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C HAPITRE 2 : L OGIQUE I NDUSTRIELLE ET P OLITIQUE Dans l’étude de la situation de la société française contemporaine, notre attention se

1.3. L E TOURNANT DES ANNEES 1970-

Un changement important s’opère entre 1970 et 1980 dans l’articulation de l’industrie et de la politique. Qualifié tantôt de « révolution »433 , « d’inflexion »434 ou de « tournant néo-

libéral »435, ce phénomène a été étudié par de nombreux chercheurs, tant sur le plan des idées

que des tenants et aboutissants politiques 436 . Les conséquences historiques et

428 Nizard, Lucien, « Administration et société : planification et régulations bureaucratiques », Revue française de

science politique, Vol.23, n°2, 1973, pp. 199-229.

429 Massé, Pierre, Le plan ou l’anti-hasard, Paris : Gallimard, 1965

430 Nizard, Lucien, « De la planification française : production de normes et concertation », Revue française de

science politique, Vol.22, n°5, 1972, pp. 1111-1132.

431 « L'essentiel de l'efficacité de la planification française doit être recherché dans les idées qui l'ont animée : la

volonté de ne pas laisser s'installer une nouvelle stagnation comme celle des années 1930 ; le désir de reconstruire l'économie française et, avant tout, la notion que la croissance économique est possible par le progrès des techniques de production » déclare ainsi Philippe Bernard (op.cit., 1964, p.559)

432 Join-Lambert, Marie-Thérèse, « La planification sociale dans le IXe Plan. », Revue économique, Vol.35, n°6,

1984, pp. 1147-1172 ; concernant les différences et relations entre croissance et développement, voir Perroux, François, « Les blocages de la croissance et du développement. La croissance, le développement, les progrès, le progrès (définitions) », Tiers-Monde, tome 7 n°26, 1966, pp. 239-250.

433 Bihr, Alain, « L’idéologie néolibérale », Semen [En ligne], 30, 2011, consulté le 15.10.15.:

http://semen.revues.org/8960.

434 Michel, Johann, « Peut-on parler d’un tournant néo-libéral en France ? », Sens Public [En ligne], n°5, 2008,

consulté le 14.10.15.: http://www.sens-public.org/spip.php?article577.

435 Jobert, Bruno (dir.), Le tournant néolibéral en Europe, Paris : L’Harmattan, 1994.

436 La littérature savante visant à analyser tant les formes du changement, que ces raisons, sa trajectoire, ses

conséquences, est très vaste. Pour ne donner que quelques titres d’ouvrages importants dans le domaine des sciences sociales, nous pouvons mentionner : Foucault, Michel, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de

institutionnelles de ce changement sont encore présentes : le renforcement de la place du marché dans l’économie industrielle a conduit à soumettre les formes et cadres d’action collective qui prévalaient en matière d’industrie à une logique marchande, au détriment des principes de progrès social d’après-guerre. Au cours de cette période, la politique industrielle se transforme peu à peu en « politique de compétitivité », évolution de la politique existente des « champions nationaux »437.

Renversement des pratiques officielles en matière d’intervention économique

Sur fond de critique récurrente de l’interventionnisme étatique, appuyée à l’échelle internationale par les membres éminents de la Société du Mont Pélerin438, s’opère en France

à partir des années 1930 une montée en puissance d’élites intellectuelles, administratives et économiques439 s’opposant à la planification et désirant trouver une « troisième voie » entre

le modèle interventionnisme étatique direct et le modèle du marché libre « manchestérien »440. L’interventionnisme étatique est alors l’objet d’une double critique.

D’une part, il est considéré comme une pratique menant nécessairement au totalitarisme de l’économie socialiste441, en infraction des principes éthiques de liberté et de propriété tels que

définis par les institutions et la doctrine libérale classique 442 . D’autre part,

l’interventionnisme étatique rendrait les politiques industrielles ou conjoncturelles contre- productives car, en orientant les objectifs des agents économiques en fonction de considérations politiques, cette pratique maintiendrait des activités inutiles et limiterait la propension des industriels à produire au bénéfice du plus grand nombre443. En d’autres

France 1978-1979, Paris : Gallimard, 2004 ; Boltanski, Luc, Chiapello, Eve, op.cit., 2011 ; Legendre, Pierre, Dominium mundi. L'Empire du management, Paris : Mille et une nuits, 2007 ; Brown, Wendy, Les habits neufs de la politique mondiale : Néolibéralisme et néo-conservatisme, Paris : Les Prairies ordinaires, 2007 ; Harvey,

David, Brève histoire du néolibéralisme, Paris : Les Prairies ordinaires, 2014.

