, παρὰ τῷ Τόπῳ κατείχοντο, κατὰ τοὺς Οὐαλεντινιανούς· οἱ δὲ ἕτεροι, ἐν τῷ τοῦ σκότου ἐκτισμένῳ ἐν τοῖς ἀριστεροῖς, ἔχοντες συναίσθησιν τοῦ πυρός. — ‘Ποταμὸς ἐκπορεύ- εται πυρὸς ὑποκάτω τοῦ θρόνου’ τοῦ Τόπου, καὶ ῥεῖ εἰς τὸ κενὸν τοῦ ἐκτισμένου, ὅ ἐστιν ἡ Γέεννα, ἀπὸ κτίσεως τοῦ πυρὸς ῥέοντος μὴ πληρουμένη. Καὶ αὐτὸς δὲ ὁ Τόπος πύρινός ἐστι. », éd. F. SAGNARD, Sources chrétiennes 23, p. 140.

465

valentiniens466. Il apporte un correctif en donnant sa propre vision du cosmos. Force est de constater que la digression d'Origène ressemble beaucoup à la description des Extraits de Théodote. Autrement dit, pour contrer Celse, Origène rejette les porteurs du diagramme gnostique, mais va alors défendre, toujours contre Celse, une position qui pourrait être la leur.

On peut rétorquer que les Extraits de Théodote sont des fragments gnostiques cimentés par Clément. C'est donc le mortier posé par celui qui fut l’un des maîtres d’Origène qui fixe l'architecture de l'ensemble et lui donne sens. Mais si notre lecture de Théodote est conditionnée par la mise en contexte préalable de Clément, dans ce passage précis tout au moins, Clément attribue explicitement la mention de la Géhenne aux valentiniens. De même, la description précise du diagramme n'est connue que par Origène. Notre dépendance à son égard est donc totale.

Si, en voulant donner le sens correct du diagramme, qui vraisemblablement n'est pas ou plus celle de ses porteurs à l’heure où Origène écrit et que malgré tout ce dernier retrouve quelque chose de similaire à l’enseignement de Théodote, deux conclusions s’imposent : 1) il a outré son verbe au sujet des gnostiques à des fins apologétiques contre Celse, mais partage pour partie leur point de vue 2) il tient pour erronées certaines traditions gnostiques telles qu’elles s’expriment à son époque, mais ne rejette pas les anciens maîtres. Nous reviendrons sur le sujet fort riche de ce diagramme, mais concentrons- nous pour l’heure sur les Extraits de Théodote.

Le cosmos sis en dessous du Lieu, c’est aussi l’espace aérien, ou hebdomade467, présenté comme le théâtre d’un combat d’où le Sauveur tire les âmes pour les mener vers la paix. Il s’agirait donc d’un espace de probation. Ce sont en fait les psychiques qui y sont soumis et comme l’hebdomade est le lieu des choses créées par le démiurge, tant que les psychiques ne sont pas libérés, ils lui appartiennent.

466

La classification des traités gnostiques et leur appartenance philosophique ou religieuse est une tâche délicate, cf. A. JAKAB, Ecclesia Alexandrina, p. 77-83 et bien entendu le collectif Les

Textes de Nag Hammadi et le problème de leur classification (BCNH.É 3), éd. Louis

PAINCHAUD, Anne PASQUIER, Québec : Les Presses de l'Université Laval, Louvain, Paris : Peeters, 1995. Par ailleurs, cf. Hans J. KRÄMER, Der Ursprung der Geistmetaphysik :

Untersuchungen zur Geschichte des Platonismus zwischen Platon und Plotin, Amsterdam :

B.R. Grüner, 19672, p. 234-259.

467

Nous sommes donc en mesure de conclure que les Extraits de Théodote décrivent des âmes intermédiaires et un lieu purgatoire, ce à quoi nous pouvons ajouter un temps de purgation : la semaine, assimilée à l’hebdomade, est une période de tribulation appartenant au démiurge, tandis que l’ogdoade est le « jour du Seigneur », de plénitude et de repos468

3. La résurrection

Si le monde est la Géhenne, les psychiques qui y sont engagés sont morts aussi longtemps qu’ils ne sont pas libérés. En revanche, les pneumatiques sont qualifiés de « vivants », parce qu’ils sont passés de la mort, qui symbolise la vie terrestre, à la vie véritable par la régénération du baptême de feu ou « sceau » :

Celui qui naît, la mère le conduit à la mort et dans le monde ; celui qui renaît, le Christ le mène à la vie, dans l’ogdoade. Ils meurent au monde, mais vivent en Dieu, de sorte que la mort est détruite par la mort, la corruption par la résurrection. Car, par le sceau du Père, du Fils et du Saint Esprit, il est protégé contre toute force adverse et par les trois noms, il écarte toute la triade de destruction.469

Les résurrections miraculeuses effectuées dans le monde par le Sauveur ne sont pas du même ordre que l’authentique résurrection spirituelle, mais lui servent d’images470

. L’auteur semble être conscient de l’équivoque, puisqu’il thématise la question pour prévenir toute confusion.

