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Le feu purgatoire permet de faire reluire l’or des martyrs, mais l’humanité n’est pas composée que de saints. Le feu purgatoire peut alors servir à parfaire les imparfaits. Cette interprétation implique de repousser la métaphore d’un cran : l’édifice n’est plus la communauté de Corinthe, ni l’Ecclesia, mais l’âme. Dans l’extrait qui suit, Origène rend visible la transition entre ces divers registres. Partant d’une citation concernant tout le peuple de Dieu, l’auteur n’exploite pas la portée collective de son amorce, bifurque et développe sans transition le cas du pécheur isolé qui construit avec des matériaux combustibles :

La divine Écriture, il est vrai, affirme que notre Dieu est « un feu dévorant » [Dt 4, 24 ; 9, 3] que « des fleuves de feu coulent devant lui » [Dn 7, 10], qu’il s’avance lui-même « comme un feu de fondeur et comme la potasse des foulons » [Mal 3, 2] pour passer son peuple au creuset. Lors donc Dieu est dit être un « feu dévorant », nous cherchons ce qui mérite d’être dévoré par Dieu, et nous répondons que Dieu dévore comme un feu la malice et toutes les actions qu’elle inspire, dites au figuré « bois, herbe, chaume » [1 Co 3, 12]. Par exemple, il est dit que le méchant, sur un fondement

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Exhortation au martyre XI.

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spirituel déjà posé, « bâtit en bois, en herbe, en chaume ». Si donc on pouvait montrer que l’écrivain y met une autre signification et prouver que le méchant bâtit matériellement en bois en herbe et en chaume, il est clair aussi que le feu serait à comprendre comme matériel et sensible. Si, par contre, c’est au sens figuré que les œuvres du méchant sont dites de bois, d’herbe ou de chaume, la nature du feu à envisager pour que soient détruites ces œuvres « en bois » ne vient-elle pas d’emblée à l’esprit ? Il dit : « Chacun aura la qualité de son œuvre mise à l’épreuve par le feu : celui dont la construction tiendra recevra sa récompense : celui dont l’œuvre se consumera en subira la peine. » [1 Co 3, 13-15] Cette œuvre consumée, que peut-elle signifier d’autre sinon tout ce qui est fait par malice ? Donc notre Dieu est « un feu dévorant », au sens donné par nous ; c’est ainsi qu’« il avance comme un feu de fondeur » pour passer au creuset la nature raisonnable, remplie, par la malice, de plomb et d’autres impuretés qui ont altéré la substance naturelle de l’âme pour ainsi dire d’or ou d’argent. Ainsi encore, dit-on, des fleuves de feu précèdent Dieu qui va détruire la malice intimement mêlée à l’âme entière.329

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ORIGÈNE, Contre Celse IV, 13 : « Φησὶ δὴ ὁ θεῖος λόγος τὸν θεὸν ἡμῶν εἶναι ‘πῦρ

