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Lorsqu’Origène cite 1 Co 3, 11-15 dans ses homélies, il commence par donner un sens spirituel à chacun des éléments (fondement, édifice, matériaux, feu), puis les rapproche d’autres images similaires tirées des Écritures, nous

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ORIGÈNE, Homélies sur le Lévitique XIV, 3 : « Natura peccati similis est materiae, quae igni consumitur, quam aedificari Paulus Apostulus a peccatoribus dicit, qui supra fundamentum Christi aedificant ligna, fenum, stipulam. In quo manifeste ostenditur esse quaedam peccata ita levia, ut stipulae comparentur, cui utique ignis illatus diu non potest immorari ; alia vero feno esse similia, quae et ipsa non difficulter ignis absumat, verum aliquanto tardius quam in stipulis immoretur ; alia vero esse, quae lignis conferantur, in quibus pro qualitate criminum diutinum et grande pabulum ignis inveniat. Ita ergo unumquodque peccatum pro qualitate sui poenarum iusta persolvit. Verumtamen quid opus est fidelibus et his, qui cognoverunt Deum, de poenarum qualitatibus cogitare ? Quid opus est ligna, quid fenum, quid vel ipsam stipulam fundamento Christi superponere ? Cur non aurum magis vel argentum vel pretiosos lapides pretioso

superponimus fundamento, ubi, cum ignis accesserit, nihil inveniat, quod absumat ? Nam si

accesserit ad stipulam, ex stipula favillas reddet et cineres ; si vero accesserit ad aurum, aurum purius reddet. », éd. et trad. Marcel BORRET, Paris : Les Éditions du Cerf (Sources chrétiennes 287), 1981, p. 236-239.

avons vu l’exemple des pierres vivantes. L’auteur dépasse ensuite le simple schéma de correspondances et s’approprie la métaphore. Ainsi le feu purgatoire gagne son indépendance et peut alors être appliqué à d’autres objets que ceux explicités par Paul.

Le développement sur le butin engrangé par les Hébreux est connecté à 1 Co 3, 11-15 par la dénomination des matières, mais point d’édifice, ni même de fondement. En revanche, Origène intègre une nouvelle référence, 2 Tim 2, 20 :

Dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent ; il en est aussi de bois et de terre. Les uns sont pour un usage noble, les autres pour un usage vulgaire. Celui qui se purifie de ses souillures, sera un vase noble, sanctifié, utile au Maître, propre à toute œuvre bonne.356

Comme 1 Co 3, cet extrait contient une énumération de matières classées par ordre décroissant de qualité. Chacune est associée à un état de pureté, mais le feu n’est pas mentionné. C’est Origène qui orchestre la rencontre :

C’est donc un temps de guerre que nous vivons en ce monde ; il faut combattre les Madianites, c’est-à-dire les vices de notre chair aussi bien que les puissances adverses. Le chœur des anges nous regarde, les puissances célestes sont pour nous dans une pieuse attente, elles guettent le retour du combat, elles observent comment nous revenons, quelle quantité de butin chacun rapporte. Elles regardent avec plus d’intérêt, elles cherchent à savoir plus soucieusement qui d’entre nous tire de là et porte la plus grande quantité d’or, qui exhibe le poids d’argent le plus lourd, qui même emporte les pierres précieuses. Elles cherchent également si quelqu’un n’emporte pas du bronze, du fer ou du plomb, voire un ustensile de bois et même de terre, ou tout autre objet nécessaire au ménage dans une grande maison. Car « dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais il en est aussi

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de bois et de terre » [2 Tim 2, 20]. Il y aura donc une enquête sévère, lorsque nous serons allés là-bas, sur ce que chacun de nous rapporte ; et il lui sera attribué, selon ce qu’il aura rapporté et selon l’effort attesté par les dépouilles qu’il exhibera, le droit à une demeure. Tout cela cependant subit l’épreuve, épreuve du feu pour ce qui va au feu, épreuve de l’eau pour ce qui va à l’eau ; car « s’il s’agit de la qualité de l’œuvre de chacun, le feu en fera l’épreuve » [1 Co, 3, 13].357

Les motifs en présence sont de natures fort variées (combat, métaux, feu, examen, demeures ou créatures célestes) et témoignent de la complexité du discours sur le feu purgatoire. Le texte est néanmoins clair sur un point, la guerre est menée « en ce monde » au cours de la vie terrestre. La probation du butin ramené des combats fait ensuite office de jugement et sanctionne la valeur du guerrier. Son effort est éprouvé à travers les prises de guerre qui deviennent autant de pièces à conviction. Parce qu’il se bat en héros ou en couard, ramenant de l’or ou du plomb, le guerrier se juge, s’exalte ou se condamne lui-même.

Même si elle est ressentie comme légitime, toute guerre implique des destructions. C’en est même la destination première. Le butin, quel que soit le guerrier qui l’a engrangé, ne saurait être pur, aussi doit-il être nettoyé par l’eau ou par le feu358. De la sorte, Origène affirme que tout être humain est soumis à la purgation.