D’ailleurs, les résurrections, qu’elles soient terrestres ou spirituelles, ne s’arrêtent pas avec la vie de Jésus, parce que le Sauveur a transmis le

468

Extraits de Théodote 63, cf. F. SAGNARD, Sources chrétiennes 23, p. 184-186 et infra p. 263-

266.

469 Extraits de Théodote 80 : « Ὃν γεννᾷ ἡ Μήτηρ εἰς θάνατον ἄγεται καὶ εἰς κόσμον· ὃν δὲ

ἀναγεννᾷ Χριστὸς εἰς ζωὴν μετατίθεται, εἰς Ὀγδόαδα. Καὶ ἀποθνῄσκουσιν μὲν τῷ κόσμῳ, ζῶσι δὲ τῷ Θεῷ, ἵνα θάνατος θανάτῳ λυθῇ, ἀναστάσει δὲ ἡ φθορά. Διὰ γὰρ Πατρὸς καὶ Υἱοῦ καὶ ἁγίου Πνεύματος σφραγισθεὶς ἀνεπίληπτός ἐστι πάσῃ τῇ ἄλλῃ δυνάμει, καὶ διὰ τριῶν Ὀνομάτων πάσης τῆς ἐν φθορᾷ τριάδος ἀπηλλάγη· », éd. F. SAGNARD, Sources chrétiennes 23, p. 202- 204.

470

souffle471. Les apôtres deviennent les artisans de la régénération et remplacent, ou plutôt se substituent aux douze signes du zodiaque qui, autrefois, déterminaient chaque être humain à partir de sa naissance terrestre :

Les apôtres, dit-il, ont été substitués aux douze signes du zodiaque : car, de même que la naissance est régie par ceux-ci, la renaissance est supervisée par les apôtres.472

Les planètes et les étoiles n’agissent pas, mais indiquent. Les puissances adverses soumises au démiurge sont associées aux astres et résident dans leurs parages. Lorsqu’une planète ou une constellation atteint son zénith, la puissance archontique qui lui est associée est alors au faîte de son influence et s’attache les êtres créés à cette date. Par l’entremise de ses lieutenants, le démiurge contrôle entièrement la génération, depuis la création du premier homme, jusqu’à la naissance du dernier nourrisson473

. C’est alors que l’action du Sauveur s’interpose474

. Sa descente ouvre littéralement une brèche. Il apparaît comme un astre surnuméraire, l’étoile des mages (Mt 2, 2.9)475, et dérègle la mécanique céleste, tandis que sur terre, il instaure le baptême476 qui soustrait les âmes pneumatiques au déterminisme astral :

De même donc que la naissance du Sauveur nous a fait sortir de la génération et de la Fatalité, son baptême aussi nous a retiré du feu, et sa passion de la passion : de sorte que nous puissions faire

471

Cf. Extraits de Théodote 24, 1 ; 76 ; 81.

472 Extraits de Théodote 25, 2 : « Οἱ Ἀπόστολοι, φησί, μετετέθησαν τοῖς δεκαδύο ζῳδίοις· ὡς

γὰρ ὑπ’ ἐκείνων ἡ γένεσις διοικεῖται, οὕτως ὑπὸ τῶν Ἀποστόλων ἡ ἀναγέννησις <ἐφ>ορᾶται. », éd. F. SAGNARD, Sources chrétiennes 23, p. 110.

473

Cf. Extraits de Théodote 69-75.

474

Cf. Extraits de Théodote 68, 4 ; 74.