437 Gauchon, Pascal, Le modèle français depuis 1945, 4ème Ed., Paris : Presses Universitaires de France, 2011. 438 D’après François Denord, la Société du Mont Pèlerin est un groupe intellectuel visant à promouvoir les idées

(néo)libérales (cf. Denord, François, « Le prophète, le pèlerin et le missionnaire. La circulation internationale du néo-libéralisme et ses acteurs », Actes de la recherche en sciences sociales, n°145, 2002, p.9-20). Michel Foucault a par ailleurs su relever la généalogie tant théorique que sociale des différents mouvements, que ce soit l’ordo- libéralisme allemand, d’origine autrichienne, ou le néo-libéralisme plus radical de l’école de Chicago (cf. Foucault, Michel, op.cit., 2004).

439 Denord, François, « Aux origines du néo-libéralisme en France. Louis Rougier et le Colloque Walter Lippmann

de 1938», Le Mouvement Social, n° 195, 2001 , p. 9-34.

440 Qui est au départ une version modérée du socialisme utilisant la planification pour encadrer et orienter

l’économie (cf. Denord, François, ibid., p.14).

441 Hayek, Friedrich A., La route de le servitude, Paris : PUF, 2013.

442 Voir les deux ouvrages majeurs de théorie politique dans ce domaine : Rothbard, Murray, L’Éthique de la

liberté, Paris : Les Belles Lettres, 1982 ; Nozick, Robert, Anarchie, État et utopie, Paris : PUF, 1974.

443 Une critique classique contre l’interventionnisme est ainsi que, par des taux de fiscalité élevés et la régulation

rigide des marchés, il bride la motivation des entrepreneurs (cf. Lepage, Henri, Autogestion et capitalisme.

termes, dans cette critique, le marché est considéré comme une institution économique plus efficace que le gouvernement centralisé pour répondre aux besoins des masses et aux multiples demandes.

Dans un contexte d’ouverture économique internationale, de libéralisation des changes et de fluctuations importantes des prix des matières premières à partir de 1973 (en particulier du pétrole), la crise des instruments politiques classiques d’intervention face à la montée du chômage va permettre la percée politique des thèses des nouveaux-libéraux444.

Les changements d’orientations politiques vis-à-vis des cartels sont emblématiques de cette transformation. Comme le montrent Claude Didry et Frédéric Marty, les évolutions de la politique de la concurrence illustrent un glissement dans les doctrines économiques et industrielles445 : au planisme dirigiste d’après-guerre se substitue un planisme colbertiste-

libéral au cours des années 1950, lui-même remplacé à la fin de la décennie 1970 par un

libéralisme version française446 qui valorise la confrontation non faussée des offres et

demandes sur le marché tout en érigeant l’Etat comme gardien de la liberté, chargé de la lutte contre les monopoles et les positions dominantes.

En 1945, les pouvoirs publics reprennent les idées corporatistes forgées avant la seconde guerre mondiale et mises en œuvre sous le Régime de Vichy447. Ils tolèrent ainsi les

ententes entre entreprises industrielles dans la mesure où elles permettent la réduction des risques liés à la mise en place d’infrastructures nouvelles et d’équipements industriels et facilitent la collecte des informations et la coordination des actions448 afin de permettre la

convergence des coûts de production en fonction de prix fixés par les autorités. Parallèlement, un effort significatif de coordination s’opère à l’échelle de l’Europe de l’ouest dans deux filières stratégiques de l’industrie lourde avec la fondation de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier de 1951. Mais c’est le Traité de Rome (1957) instaurant la Communauté Economique Européenne, qui fonde un changement de cadre institutionnel de la politique industrielle. Il coordonne l’ouverture économique, amène les gouvernements à poursuivre une politique de concentration horizontale dans les secteurs économiques et

444 Denord, François, « La conversion au néo-libéralisme. Droite et libéralisme économique dans les années 1980

», Mouvements, n°35, 2004, p. 17-23.

