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C HAPITRE 1 : LE PROBLEME DES LOGIQUES D ’ ACTION Seront exposés, dans ce premier chapitre, les contextes scientifiques et sociétaux à la

2. L ES LOGIQUES DE L ’ ACTION COLLECTIVE

2.1. L’ UTILISATION DU CONCEPT DE LOGIQUE

Puisque logos désigne en grec « paroles », « langage » (ce que nous nommerions aussi les « discours »), la logique concerne les unités de sens et d’expression qui émergent de la mise en relation entre les mots et les concepts, selon certaines formes régulières et socialement établies qui permettent de lui accorder quelque valeur de sens, de vérité, d’intelligible, dont la philosophie grecque a pu établir des typologies. Les raisonnements considérés comme rationnels sont en effet l’objet de doctrines philosophiques et de réflexions, de l’antiquité à nos jours. Ces dernières ont tenté d’attribuer des normes de

161 Dewey, John, How we think, Boston: D.C. Heath & Co., 1910; consulté en ligne le 02.03.18.:

http://www.gutenberg.org/files/37423/37423-h/37423-h.htm; Dewey, John, La quête de la certitude, Paris : Gallimard, 2014.

162 On doit une grande part du développement de ce paradigme scientifique de la rationalité dite « procédurale » à

Herbert Simon (op.cit., 2004 ; Le Moigne, Jean-Louis, La théorie du système général, théorie de la modélisation, Aix-en-Provence : Réseau Intelligence de la Complexité, 2006, consulté en accès libre en ligne le 27.12.17. :

raisonnement « logique », en discriminant les formes de discours adéquates163 lorsqu’on

cherche à formuler des paroles plus vraies (épistémologie, théologie), plus justes (éthique, politique), plus belles (esthétique, poésie), ou plus efficaces (rhétorique, herméneutique)164.

Le cadre conceptuel du syllogisme aristotélicien165 a joué un rôle important dans la définition

des conditions d’expression d’une pensée rationnelle, basée sur des règles de raisonnement valables, consistantes et régulières166. Ainsi, encore aujourd’hui, le syllogisme fixe les termes

classiques des débats et marque un point de départ important pour les recherches sur les logiques et formes de pensée en occident167. Son usage a permis à certains grands penseurs

occidentaux, notamment dans le prolongement de la « Logique ou l’art de penser » (1662) de Antoine Arnault et Pierre Nicole, d’affirmer peu à peu des règles pour bien raisonner, qui furent appelées aussi règles de la logique scientifique. Dans ce cadre, un raisonnement est considéré comme faussé, lorsqu’il n’obéit pas aux lois du syllogisme parfait aristotélicien, ou défectueux lorsqu’il sort du cadre théorique idéal de ce système168. Le dévelopement d’un

système formel sans cesse plus élaboré afin de contrôler et améliorer le raisonnement selon les critères du syllogisme a conduit ainsi à l’utilisation quasi-exclusive d’un langage dérivé de l’algèbre, notamment à la suite des travaux de George Boole (1815-1864) sur « les lois de l’esprit » et « l’analyse mathématique de la logique »169. Les enjeux apparaissent en effet

importants dans le contexte du développement des sciences modernes, soucieuses de fonder

163 Il en est ainsi des recherches sur les formes de logique contradictoires d’Aristote (cf. Armengaud, Françoise, «

Contraires & contradictions, logique », in Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 11 juin 2016 :

https://www.universalis.fr/encyclopedie/contraires-et-contradictoires-logique/).

164 Blanché, Robert, op.cit., 1998 ; pour une justification doctrinale des propriétés du logos, voir en particulier La

Politique d’Aristote (par exemple la version de Barthélémy Saint-Hilaire de 1874, disponible sur le site de Philippe

Remacle et ses collègues : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/tablepolitique.htm ), notamment le point 1253A.