475

Cf. Extraits de Théodote 75. Cette étoile n’est « pas de ce monde », cf. Roy D. KOTANSKY, « The Star of the Magi: Lore and Science in Ancient Zoroastrianism, the Greek Magical Papyri, and St. Matthew’s Gospel », Annali di Storia dell’Esegesi 24 (2007), p. 379-421. Dans un chapitre consacré à l’étoile des Mages, A. Orbe ouvre un chapitre sur l’étoile des Mages par l’extrait 74 de Théodote. Le théologien en donne une analyse et une interprétation très sensibles tout en faisant dialoguer ce passage avec d’autres, contemporains, sur le même motif, cf. Antonio ORBE, Introduction à la théologie des IIe et IIIe siècles, trad. Joseph M. LÓPEZ DE CASTRO et al., Paris : Les Éditions du Cerf, 2012, t. 2, p. 871-891.

476 Cf. Extraits de Théodote 22 ; 76-78. L’Église peut prolonger l’action du Sauveur, parce

qu’elle a reçu le souffle. Cette action consiste notamment à administrer le baptême. Par conséquent Théodote pense à un baptême d’Esprit, cf. Extraits de Théodote 81.

route avec lui en tout. Car celui qui a été baptisé en Dieu est allé vers Dieu et a reçu le pouvoir de fouler aux pieds les scorpions et les serpents [Lc 10, 19], les puissances mauvaises. Et il ordonne aux apôtres : « Allez prêcher et baptisez ceux qui ont la foi au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » [Mc 16, 15 ; Mt 28, 19], dans lesquels nous sommes régénérés, l’emportant sur les autres puissances.

Ainsi le baptême est dit « mort et fin de l’ancienne vie » [Rm 6, 3], et « vie selon le Christ » [Col 2, 12], dont il est le seul maître, puisque nous avons délaissé les autorités mauvaises. La puissance de transformation du baptisé ne s’exerce pas sur le corps (car c’est le même qui remonte), mais sur l’âme. […]

Jusqu’au baptême donc, la Fatalité, disent-ils477

, est réelle : mais, après celui-ci, les astrologues ne disent plus la vérité.478

Les âmes régénérées par le baptême sont toujours présentes sur terre, dans le même corps qu’auparavant, mais vivent hors du monde479

, donc hors du champ d’action du démiurge et de ses archontes. Nous voyons ici un idéal ascétique, ce que confirme le terme ἀπάθειαdésignant l’état de l’âme après « restitution » (apocatastase) dans l’ogdoade480. Le monde étant né d’une passion, le salut consiste à s’en retirer481

.

477 C’est Clément qui parle, à propos des valentiniens. 478

CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Extraits de Théodote 76-77, 2 ; 78, 1 : « Ὡς οὖν ἡ γέννησις τοῦ

Σωτῆρος γενέσεως ἡμᾶς καὶ Εἱμαρμένης ἐξέβαλεν, οὕτως καὶ τὸ βάπτισμα αὐτοῦ πυρὸς ἡμᾶς ἐξείλετο καὶ τὸ πάθος πάθους, ἵνα κατὰ πάντα ἀκολουθήσωμεν αὐτῷ. Ὁ γὰρ εἰς Θεὸν βαπτισθεὶς εἰς Θεὸν ἐχώρησεν καὶ εἴληφεν ‘ἐξουσίαν ἐπάνω σκορπίων καὶ ὄφεων περιπατεῖν’, τῶν Δυνάμεων τῶν πονηρῶν. Καὶ τοῖς Ἀποστόλοις ἐντέλλεται· ‘Περιιόντες κηρύσσετε, καὶ τοὺς πιστεύοντας βαπτίζετε εἰς Ὄνομα Πατρὸς καὶ Υἱοῦ καὶ ἁγίου Πνεύματος’, εἰς οὓς ἀναγεννώμεθα, τῶν λοιπῶν Δυνάμεων ἁπασῶν ὑπεράνω γινόμενοι. Ταύτῃ θάνατος καὶ τέλος λέγεται τοῦ παλαιοῦ βίου τὸ βάπτισμα, ἀποτασσομένων ἡμῶν ταῖς πονηραῖς Ἀρχαῖς, ζωὴ δὲ κατὰ Χριστόν, ἧς μόνος αὐτὸς κυριεύει. Ἡ δύναμις δὲ τῆς μεταβολῆς τοῦ βαπτισθέν τος οὐ περὶ τὸ σῶμα (ὁ αὐτὸς γὰρ ἀναβαίνει), ἀλλὰ περὶ ψυχήν. […]Μέχρι τοῦ βαπτίσματος οὖν ἡ Εἱμαρμένη, φασίν, ἀληθής· μετὰ δὲ τοῦτο οὐκέτι ἀληθεύουσιν οἱ ἀστρολόγοι. », éd. F. SAGNARD,

Sources chrétiennes 23, p. 200-202. E. THOMASSEN (The Spiritual Seed, p. 29 ; 133) estime que cet extrait n’est ni de Clément ni de Théodote, mais d’un autre auteur gnostique.