καταναλίσκον’, καὶ ‘ποταμοὺς πυρὸς ἕλκειν ἔμπροσθεν αὐτοῦ’, ἀλλὰ καὶ αὐτὸν εἰσπορεύεσθαι ‘ὡς πῦρ χωνευτηρίου καὶ ὡς ποίαν πλυνόντων’, ἵνα χωνεύσῃ τὸν ἑαυτοῦ λαόν. Ἐπὰν οὖν λέγηται ‘πῦρ’ εἶναι ‘καταναλίσκον’, ζητοῦμεν, τίνα πρέπει ὑπὸ θεοῦ καταναλίσκεσθαι, καί φαμεν ὅτι τὴν κακίαν καὶ τὰ ἀπ’ αὐτῆς πραττόμενα καὶ τροπικῶς λεγόμενα ‘ξύλα’ εἶναι καὶ ‘χόρτον’ καὶ ‘καλάμην’ καταναλίσκει ὁ θεὸς ὡς πῦρ. ‘Ἐποικοδομεῖν’ γοῦν ὁ φαῦλος λέγεται τῷ προϋποβεβλημένῳ λογικῷ θεμελίῳ ‘ξύλα’ καὶ ‘χόρτον’ καὶ ‘καλάμην’. Εἰ μὲν οὖν ἔχει δεῖξαι ἄλλως νενοῆσθαι ταῦτα τῷ ἀναγράψαντι, καὶ σωματικῶς δύναταί τις παραστῆσαι ἐποικοδομοῦντα τὸν φαῦλον ‘ξύλα’ ἢ ‘χόρτον’ ἢ ‘καλάμην’, δῆλον ὅτι καὶ τὸ πῦρ ὑλικὸν καὶ αἰσθητὸν νοηθήσεται· εἰ δ’ ἄντικρυς τροπολογεῖται τὰ τοῦ φαύλου ἔργα, λεγόμενα εἶναι ‘ξύλα’ ἢ ‘χόρτος’ ἢ ‘καλάμη’, πῶς οὐκ αὐτόθεν προσπίπτει, ποδαπὸν πῦρ παραλαμβάνεται, ἵνα τὰ τοιαῦτα ‘ξύλα’ ἀναλωθῇ; ‘Ἑκάστου’ γάρ φησι ‘τὸ ἔργον ὁποῖόν ἐστι, τὸ πῦρ αὐτὸ δοκιμάσει. Εἴ τινος τὸ ἔργον μένει, ὃ ἐπῳκοδόμησε, μισθὸν λήψεται· εἴ τινος τὸ ἔργον κατακαήσεται, ζημιωθήσεται.’ Ἔργον δὲ κατακαιόμενον ποῖον ἂν ἐν τούτοις λέγοιτο ἢ πᾶν τὸ ἀπὸ κακίας πραττόμενον; Οὐκοῦν ὁ θεὸς ἡμῶν ‘πῦρ καταναλίσκον’ ἐστίν, ὡς ἀποδεδώκαμεν, καὶ οὕτως ‘εἰσπορεύεται ὡς πῦρ χωνευτηρίου’, χωνεύσων τὴν λογικὴν φύσιν, πεπληρωμένην τοῦ ἀπὸ τῆς κακίας μολύβδου καὶ τῶν ἄλλων ἀκαθάρτων ὑλῶν, τὴν τοῦ χρυσοῦ, ἵν’ οὕτως ὀνομάσω, φύσιν τῆς ψυχῆς ἢ τὴν ἀργύρου δολωσάντων. Οὕτω δὲ καὶ ποταμοὶ ‘πυρὸς’ ‘ἔμπροσθεν’ λέγονται εἶναι τοῦ θεοῦ, τοῦ ἐξαφανιοῦντος τὴν δι’ ὅλης τῆς ψυχῆς ἀνακεκραμένην κακίαν. », éd. et trad. M. BORRET, Sources chrétiennes 136, p. 212-215. Voir également Contre Celse V, 15, où Origène se réfère clairement à Ez 22, 18 et insiste sur la finalité bienfaisante du châtiment divin.

Cet extrait est tiré du Contre Celse ; il provient donc d’un traité théologique à visée apologétique destiné à tout un chacun, dans la mesure de sa culture et de son intelligence. Ici, Origène envisage le feu éprouvant le « méchant », c’est-à-dire le pécheur sans véritable distinction. Tout lecteur peut se sentir concerné et, puisqu’Origène s’adresse volontairement à une large audience ; ce « méchant » peut être n’importe qui.

On constatera la différence avec l’Exhortation au martyre citée plus haut. Il s’agissait alors d’une missive personnelle, dont le seul objet était d’exalter la gloire de celui qui résiste et meurt pour sa foi. Dans ce contexte précis, l’action du « feu de fonderie » n’était envisagée que sur les trois jeunes Hébreux dépeints par Daniel, puis sur les candidats au martyre. Les lapsi rejoignaient alors « ceux qui ont besoin » du feu pour être sauvés, peut-être justement les « méchants » évoqués ci-dessus.

Néanmoins, Origène fait preuve de nuance. Pour méchants que soient les pécheurs, leur âme n’est pas intrinsèquement mauvaise. La nature spirituelle est faite d’or, c’est pourquoi elle mérite d’être purifiée330

. Les matériaux combustibles n’en sont pas constitutifs ; ils sont adventices, les produits du vice. Le feu a une action positive ; d’ailleurs, par métonymie, il est Dieu, ce qui le distingue d’un feu judiciaire, qui ne fait qu’examiner, ou d’un feu punitif.

Symbolisant un processus purificatoire et non un jugement ponctuel, le passage du feu se trouve étiré dans le temps. Le cas des martyrs le laisse transparaître, puisque c’est toute l’expérience de la persécution qui est prise en compte, la mise à mort venant uniquement la sceller. L’autre spécificité du feu purgatoire est son caractère transitoire.