445 Didry, Claude, Marty, Frédéric, « La politique de concurrence comme levier de la politique industrielle dans la

France de l’après-guerre », Document de travail OFCE, n°23, sept. 2015, version en accessible en ligne consultée le 15.10.15. : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01208103.

446 Denord, François, Néolibéralisme version française. Histoire d'une idéologie politique, Paris : Editions

Demopolis, 2007 ainsi que Denord, François.

447 Denord, François, « Les idéologies économiques du patronat français au 20ème siècle. », Vingtième Siècle.

Revue d'histoire, n°114, 2012, p. 173.

oblige ceux-ci à mettre en œuvre une politique - au départ modérée - de la concurrence449.

Cependant, comme le notent Claude Didry et Frédéric Marty, les doctrines politiques, leurs moyens et leurs intentions s’hybrident :

« L’introduction de la politique de concurrence comme instrument de

démantèlement des ententes horizontales peut être lue comme la conséquence d’une montée en puissance des ambitions de l’Etat comme constructeur de filières industrielles. Elle procédait a priori d’une démarche colbertiste. » 450

Il s’agit en outre d’une politique s’inscrivant dans le cadre d’une construction européenne dans laquelle le rapprochement des nations la composant est supposé s’opérer par le commerce, mais qui n’empêche pas l’Etat de mener une politique de « champions nationaux » en même temps. A cette époque, un cadre biface se met en place progressivement au sein de la politique économique nationale : les principes libéraux de mise en concurrence des secteurs industriels coexistent avec des principes de service public ou avec des pratiques de planification industrielle, par exemple dans certains secteurs « stratégiques ».

L’inflexion libérale dans la politique anticartels, et plus généralement industrielle, a lieu en deux temps. Si le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas (1969-72) a préparé le terrain avec une « discrète libéralisation » des secteurs industriels publics451, la politique

économique libérale menée par Raymond Barre, Premier Ministre de 1976 à 1981 apparaît comme un tournant452. Dans la foulée, l’Acte Unique Européen de 1986, préparé dès 1984,

renforce les moyens de la Commission européenne de Jacques Delors dans sa politique de marché commun « libre et non faussé »453. Il concrétise ainsi en partie le projet néo-libéral de

supervision de marché par une autorité neutre, veillant au stricte respect des règles collectives, dans le cadre d’une règle de droit opposable. La Commission Européenne, organe administratif dégagé de nombreuses contingences politiques, est chargée de mener la politique de mise en concurrence sur le marché commun : lutte contre les ententes, lutte contre les abus de positions dominantes et les concentrations, contrôle des aides d’Etats. Si

449 Transparence des prix et lutte contre les ententes horizontales notamment. 450 Didry, Claude, Marty, Frédéric, op.cit., 2015, p.13.

451 Il est ainsi demandé aux grandes entreprises publiques comme la SNCF, EDF ou les charbonnages de France,

soumises à un service public ne leur permettant pas d’être à l’équilibre budgétaire, de négocier avec le gouvernement des « contrats de progrès » fixant des objectifs. Il s’agit ainsi de soumettre peu à peu les secteurs industriels publics à un objectif de rentabilité, quoi que compensé financièrement pour les missions de service public par l’Etat (cf. Gauchon, Pascal, op.cit., 2011, p.67).

452 Politique économique de libéralisation que François Denord résume ainsi en quelques mots : « diminution des

dépenses publiques, déblocage des prix industriels et politique monétaire restrictive » (cf. Denord, François, op.cit., 2004, p.19).

elle autorise quelques entorses aux règles de la concurrence, les raisons invoquées ne peuvent être que relatives à des conditions spécifiques de marché ou des formes de consommation en vigueur (aérospatial, produits de luxe, services après-vente automobiles, entre autres)454.