479 Cf. Extraits de Théodote 22, 2 ; 54, 3 ; 80. 480 Cf. Extraits de Théodote 61, 3-4. 481 Cf. Extraits de Théodote 45-46 ; 67, 4 ; 72.

4. Le baptême de feu

Le baptême est donc l’instrument de la purgation de l’humanité en vue de l’apocatastase. Il peut aisément être qualifié de « baptême par le feu », comme le prouve cet extrait :

Du feu, l’élément corporel enflamme tous les corps, tandis que le pur, l’incorporel, disent-ils, enflamme les incorporels, à savoir les démons, les anges du mal, le diable lui-même. Ainsi, le feu supra- céleste est double de nature, intelligible et sensible. Par analogie, le baptême aussi est double : sensible par l’eau qui éteint le feu sensible, intelligible par l’Esprit qui repousse le feu intelligible.482

L’analogie entre feu et baptême est tenue pour acquise. Cet extrait permet également de saisir combien l’auteur attache d’importance à la dissimilation entre image et réalité. Nous avons déjà rencontré cette idée dans l’explication donnée aux résurrections miraculeuses, qui seraient en fait des images de la résurrection spirituelle. Clément la thématise en commentant deux citations de Théodote, sur des thématiques qu’il traite lui-même par ailleurs, relayant deux images empruntées aux Écritures : le frontal du grand prêtre et la pièce de monnaie à l’effigie de César. Le feu intervient dans chacun des cas.

Le frontal est une plaquette d’or dans la parure du grand prêtre au Temple de Jérusalem483, seul à oser pénétrer dans le Saint des saints484. Pour ce faire l’officiant retire ses ornements, image de l’âme qui se défait de sa dépouille charnelle : 482 Extraits de Théodote 81, 1-2 : « Τοῦ πυρὸς τὸ μὲν σωματικὸν σωμάτων ἅπτεται πάντων· τὸ δὲ καθαρὸν καὶ ἀσώματον ἀσωμάτων φασὶν ἅπτεσθαι, οἷον Δαιμόνων, Ἀγγέλων τῆς πονηρίας, αὐτοῦ τοῦ Διαβόλου. Οὕτως ἐστὶ τὸ ἐπουράνιον πῦρ δισσὸν τὴν φύσιν, τὸ μὲν νοητόν, τὸ δὲ αἰσθητόν. Καὶ τὸ βάπτισμα οὖν διπλοῦν ἀναλόγως· τὸ μὲν αἰσθητὸν δι’ ὕδατος, τοῦ αἰσθητοῦ πυρὸς σβεστήριον·τὸ δὲ νοητὸν διὰ Πνεύματος, τοῦ νοητοῦ πυρὸς ἀλεξητήριον. », éd. F. SAGNARD, Sources chrétiennes 23, p. 204. Cf. Augusto COSENTINO, Il Battesimo gnostico.

Dottrine, simboli e riti iniziatici nello gnosticismo (Hierá 9), Cosenza, 2007 : L. Giordano, p. 134-

139.

483

Exode 28 ; 39, 1-32

484

M. HIMMELFARB, Ascent to Heaven in Jewish and Christian Apocalypses, chap. « Heavenly Ascent and Priestly Investiture », p. 29-46 ; EAD., Tours of Hell. An apocalyptic form in Jewish

and Christian Literature, Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 1983, chap. « Ascent

Le [grand] prêtre en entrant derrière le second voile, déposait le frontal près de l’autel brûle-parfum. C’est en silence qu’il entrait, ayant le Nom485 gravé en son cœur, montrant l’abandon de ce qui, tel le frontal, est devenu d’or pur et léger grâce à la purification de l’âme. En lui est inscrit l’éclat de la piété, il passe à l’insu des puissances et des autorités, enveloppé du nom de dieu. Le corps ayant été abandonné, il passe derrière le second voile, c’est-à-dire dans le monde spirituel, qui est le second voile recouvrant toute chose. Sur l’autel brûle-parfum, il remercie les anges en élevant des prières.486

Le nom de Dieu est désormais scellé en celui qui le porte, non plus sur un bijou terrestre, mais dans son âme qui est dite « d’or pur et léger ». Ce sceau sert de sésame pour pénétrer auprès de Dieu et de certificat distinguant les « grands prêtres » parmi les hommes, c’est-à-dire les spirituels ou « pneumatiques ».