165 Il serait trop long ici de présenter la logique aristotélicienne en général, nous renvoyons donc le lecteur

intéressé aux articles de la Stanford Encyclopedia of Philosophy : Bobzien, Susanne, « Ancient Logic », in Zalta, Edward N. (ed.), Stanford Encyclopedia of Philosophy [en ligne], consulté le 26.08.16. :

http://plato.stanford.edu/entries/logic-ancient/#Ari; Parsons, Terence, « Traditional square of opposition », in Zalta, Edward N. (ed.), Stanford Encyclopedia of Philosophy [en ligne], consulté le 12.06.18. :

http://plato.stanford.edu/entries/square/.

166 Voir Aristote, Les Premiers Analytiques, trad. Jules Barthélémy Saint-Hilaire, Paris : Ladrange, 1866,

numérisé par Philippe Remacle, Nouvelle édition numérique (2008), consulté le 12.06.18. :

http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/complements/Aristotespremiersanalystiques.htm.

167 Blanché, Robert, Sebestik, Jan, « Logique », Site : Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 11.06.16. :

https://www.universalis.fr/encyclopedie/logique/.

168 C’est-à-dire par exemple lorsqu’une d’une règle de base de cette théorie, comme le principe d’identité

(nominaliste : une entité délimitée pour un symbole tel que « ce qui est est »), le principe de non-contradiction ou le principe du tiers-exclu, est ouverte, c’est-à-dire réinterprétée, modifiée, éliminée ou remplacée (cf. Morin, Edgar, « Logique et contradiction », in Guy, Bernard (coord.) Ateliers sur la contradiction (Saint-Etienne, 19-21

mars 2009), Paris : Presses de l’Ecole des Mines, 2010 , version consulté le 20 janvier 2016 :

http://www.emse.fr/aslc2009/pdf/Logique%20et%20contradiction%20E%20MORIN.pdf).

169 Traduction personnelle des titres des deux ouvrages majeurs du mathématicien et philosophe britannique

George Boole, The Mathematical Analysis of Logic (1847) et The Laws of Thought (1854). Pour une synthèse des thèses, contexte historique et intellectuels de ces derniers, voir notamment l’excellent article : Burris, Stanley, « George Boole », in Zalta, Edward N. (ed.), The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Ed. hiver 2014 [en ligne], consulté le 12 juin 2016 : http://plato.stanford.edu/archives/win2014/entries/boole/.

sur une croyance nouvelle leurs capacités à dire des vérités170. La croyance dans

l’isomorphisme (le continuum de forme) entre d’une part une réalité (considérée comme extérieure au monde des idées) et d’autre part un raisonnement analytique instrumenté par une logique de qualité pure et objective171 a constitué, avec le positivisme, une idéologie

scientifique qui continue à influencer fortement les doctrines scientifiques et intellectuelles contemporaines172. Comme nous le rappellent à juste titre Edgar Morin et Jean-Louis Le

Moigne, les tenants de cette idéologie ignorent les nombreux logiciens, de Brouwer à Chaitin en passant par Gödel, Tarski et Ladrière, qui démontrent l’impossibilité d’exclure l’intuition dans les raisonnements, la nécessité d’un méta-système logique pour satisfaire au principe de non-contradiction, la nécessité de prendre en compte le contexte de l’action pratique, même lorsque cette dernière remarque provient d’un éminent philosophe analytique comme Ludwig Wittgenstein173. L’existence de diverses apories du formalisme logique lorsqu’il est

employé au service d’une analyse scientifique qui se veut positive, a ainsi été démontrée à maintes reprises au cours du XXème siècle. Il ne s’agit pas seulement d’un problème logique

ou épistémologique mais plus généralement d’une question éthique, comme nous l’indique Ludwig Wittgenstein, dans une invitation à l’ouverture de la notion :

« Comme il serait dommage que la logique s’occupe d’un langage ’’idéal’’ et non du

nôtre. En effet, que pourrait bien exprimer ce langage idéal ? Mais justement ce que nous exprimons actuellement dans notre langage habituel ; alors c’est sur celui-ci que la logique doit donc porter son investigation. »174

Le rapprochement entre linguistique (et plus largement la sémiologie, science générale des signes) et la logique qui s’est opérée au cours du XXème siècle a ainsi soutenu un programme

de recherche « grammairien » et « structuraliste » des relations invariantes au sein des langages175, considérés comme pratiques humaines communes et empiriquement étudiables.