De nouvelles techniques de gouvernement économique

Dépourvues peu à peu des droits leur permettant d’intervenir directement dans les activités économiques, les pouvoirs publics sont ainsi renvoyés au rôle de régulateurs, chargés de favoriser les conditions d’une activité économique « saine » en s’assurant de la bonne application de normes techniques, économiques ou sanitaires (police économique). Les rares politiques industrielles admises dans ce cadre doivent satisfaire aux impératifs d’impartialité afin de ne pas fausser la concurrence sur le marché, en cohérence avec les règles communautaires455. Le cas des politiques anticartels montre bien comment les

réformes libérales ne se limitent pas à un changement de positionnement de l’Etat vis-à-vis de l’activité économique et sociale, mais visent à redéfinir en profondeur l’architecture et les modes de fonctionnement institutionnels en impulsant une doctrine politique porteuse d’une nouvelle logique d’action dans les affaires publiques. A l’exception des quelques secteurs régaliens spécifiques (sécurité-défense, justice, police), cette doctrine néo-libérale fait des Etats des justiciables comme les autres, avec une mission de régulation bien délimitée, au détriment des conceptions classiques de service public et d’intérêt général qui servaient jusque-là de bases principales à la justification des politiques économiques volontaristes d’après-guerre. Les changements ne sont cependant apparus que progressivement, notamment dans la mesure où les tendances à la libéralisation évoquées se sont construites par-dessus des héritages pratiques456 et des corpus de normes457 avec lesquels elles ont dû

454 Ces règles sont définies dans l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. Source :

« La concurrence pour les entreprises : ententes et abus de position dominante », Toute l’Europe.eu [en ligne], 2014, consulté le 23.10.15 : http://www.touteleurope.eu/les-politiques-europeennes/concurrence/synthese/la- concurrence-pour-les-entreprises-ententes-et-abus-de-position-dominante.html; « La politique européenne de la concurrence », Toute l’Europe.eu [en ligne], mis en ligne le 30.10.2014, URL : http://www.touteleurope.eu/les- politiques-europeennes/concurrence.html.

455 Le marché idéalisé apparaît ainsi de plus en plus comme un nouvel espace public européen où, d’après la

doctrine des économistes libéraux standard, la neutralité ne doit pas seulement être garantie pour maintenir l’équilibre du jeu des échanges (logique marchande) et donc maintenir l’efficience dans l’allocation des ressources (logique industrielle), mais aussi permettre d’exprimer ses préférences individuelles et manifester des choix collectifs. « Le consommateur est en somme le roi… chaque consommateur est un électeur qui décide, par son

vote, que telle chose sera faite parce qu’il veut qu’elle soit faite », écrit ainsi le grand économiste libéral Paul

Samuelson (cité dans Galbraith, John K., op.cit., 1989, p.258). Après tout, la fonction de l’intégration économique par le marché unique n’était-elle pas, pour quelques fondateurs comme Jean Monnet et Robert Schuman, d’accompagner la constitution d’un espace politique européen en rapprochant les peuples ?

456 Elie Cohen remarque néanmoins un certain décalage entre doctrine de politique industrielle et actions

politiques concrètes, et évoque de ce fait les difficultés d’étude de la politique industrielle : « S’il était possible de

distinguer un âge d’or de la planification et de la « vraie politique industrielle », puis une phase de libéralisation d’abord timide, puis contrariée et enfin impétueuse, et de relier ce cycle de l’intervention économique à un cycle politique, tout serait en effet plus simple. Mais la réalité est rebelle, elle refuse de se plier aux catégories et aux périodisations des auteurs de manuels. C’est un gouvernement autoritaire qui a institué une redistribution de

composer. Parallèlement, les administrations ont été amenées à s’adapter pour intégrer de nouvelles techniques d’exercice du pouvoir, avec la recherche et le développement d’outils et de pratiques de politiques publiques mettant en œuvre des instruments para-marchands458,

qui se veulent neutres afin de ne pas déroger aux principes d’impartialité. Ces nouvelles techniques s’inscrivent dans des stratégies de gouvernance459, auxquelles la doctrine du

« nouveau management public » sert de base460. Cette doctrine, issue de la science

administrative anglaise, revendique une volonté de « rationalisation » de l’action publique, un peu comme le planisme. Cependant, en dénonçant la « rigidité » du plan ou l’inadaptation administrative face à des contextes locaux ou sectoriels singuliers, elle conduit à valoriser systématiquement l’auto-organisation des acteurs sociaux et les initiatives privées pour répondre aux besoins sociaux 461. Aussi, en cohérence avec le cadre institutionnel européen,

elle promeut un nouveau mode d’intervention selon une logique de projets plutôt que de service (public) pour assurer un certain nombre d’actions auparavant exclusivement du ressort du secteur public. Comme nous le verrons plus loin, les projets apparaissent en effet comme un outil majeur pour générer de la coopération entre acteurs industriels et structurer ainsi des secteurs industriels autonomes et économiquement viables.