Les psychiques suivent cette voie lorsqu’ils ont été parfaitement éprouvés dans le feu du monde, le baptême de feu ou d’Esprit scellant le parachèvement de leur purgation, mais puisqu’une âme ne peut être reconnue « pneumatique » de plein droit qu’après le passage de ce feu, nous sommes tentée de conclure que toute les âmes de l’ogdoade furent un temps « psychiques » d’une manière ou d’une autre.

La seconde illustration, ou peut-être exégèse, véhicule le même message. La pièce doit être rendue à César487, parce que l’effigie frappée comme un sceau est un signe d’appartenance, en l’occurrence au monde représenté par

485 Ex 26, 31 ; 28, 36 ; 37, 25 ; Lév 8, 9 ; 16, 3 ; Hébr 9, 3. 486 Extraits de Théodote 27, 1-2 : « Ὁ ἱερεὺς εἰσιὼν ἐντὸς τοῦ καταπετάσματος τοῦ δευτέρου, τό τε πέταλον ἀπετίθει παρὰ τῷ θυσιαστηρίῳ τοῦ θυμιάματος· αὐτὸς δὲ ἐν σιγῇ, τὸ ἐν τῇ καρδίᾳ ἐγκεχαραγμένον Ὄνομα ἔχων, εἰσῄει· δεικνὺς τὴν ἀπόθεσιν <τοῦ σώματος> τοῦ καθάπερ πετάλου χρυσοῦ καθαροῦ γενομένου καὶ κούφου διὰ τὴν κάθαρσιν [τοῦ ὥσπερ σώματος] τῆς ψυχῆς [ἀπόθεσιν], ἐν ᾧ ἐγκεχάρακτο τὸ γάνωμα τῆς θεοσεβείας δι’ οὗ ταῖς Ἀρχαῖς καὶ ταῖς Ἐξουσίαις ἐγινώσκετο τὸ Ὄνομα περικείμενος. Ἀποτίθεται δὲ τοῦτο τὸ σῶμα, τὸ πέταλον τὸ ἀβαρὲς γενόμενον, ‘ἐντὸς τοῦ καταπετάσματος τοῦ δευτέρου’, ἐν τῷ νοητῷ κόσμῳ, ὅ ἐστι δεύτερον ὁλοσχερὲς καταπέτασμα τοῦ παντός, ‘παρὰ τὸ θυσιαστήριον τοῦ θυμιάματος’, παρὰ τοὺς λειτουργοὺς τῶν ἀναφερομένων εὐχῶν Ἀγγέλους. », éd. F. SAGNARD, Sources chrétiennes 23, p. 112-114, cf. Extraits de Théodote 38, 2. Cette scène figure également dans l’œuvre originale de Clément, par exemple en Stromates V, 34 ; VII, 37. Il emprunte une partie de son exégèse à Philon (De Vita Mosis). F. Sagnard dispose les parallèles en annexe de son édition des Extraits de Théodote, p. 220-223, par ailleurs, cf. A. VAN DEN HOEK, Clement of Alexandria

and his use of Philo, p. 48-68 ; 116-147.

487

le pouvoir politique romain488. En revanche celui qui porte le sceau de Dieu, à savoir le baptême, entre dans le repos :

A propos de la pièce de monnaie qui avait été apportée, le Seigneur n’a pas dit « De qui est-ce le bien ? », mais « De qui est-ce l’image et l’inscription ? –César » [Mt 22, 20] pour la rendre à qui elle appartient. De même, le fidèle porte l’inscription du nom de Dieu par le Christ, l’Esprit comme image. Les animaux aussi montrent par un sceau à qui chacun appartient et c’est par ce sceau qu’on le réclame. De même aussi l’âme fidèle qui a reçu le sceau de vérité porte le signe du Christ. Ce sont les petits enfants qui se reposent au lit, ce sont les vierges sages [Mt 25, 1] que les autres, en retard, n’ont pas rejointes dans les biens qui ont été préparés et sur lesquels les anges désirent se pencher.489

Pour entrer dans le repos, il faut passer par la Porte, et celle-ci est le Christ qui se tient à la Limite : « En disant “je suis la Porte” [Jn 4, 36], il entend “jusqu’à la limite où moi je suis, vous viendrez, vous qui êtes d’une semence différente.” »490

Par son incarnation, le Christ s’est fait l’interface entre le matériel et le spirituel, entre l’hebdomade et l’ogdoade. C’est pourquoi il est la Porte.