170 Le Moigne, Jean-Louis, op.cit., 1994.

171 Nous entendons ici des discours ordonnés à partir des règles du syllogisme aristotélicien et présupposant un

langage parfaitement définis et intelligibles.

172 Le Moigne, Jean-Louis, Le Constructivisme, tome 2 : des épistémologies, Paris : ESF Ed., 1995.

173 Wittgenstein, Ludwig, op.cit., 2004 ; Goodman, Russell B., « Wittgenstein and Pragmatism », Parallax, n°4,

vol.4, 1998, pp.91-105 ; Chauviré, Christiane, « Rorty lecteur de Peirce et Wittgenstein. Sur un article de jeunesse de Rorty », Revue française d’études américaines, n° 124, 2010, pp.29-38.

174 Wittgenstein, Ludwig, Remarques philosophiques, Paris : Gallimard, 1975, p.53, cité dans Grateloup, Léon-

Louis, Nouvelle anthologie philosphique. Elements pour la reflexion, Paris : Hachette, 1983, p.197.

175 Jakobson, Roman, Essais de linguistique générale. 2. Rapports internes et externes du langage, Paris :

Seconde conception : la logique sociale du discours

La seconde acception de « logique » serait issue d’une ouverture176 et en même temps

d’une réappropriation populaire177178 et insiste sur les relations causales entre évènements ou

éléments, au sein d’un discours donné, afin de rendre une situation plus claire et intelligible. Qu’elle s’applique au traitement de phénomènes naturels (la logique de la sélection naturelle, les « lois de la jungle »), à l’histoire (la « logique » implacable des révolutions, la « logique guerrière », la « logique monarchique »), elle laisse entendre qu’une classe de phénomènes s’ordonneraient et seraient déterminés selon des forces organisées en régularités, formant des lois et selon des desseins supérieurs179. Il s’agit ainsi de mettre de l’ordre dans une série

d’agents ou d’évènements disparates tels que, entre eux, se déploient un « Enchaînement

naturel, régulier et nécessaire »180, en fonction du contexte de la chose. Ce type de logique

s’inscrit ainsi dans une pratique discursive d’enquête, portant sur une question d’intérêt collectif ou personnel. En exemple, prenons le discours d’un enquêteur, tentant d’apporter un éclairage sur un crime en élaborant, élabore un récit argumenté des mobiles et des circonstances d’un événement à force de témoignages et de données. Mais d’autres registres logiques peuvent également être distingués, en fonction des régimes discursifs, sociaux et littéraires, qui enracinent les pratiques énonciatives dans des contextes institutionnels afin de leur conférer un sens et une performance pratique commune. On peut supposer que les régimes de « vérité » mis en évidence par Michel Foucault dans ses travaux181 (discours

gouvernemental sur la population, discours sur soi et sa sexualité, discours médical sur la folie) sont porteurs d’un ensemble de règles conventionnelles permettant la production de « vérité » à partir de certaines pratiques discursives.

176 En effet, comme l’indique Edgar Morin : « Il ne faut pas conclure, de l'affaiblissement de la logique classique,

à la faillite de la rationalité. La rationalité nécessite non une logique rigide (forte), mais une logique souple (faible). La rationalité s'oppose à la raison close. » (Morin, Edgar, op.cit., 2010).