Les changements institutionnels récents touchent aux modalités de coordination entre acteurs publics et privés au sein de l’espace public de la politique industrielle française. Depuis les années 1970, l’articulation de la logique industrielle avec la logique civique, maintenue jusque-là par les idéaux de développement économique et de progrès social, se trouve affaiblie. L’autonomisation progressive du cadre légitime d’action collective en matière industrielle donne lieu à un rapprochement entre sphère industrielle et sphère type sociale-démocrate sans syndicats et sans compromis institutionnalisés. C’est un gouvernement libéral qui a exacerbé l’interventionnisme et gravement affaibli les entreprises. C’est enfin un gouvernement socialiste, nationalisateur, élu sur un programme de rupture avec le capitalisme, qui a instauré la révolution libérale en France en présidant à la dérèglementation économique et sociale » (Cohen, Elie, op.cit., 1992, p.197-198).

457 En France, le grand projet de « Réforme de l’Etat » n’est amorcé qu’à partir de 2001 avec la Loi organique

relative aux lois de financement (LOLF) qui réorganise la structure budgétaire de l’Etat et aboutie en 2006 à la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) ; source : « Révision générale des politiques publiques, un ’’coup d’accélérateur’’ pour la réforme de l’Etat », Vie Publique, Au cœur du débat public [En ligne], mis en ligne le 24.09.2007, consulté le 21.10.2015 : http://www.vie-publique.fr/actualite/dossier/rgpp/revision-generale- politiques-publiques-coup-accelerateur-pour-reforme-etat.html.

458 Comme nous le verrons dans le Chapitre 4 et 6 avec le cas des projets de matériaux biosourcés, il s’agit, par

exemple, de techniques de mise en compétition de prestataires ou des demandeurs d’aides, ou de la généralisation de la forme contractuelle de coordination (prestations, public-privé, affermage, concessions, etc.).

459 Rhodes, Roderick A.W., « The New Governance : Governing without government », Political Studies, Vol.44,

1996, p.652-667.

460 Le nouveau management public apparaît comme un courant français similaire au new public management,

conçu au Royaume-Uni sous l’influence du gouvernement de Margareth Thatcher dans les années 1980.

461 Cf. Bezes, Philippe, « ’’État, experts et savoirs néo-managériaux’’ Les producteurs et diffuseurs du New Public

Management en France depuis les années 1970 », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 193, 2012, p. 16- 37 ; Halpern, Charlotte, « L'Union européenne, vecteur d'innovation instrumentale ? Les logiques d'instrumentation de la politique française de l'environnement (1971-2006) », Politique européenne, n° 33, 2011, p. 89-117.

marchande. Cependant, il ne s’agirait pas d’un déclin étatique mais plutôt d’une restructuration générale des techniques de gouvernement. Ainsi, Patrick Le Galès et Alan Scott soutiennent que l’Etat « renforce sa capacité de transformation de la société et de

pilotage des groupes et des organisations en introduisant des mécanismes de marché au sein du secteur public et en redéfinissant les règles du jeu, les paramètres de l’action publique » 462. La pratique de gouvernement va ainsi emprunter de nouvelles logiques et

stratégies. Pour examiner cela plus en détail, nous proposons d’étudier l’évolution d’un cadre institutionnel qui nous semble symptomatique des nouvelles formes d’organisation de l’action collective en matière industrielle. La trajectoire du concept de « filière », de son émergence dans les milieux scientifiques jusqu’à son instrumentalisation administrative ou politique, est intéressante à ce titre. Elle témoigne d’une tentative de contrôle des acteurs industriels au moyens de stratégies ambivalentes de « structuration des filières ». Ces stratégies visent à la fois à autonomiser les acteurs sociaux et à les orienter (où à les limiter), dans le contexte des nouvelles politiques de relance économique (lutte contre le chômage) et de compétitivité (concurrence internationale).