Contrairement à ce que pouvait laisser présager l’Exhortation au martyre, le feu purgatoire ne concerne pas uniquement les lapsi. Ainsi, dans les homélies d’Origène, il devient clair que, non seulement, tout un chacun est susceptible d’être touché par le feu purgatoire, mais qu’en plus, la probation n’attend pas des temps exceptionnels (persécutions ou jugement dernier). Elle peut être diffuse et quotidienne.

En effet, les homélies sont adressées à tous et se veulent d’une portée générale. L’absence totale d’allusion au martyre ou d’appel à résister devant

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Cf. Homélies sur Josué. IV, 3 ; Homélies sur le Lévitique XIV, 3 ; Homélies sur Jérémie XVI, 5 ; Homélies sur Ezéchiel I, 3 ; XIII, 3.

l’oppresseur, de même que le ton détaché adopté pour décrire la conduite du catéchumène sont loin de l’atmosphère dramatique censée transparaître en temps de persécution. P. Nautin date le corpus des années précédant le règne de Dèce et propose le triennium 239-242331.

L’homéliste s’adresse à la foule dans toute sa variété, symbolisée par les divers matériaux cités en 1 Co 3, 11-15 et susceptibles de se comporter de trois manières différentes dans le feu : ils se maintiennent, ils se transforment, ils disparaissent. Ces trois groupes sont les saints, les justes, les impies et tous passent par les flammes. En effet, le feu purgatoire ne s’abat pas uniquement sur une catégorie intermédiaire de pécheurs rattrapables ; il y a simplement trois façons de le subir :

Voici donc pourquoi celui qui est sauvé est sauvé par le feu : pour que si jamais il a en lui un mélange de plomb, le feu l’épure et le dissolve, afin que tous deviennent un or de « bonne qualité » [Gn 2, 12], et « comme le creuset éprouve l’or » [Prov 27, 3], ainsi la tentation éprouve les hommes justes. Il faut donc tous venir au feu, il faut venir à la fonderie : « Car le Seigneur siège, il fait fondre et purifie les fils de Juda » [Mal 3, 3]. Mais quand on y vient, si l’on apporte beaucoup de bonnes œuvres et un peu d’iniquité, ce peu, comme du plomb, est dissout et purifié par le feu, et tout reste or pur. Si on y apporte plus de plomb, il est brûlé d’avantage pour être mieux purifié pour que, s’il reste un peu d’or, au moins cet or subsiste pur. Et si l’on vient, étant plomb tout entier, on aura le sort qui est écrit, on sera englouti « dans l’abîme, comme le plomb dans l’eau impétueuse » [Ex 15, 5.10].332

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Cf. Pierre NAUTIN, Origène. Sa vie et son œuvre (Christianisme antique 1), Paris : Beauchesne, 1977 (sur les Homélies, p. 401-412). Nautin (p. 401 et 408) repousse l’hypothèse d’une datation postérieure à 250 émise par Harnack qui voit dans les Homélies sur Josué (IX, 10) une référence au décret de Dèce : « Decreuerunt enim legibus suis, ut non sint christiani », ce qui en fixe la composition au-delà de 250, cf. Adolf HARNACK, Die Chronologie der

altchristlichen Literatur bis Eusebius, Leipzig : Hinrichs, 1904, t. 2, p. 42 et ORIGÈNE, Homélies

sur Josué (Sources chrétiennes 71), éd. A.JAUBERT, p. 268.

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ORIGÈNE, Homélies sur l’Exode VI, 4 : « Idcirco igitur qui saluus fit per ignem saluus fit, ut, si

quid forte de specie plumbi habuerit admixtum, id ignis decoquat et resoluat, ut efficiantur omnes aurum bonum, quia aurum terrae illius bonum esse dicitur, quam habituri sunt sancti, et

sicut fornax probat aurum, ita homines iustos tentatio. Veniendum est ergo omnibus ad ignem,

Ici, le feu est la tentation quotidienne. Rappelons que dans l’extrait de l’Exhortation au martyre cité plus haut, la persécution est « fournaise de la tentation ». En l’occurrence, il s’agit de la tentation de parjure, qui brûle et éprouve le chrétien arrêté et torturé, confirmant ainsi que même en contexte de persécution Origène se focalise sur les tourments psychologiques.