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Chapitre 2 L’ENTREPRISE-RESEAU : UN MODE D’ORGANISATION

II. LES CONDITIONS DE REUSSITE DE L’ENTREPRISE-RESEAU

2. La coalition concurrence-coopération et l’innovation

La coopération entre les firmes composant le réseau ne signifie pas mettre un terme à la concurrence au sein du même réseau, bien au contraire, il faut chercher les compétences et encourager la compétition entre les firmes ayant le même secteur d’activité pour que l’entité entière soit compétitive avec ses concurrents externes. L’esprit d’innovation doit être encouragé afin de développer les potentialités du réseau et sa capacité à évoluer dans un milieu innovateur.

a. La concurrence-coopération

L’une des caractéristiques marquantes au sein des réseaux d’entreprises dans plusieurs grands secteurs de l’économie est la concomitance de deux grandes stratégies antipodes, en l’occurrence : la concurrence entre les firmes partenaires ayant une même activité au sein d’un même réseau et la coopération bi ou multilatérale entre ces firmes qui sont entièrement ou potentiellement rivales. Cette contradiction idéologique ne va pas contre les intérêts du réseau et ses objectifs prioritaires.

Une stratégie de concurrence-coopération oblige chaque entreprise à faire un arbitrage dans ses relations avec ses partenaires eu sein du réseau, entre la part de collaboration amicale et celle de la concurrence hostile qu’elle est prête à engager, prenant en considération ses intérêts personnels (rester au sein du réseau et être compétitive). Comme le souligne implicitement Marie-Thérèse LETABLIER : « Le caractère composite du groupe engendre inévitablement des tensions entre les intérêts individuels de certains de ses membres, les intérêts particuliers à une profession et l’intérêt collectif qui doit émerger de la défense d’une représentation partagée de l’appartenance à un même lieu »1.

Ce mélange étrange entre la concurrence et la coopération nous rappelle le vieux concept de district industriel décrit en 1900 dans les écrits de l’économiste Alfred MARSHALL et repris ultérieurement par les économistes italiens Giacomo BECCATINI2, Arnaldo BAGNASCO et Carlo TRIGILIA3, dans leurs travaux sur les agglomérations artisanales des PME de la "troisième d’Italie".

1 Marie-Thérèse LETABLIER, « La logique du lieu dans la spécification des produits référés à l’origine », Revue

d’Economie Régionale et Urbaine, N°3, 2000, p479.

2 CF, Giacomo BECATTINI, Le district marshallien: une notion socio-économique, 1990, in Gorges BENKO et

Alain LIPIETZ, Les régions qui gagnent, PUF, 1992.

3 CF, Arnaldo BAGNASCO et Carlo TRIGILIA, La construction sociale du marché. Le défi de la troisième Italie,

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Même s’il existe un climat de coopération entre les partenaires du réseau, la concurrence entre les firmes ayant les mêmes spécialités peut être parfois utile pour le bien commun de l’entité dans le cas où une firme ne se trouve plus en mesure de répondre aux normes du réseau. Une solution de rechange1 parmi les entreprises concurrentes s’avérerait ainsi efficace.

b. La gestion du dilemme concurrence-coopération

Avec l’existence du dilemme concurrence-coopération, le réseau se trouve dans une situation délicate, il est impérativement nécessaire pour le comité dirigeant d’adopter une tactique afin d’éviter aux firmes partenaires d’adopter les deux stratégies les unes vis-à-vis des autres. L’intérêt général de l’entité doit primer sur les intérêts individuels de chaque firme et le climat de confiance mutuelle et de coordination doit toujours régner entre les partenaires.

Une telle situation paradoxale nécessite l’emploi d’une stratégie managériale efficace et convaincante par le réseau afin d’amener les firmes à travailler ensemble, en coopérant entre elles et en coordonnant leurs efforts. La coopération qui est la clé de réussite du réseau est un fait incontestable, en l’absence de coopération on ne peut plus parler de réseau ou d’alliance. Toutefois, la concurrence ou l’esprit de compétition qui fait référence au conflit des intérêts et à la guerre des positionnements reste souhaitable entre les partenaires ayant la même activité tant qu’elle est loyale respectant les normes et l’éthique du travail.