177 C’est en tout cas ce que laisse penser l’apparition de l’acception pour le mot « logique » dans les éditions du

Dictionnaire de l’Académie Française de 1832 et ultérieures (cf. Dictionnaire de L'Académie française, 8th

Edition, 1832, vol.2, p.128, 130). Même si ces sources ne reprennent que principalement des significations

« classiques », c’est-à-dire issues des travaux d’une institution officielle et dominante telle que l’Académie Française, cette indication peut être recoupée avec les remarques de l’historien des idées allemand Reinhart Kosseleck, laissant entrevoir une possible tendance commune en Europe à l’utilisation dans un espace public d’un nombre croissant de concepts jusque-là réservés à une élite intellectuelle et savante (cf. Kosseleck, Reinhart,

op.cit., 2011).

178 Elle est populaire car de l’ordre d’un langage social habituel dans un domaine quotidien, c’est-à-dire d’une

ouverture de l’emploi du terme vers un usage destiné à un public plus large, dans une diversité de domaines sociaux.

179 Voir la définition « Logique » du CNRTL (op.cit., 2004).

180 Entrée I.3. de la définition de « Logique » du 9ème Dictionnaire de l’Académie (Dictionnaire de l’Académie

Française, 9th Edition [en ligne], consulté le 12.06.16. : http://www.atilf.fr/spip.php?article3981.

181 Foucault, Michel, Du gouvernement des vivants. Cours au Collège de France. 1979-1980, Paris : Gallimard,

Le discours savant occupe une place importante dans ce cadre. Qu’il s’agisse de découvrir les lois cachées de la physique ou de décrypter la logique cachée des comportements humains, le récit savant vise à énoncer une « vérité » générale en concevant un discours qui expose de manière crédible les relations entre des phénomènes. C’est cette même logique qui apparaît conceptualisée dans l’idée de sens de l’histoire, c’est-à-dire dans l’idée qu’il y aurait une logique inéluctable dans l’enchainement des évènements sociaux182.

Dans un mouvement de pensée caractéristique de la modernité (XVIIIème et XIXème siècles), le

travail intellectuel s’est ainsi donné pour mission entre autres de comprendre l’époque (l’actualité, le présent)183, notamment en la replaçant dans un train d’événements, dont il

s’agissait justement de mettre en lumière l’ordre sous-jacent, grâce à l’écriture généralement

a posteriori d’une histoire cohérente184. Cette démarche critique entreprise par un

intellectuel, généralement journaliste, philosophe et/ou sociologue, à l’image de Karl Marx, part d’un travail de recherche sur les logiques sociales à l’œuvre au cours d’une époque donnée. Ainsi par exemple, une part significative de la communauté sociologique française d’après-guerre185 se donnait pour tâche scientifique : « la construction du système des relations extérieures, nécessaires, indépendantes des volontés individuelles, objectives et, si l’on veut, inconscientes, dans lesquelles sont pris les individus et les groupes. »186 Dans ce

cadre, le travail du sociologue consiste en « la mise en évidence (via l’enquête sous ses

différentes formes) de logiques sociales objectives, à la manière d’une physique sociale. »187

Dans ce cadre, l’étude des logiques sociales sert à comprendre les lois et les principes, sous- jacents aux groupes sociaux, qui structurent les actions et desseins individuels. En adoptant un point de vue surplombant, et parfois même mécaniste188, cette éthique épistémologique

d’inspiration durkheimienne n’apparaît cependant pas suffisante pour comprendre les actions collectives, c’est-à-dire pour ne pas seulement analyser comment se produisent les comportements compte tenu d’un contexte social donné (raisonnement factoriel), mais aussi

182 During, Elie, Bublex, Alain, op.cit., 2014.

183 Fischbach, Frank, « Aufklärung et modernité philosophique : Foucault entre Kant et Hegel », in Da Silva,

Emmanuel, Lectures de Michel Foucault. Volume 2, Paris : ENS Editions, pp.115-134, version en ligne consulté le 13.06.16.: http://books.openedition.org/enseditions/1223?lang=fr.