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ORIGÈNE, Homélies sur les Nombres XXV, 5, 2 : « Tempus igitur belli nobis est in hoc mundo, pugna aduersus Madianitas est, siue aduersum uitia carnis nostrae siue aduersum contrarias potestates. Spectat nos angelorum chorus et uirtutum caelestium pia erga nos pendet exspectatio, quando uel quomodo de hoc proelio redeamus, quid unusquisque nostrum manubiarum reportet, et intuentur curiosius ac sollicitius perscrutantur, quis nostrum auri hinc amplius ferat, quis etiam argenti illuc pondus exhibeat, quis uel lapides deferat pretiosos. Requiriunt etiam, si qui aes deferat aut ferrum aut plumbum, sed et uas ligneum si forte aliquis aut fictile aut aliud huiusmodi magnae domus usibus necessarium. In magna enim domo non

sunt tantummodo uasa aurea et argentea, sed et ligna et fictilia. Requiritur ergo diligenter, cum

abierimus illuc, quid unusquisque nostrum deferat, et secundum ea quae detulerit , secundum quod labor eius pro contemplatione exuuiarum probatur, etiam mansionis ei meritum deputabitur. Probantur tamen omnia haec, quae per ignem, per ignem et quae per aquam, per

aquam ; uniuscuiusque enim opus quale sit, ignis probabit. », éd. W.A. BAEHRENS, trad. L. DOUTRELEAU, Sources chrétiennes 461, p. 212-213. Sur l’impureté des matériaux qui requiert

un passage par le creuset, cf. Homélies sur Ezéchiel I, 13 ; Contre Celse IV, 13 ; V, 15 ;

Homélies sur Josué IV, 3 ; Homélies sur le Lévitique V, 3 (en référence à Is 1, 25) et XIV, 3.

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Cf. Homélies sur les Nombres XXV, 4-6 ; Homélies sur l’Exode VI, 4 ; Homélies sur le

Le combat engendre la souillure. Même le plus saint des soldats du Christ devra subir une purification. Dans le paragraphe qui suit immédiatement celui que nous avons cité, Origène déclare que les voies de la purification sont multiples, mystérieuses et ineffables, que même Pierre et Paul y sont passés, eux dont les mains sont rougies d’avoir tant combattu359

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Origène emprunte ses mots à Paul (2 Tim 2, 20) : comme en tout ménage, on trouve des outils métalliques, des ustensiles de bois ou de terre. L’auteur innove toutefois en donnant la provenance des objets. Ils sont les produits de la guerre, c’est-à-dire de la vie, et symbolisent les œuvres du fidèle360

.

Par les matériaux cités, Origène renoue avec 1 Co 3, 11-15 et transcende le décalage entre les deux épîtres. En effet, dans celle-ci les œuvres sont symbolisées par l’édifice construit sur le fondement, tandis qu’en 2 Tim 2, 20, les œuvres sont les ustensiles contenus dans la maison et non la maison elle- même. Le lecteur est amené à comprendre que le tout vaut pour la partie, le contenant pour le contenu. Les vertus et les vices, ainsi que leurs produits (œuvres, paroles et pensées), s’enchevêtrent dans l’édifice d’une vie, manifestation de l’âme.

Il existe une véritable consubstantialité entre l’âme, ses œuvres et leur expression : l’homme est plomb, l’homme est or. Si l’individu se réforme, les matières qui constituent son édifice intérieur gagnent en pureté. De plomb, il devient or. Ainsi peut-on dire qu’il passe lui-même au creuset.

Cet extrait des Homélies sur les Nombres démontre clairement qu’Origène professe l’action terrestre du feu purgatoire. C’est un point de doctrine qui a certes de l’importance en soi, mais il permet d’en régler un second, brûlant, celui de l’existence du mal.

En effet, l’être humain a été créé libre. Maître de son existence, il lui revient d’user au mieux du temps qui lui est imparti pour se perfectionner et engranger un butin de haute qualité. Le but de la vie terrestre réside dans le combat ; l’adversité et les tribulations révèlent la valeur de chacun. Elles sont donc nécessaires et voulues par Dieu, d’où le maintien du mal dans la création361

.

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Cf. Homélies sur les Nombres XXVI, 1.

360 Œuvres et mobilier sont clairement assimilés, cf. Homélies sur les Nombres XXVI, 2. 361

Si le purgatoire est cet espace-temps au cours duquel l’individu peut amender sa nature et améliorer son sort, alors la vie, en tant qu’épreuve prolongée, est tout entière purgatoire. Par conséquent, cette conception est incompatible avec l’idée d’un purgatoire strictement post-mortem, puisque si la purgation devait se dérouler uniquement après la mort, comme on l’entendra plus tard, alors la vie terrestre n’aurait plus aucun sens.