La gestion du dilemme concurrence-coopération peut s’avérer facile si les managers des firmes partenaires disposent des valeurs entrepreneuriales immuables telles : l’innovation, la créativité, la prise de risque, la compréhension, la perception…, et ce dans l’absence d’un esprit égoïste et des calcules opportunistes.

Les économistes préfèrent résoudre une telle situation en se référant aux enseignements de la théorie des "conventions" qui préconise la mise en place d’une convention ou d’une charte qui peut réglementer les rapports entre les partenaires du réseau et leurs comportements réciproques. Parfois ambigüe parfois claire, la convention peut être définie comme « une conviction individuelle sur le comportement collectif »2 ou encore « une acceptation implicite de règles de pensée ou de conduite construites socialement et non imposées par la nature, et qui permettent aux individus de savoir comment doivent se comporter dans des situations données, sans avoir recours à un calcul privé »3. Elle peut être définie aussi comme « un postulat dont la nécessité découle de l’incapacité de la logique marchande à rendre compte de plusieurs situations économiques caractérisées par l’interaction durable entre acteurs (indétermination concurrentielle, concurrence oligopolistique, coopération et hiérarchie)»4.

1 Pierre-André JULIEN, Op.cit, p89.

2 Pierre-Yves GOMEZ, Le gouvernement de l’entreprise : Modèles économiques de l’entreprise et pratiques de

gestion, Dunod, Juillet 1996, p174.

3 Pierre-Yves GOMEZ, « Des règles du jeu pour une modélisation conventionnaliste », Revue Française

d’Economie, Volume X, N°3, 1995, p139.

4 Bernard DE MONTMORILLON, « Théorie des conventions, rationalité mimétique et gestion de l’entreprise », in

Gérard KOENIG (coordinateur), De nouvelles théories pour gérer l’Entreprise du XXIème siècle, Economica, Juin 1999, p179.

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c. L’innovation et les milieux innovateurs

L’innovation doit être présente dans l’esprit des managers des entreprises formant le réseau. Elle constitue la seule façon pour le réseau de prendre un avantage déterminant sur les concurrents1. Par innovation on entend la création de nouveaux produits ou services, le développement de ceux existants, l’optimisation du système productif et l’introduction des nouvelles technologies et techniques au sein du réseau. C’est l’innovation qui fait la particularité d’un réseau par rapport à ses concurrents, comme le souligne Olivier CREVOISIER : « L’innovation est donc avant tout un processus de différenciation face à la concurrence : différenciation du secteur par rapport aux autres secteurs, différenciation de l’entreprise face à ses concurrents, etc. »2.

Le développement du réseau et son épanouissement ne peuvent être garantis que par l’adoption des technologies matérielles et immatérielles à l’instar de l’intranet, l’internet, la

bureautique, la productique, les technologies systémiques, les technologies

organisationnelles…Ces technologies doivent être absorbées par le capital humain afin d’en garantir un bon usage.

Le processus d’innovation ne pourrait atteindre le zénith que si le réseau dispose d’une veille technologique et stratégique efficiente capable de recueillir les informations, les organiser, les analyser, les synthétiser et d’en tirer des conclusions pouvant orienter le réseau. Jacques MORIN3 s’est inspiré du Standford Researsh Institute pour distinguer deux types de veille utiles pour les organisations à savoir : le scanning qui constitue le premier balayage de l’environnement extérieur du réseau et le monitoring qui permet au réseau de se focaliser sur la zone qui représente un intérêt particulier.

L’évolution du réseau doit être faite dans un milieu innovateur pouvant susciter le développement autonome des savoir-faire4 pour mettre en œuvre le processus d’innovation. Ces milieux innovateurs qui ne sont pas des systèmes stables, doivent être stimulés par les réseaux existants afin de renouveler leur capacité d’innovation5.