184 Foucault, Michel, « What is Enligthenment ? » (« Qu'est‑ce que les Lumières? »), in Rabinow, Paul (Ed.), The

Foucault Reader, New York : Pantheon Books, 1984, pp.32-50, consulté en ligne le 18.08.16. :

http://1libertaire.free.fr/Foucault17.html.

185 « Les auteurs du Métier de sociologue (1968) – Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude

Passeron [5ème Ed., Berlin : Mouton de Gruyter, 2005]– mettaient en évidence la convergence de Karl Marx, Max

Weber et Émile Durkheim sur ’’le principe de la non-conscience, conçu comme condition sine qua non de la constitution de la science sociologique’’. » (Mauger, Gérard, « Logique sociale » Encyclopædia Universalis [en

ligne], consulté le 15.06.16.: http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/logique-sociale/ ).

186 Ibid. 187 Ibid.

188 Voir par exemple l’analogie du « champ de force » utilisée notamment par Pierre Bourdieu (cf. de Louis Pinto,

Louis, « CHAMP, sociologie », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 26.08.16. :

comment se forment les intentionnalités qui orientent les actions, telles que basées sur des capacités individuelles à interpréter le monde (raisonnement compréhensif) 189. Il est ainsi

possible de rendre intelligible les systèmes de sens attribués par des personnes à des actions et évènements particuliers en reconstruisant les discours (généralement idéal-typiques) qui leurs sont propres et synthétisent leurs connaissances, valeurs et raisonnements réguliers190.

L’étude de la construction des divers motifs et raisons qui fondent l’action des personnes dans des situations données accorde ainsi une place centrale à l’explicitation des croyances personnelles et aux interprétations du monde. Cependant, afin de rendre intelligibles les articulations entre ces éléments symboliques dans l’action des personnes, il est nécessaire d’y ajouter un ou plusieurs modèles de rationalité191. Ces derniers sont alors vus comme des

ensembles de règles déterminant le fonctionnement logique de l’esprit humain et ses rapports avec l’environnement physique et social par l’action192, ce qui peut s’apparenter à

des « traductions » de logiques de fonctionnement entre ces différents plans, par exemple à travers les concepts d’adaptation, de décision ou de réaction193.

Troisième conception : la logique naturelle de la pensée

Cela nous amène à une troisième conception de la « logique », très présente notamment dans la sphère scientifique. Au XXème siècle, les structures du sens des personnes,

c’est-à-dire les relations régulières entre éléments symboliques subjectifs, sont devenues un objet d’étude saisissable grâce à des recherches méta-logiques, visant à produire un discours (logique) sur les logiques194. Une théorie psycho-logique de la relation entre discours

(langage), pensée, action et interprétation de l’environnement est devenue alors pertinente – malgré sa forme déroutante195 - pour toutes les démarches scientifiques ayant vocation à

189 Boudon, Raymond, La Logique du social, Paris : Hachette, 1990, p.256, 269.

190 Weber, Max, Economie et Société. 1. Les Catégories de la Sociologie, Paris : Plon, coll. Pocket, 1995, pp.27-36 191 Weber, Max, « L'objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales (1904) », in Essais sur

la théorie de la science, Paris : Plon, 1965, version reprise et mise en page [en ligne], consultée le 14.06.16. :

http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/essais_theorie_science/essais_theorie_science.html.

192 Bateson, Gregory, op.cit., 1995.

193 Simon, Herbert, op.cit., 2004; Simon, Herbert, Reason in Human Affairs, Palo Alto : Stanford University

Press, 1983.

194 Morin, Edgar, La Méthode. 3. La connaissance de la connaissance, Paris : Seuil, 2014.

195 Comme le soulevaient Gödel, Wittgenstein et Korzybski, le problème viendrait de la récursivité du langage et de

la difficulté à définir la « pensée » : pour le dire de manière triviale, nous n’avons que des mots pour parler des mots, et la pensée peut emprunter le chemin des mots comme véhicule d’abstraction, parmi d’autres possibilités. Cela pose nécessairement des problèmes psycho-socio-linguistiques que Freud, Korzybski, entre autres, avaient bien mis en évidence. D’un point de vue scientifique, comme l’exprime Edgar Morin, cela aboutit à une situation délicate où : « Nous ne savons pas à quel moment notre pensée devient incohérente ou à quel moment le réel

échappe à la cohérence de notre pensée et brise celle-ci. Nous ne savons pas à quel moment abandonner la logique ou lui obéir. La logique est à la fois l'auxiliaire et l'adversaire de la pensée, et cette proposition est à la fois logique (elle peut être logiquement décomposée) et métalogique. La pensée doit être de toute façon trans- logique, dans le sens où « trans » signifie aller au travers, traverser et transgresser. […] Les conséquences de

étudier la vie des personnes et leurs actions. Alfred Korzybski a notamment proposé dans les années 1940 une synthèse de travaux de divers domaines (de la physiologie, l’anthropologie, la psychologie, la linguistique, etc.) permettant la construction d’un modèle psycho-logique, dans lequel la logique propre à une personne a un effet direct sur ses perceptions et ses comportements par l’intermédiaire de l’esprit, face à la complexité des situations vécues196.

En effet, dès la fin du XIXème siècle, la logique est apparue peu à peu comme un phénomène

en partie biologique et naturel, caractéristique de l’espèce humaine. Certains penseurs, au premier rang desquels John Dewey, ont ainsi défendu une conception darwinienne de l’esprit dans laquelle la logique sert de base à la production de raisonnements adéquates pour agir face aux exigences pratiques de la vie197. Ces idées, ou des conceptions similaires, seront

par la suite développées en psychologie, en théorie de l’esprit, en pédagogie ou didactique, par de nombreux chercheurs au premier rang desquels Jean Piaget198, Gregory Bateson199,

Paul Watzlawick200, Herbert Simon201, Edgar Morin202, Daniel Kahnemann203. Nous tirons de

ces recherches trois idées essentiels :

- Les représentations conceptuelles (symboles les plus abstraits), d’ordre généralement verbal et linguistique (et se basant sur la logique), ne viennent se greffer que de manière imparfaite sur les pensées et impressions ressenties et réalisées. Par récusions, le langage et les représentations conscientes n’agissent sur le corps que de manière imparfaite et sans contrôle parfait des conséquences 204.

- La connaissance organise l’expérience. Elle lui donne un sens, pour l’intégrer aux savoirs et aux modes de fonctionnements (raisonnements) afin de rendre cette dernière utilisable dans l’action présente et future. Ainsi, nos représentations l'affaiblissement de la logique sont capitales pour l'idée rationnelle de vérité et l'idée véritable de rationalité. Il faut abandonner tout espoir non seulement d'achever une description logico-rationnelle du réel, mais aussi et surtout de fonder la raison sur la seule logique. » (Morin, Edgar, op.cit., 2010).

196 Pour lui, l’usage inadéquat de certaines logiques (notamment la « logique aristotélicienne »), ou encore

certains paradoxes et incohérences internes à notre système de pensée (provoquées par cette même logique) pourraientt contribuer à des pathologies mentales ou sociales (dont les guerres), car notre pensée serait dépassée par la complexité du monde vécu (cf. Korzybski, Alfred, Une carte n’est pas le territoire. Prolégomènes aux

systèmes non aristotéliciens et à la sémantique générale, Paris : Ed. de l’Eclat, 1998).

197 C’est notamment une des conceptions que défendra John Dewey (op.cit., 1910; op.cit., 2014. ; Zask, Joëlle,

Introduction à John Dewey, Paris : La Découverte, 2015, pp.46-49).

198 Piaget, Jean, La construction du réel chez l’enfant, Neuchatel : Delachaux et Niestlé, 1967. 199 Bateson, Gregory, op.cit., 1995.

200 Watzlawick, Paul, Weakland, John, Fisch, Richard, Changements. Paradoxes et psychothérapie, Paris : Seuil,