• Aucun résultat trouvé

C HAPITRE 1 : LE PROBLEME DES LOGIQUES D ’ ACTION Seront exposés, dans ce premier chapitre, les contextes scientifiques et sociétaux à la

2. L ES LOGIQUES DE L ’ ACTION COLLECTIVE

2.2. R ATIONALITE ET ACTION COLLECTIVE

Ces nouvelles formes de logique doivent permettre de comprendre et de modéliser avec une plus grande complexité les comportements humains, et notamment ceux qui émergent des interactions entre des personnes très différentes, dans une diversité de milieux et de situations. Le problème est en effet important dans la mesure où, en particulier :

« Une population de quatre millions d’habitants ne diffère pas seulement

quantitativement d’un [seul] individu, mais aussi qualitativement, parce qu’elle comprend aussi le système d’interaction entre les individus. De même, alors que les individus appartenant à une espèce possèdent d’habitude des mécanismes spécifiques de survie, il est bien connu que l’espèce entière peut courir à sa propre perte. L’espèce humaine en l’occurrence ne fait probablement pas exception à ce principe. »210

Le modèle d’action collective de Mancur Olson

Les humanités sont ainsi depuis longtemps confrontées à la question des interactions entre logiques individuelles et collectives, c’est-à-dire à un problème de la relation entre les comportements des personnes prises individuellement et leur effet global lorsqu’on observe la dynamique d’un groupe211. Ce problème scientifique est en partie à la base de nombreuses

sciences sociales, dont notamment l’économie et la sociologie212. L’ouvrage de Mancur Olson

publié en 1965 sur les logiques de l’action collective est une contribution importante aux

208 Von Glasersfeld, Ernst, op.cit., 1988. Voir aussi à ce sujet l’intéressante synthèse qu’en donne Edgar Morin

dans son article « Logique et contradiction » (op.cit., 2009), principalement à partir de son ouvrage La Méthode.

3. La connaissance de la connaissance (op.cit., 1990, 2014). On peut mentionner également d’autres innovations

comme les logiques quadrivalentes de Heyting, trivalentes de Lukasiewicz qui « assouplissent, dépassent,

complexifient la logique classique, qui devient pour elle un cas particulier. » (Morin, op.cit., 2009, p.10), la

logique ordinaire (J.-B. Grize), la nouvelle rhétorique de Chaïm Perelman, parmi d’autres.

209 Le Moigne, Jean-Louis, op.cit., 1999. 210 Watzlawick, Paul, et al., op. cit., 1975.

211 Boudon, Raymond, « Préface », in Olson, Mancur, Logiques de l’action collective, Paris : PUF, 1978, p.17. 212 Notamment avec les questions : qu’est-ce que la société ? Quelles sont ses propriétés, et quels effets permettent

de passer d’un groupe d’individu à une communauté ? etc. (Cf. Edgar Morin (Ed.), La société, Paris : CNRS Editions et Le Nouvel Observateur, 2011).

recherches dans ce domaine213. Il s’inscrit dans le contexte économique, sociale et politique

des Etats-Unis d’Amérique d’après-guerre214, ainsi que dans le prolongement de nombreuses

recherches en sciences des organisations215. Aussi, l’auteur tente de comprendre les

déterminants de la réussite ou de l’échec des actions visant à défendre des intérêts communs à un groupe d’individus (ou d’entités individuelles, comme des entreprises, des associations…). Dans ce modèle, un groupe est défini comme plusieurs individus ayant un intérêt commun, c’est–à-dire qu’ils seront tous ensemble touchés positivement par la défense ou la promotion d’une cause politique, sociale ou économique216, que chaque membre pourra

tirer individuellement un avantage des services rendus par un bien commun, collectif ou public (comme une nouvelle infrastructure ou organisation), ou encore par l’établissement d’une nouvelle situation politique (de nouveaux droits, des subventions ou allocations, etc.), avantageuse pour les membres du groupe217. Toutefois, les individus de ce groupe peuvent

maintenir respectivement des conceptions variables de leurs intérêts communs218. Si une

action collective, c’est-à-dire une action coordonnée nécessitant un investissement plus ou moins important d’efforts et de moyens, est nécessaire à la défense, la promotion ou la réalisation de ce bien commun, les stratégies individuelles au sein du groupe peuvent diverger. En effet, chaque individu peut avoir, de son point de vue, intérêt à y consacrer le minimum d’efforts individuels et de moyens nécessaires à l’obtention des biens collectifs. Il est ainsi plus avantageux d’adopter une stratégie de « passager clandestin » (« free rider »), métaphore qui désigne la position d’un bénéficiaire de l’action collective qui n’y contribue et ne s’y engage pourtant pas. Cette logique d’action individuelle étant donnée, il s’agit donc de

213 Olson, Mancur, Logic of collective action. Public good and the theory of groups. Cambridge, MA : Harvard

University Press, 1965 ; nous nous réfèrerons par a suite à l’édition français de 1978 (cf. Olson, Mancur, op.cit., 1978).

214 Rappelons simplement que l’anglais « collective action » désigne une forme de plainte collective en justice pour

un préjudice touchant un groupe de personnes ou d’entités morales. Cette expression désigne également plus largement des mouvements collectifs de protestation ou de revendication politique, très importants dans les années 1950-60 aux Etats-Unis, dont les mouvements d’égalité des droits civiques (suite à l’arrestation de Rosa Parks en 1955), environnementalistes (suite à l’essai « Silent Spring » de Rachel Carson en 1962), pacifistes (la guerre du Vietnam s’intensifie en 1964). Malgré cela, Mancur Olson l’applique en premier lieu aux domaines de l’économie industrielle et notamment à la coordination inter-entreprises sur et par les marchés, aux groupes de pression et d’intérêt politique (lobbies), à la coordination entre employeurs et employés sur le marché de l’emploi,

etc.

215 Olson, Mancur, op.cit., 1978, p.25.

216 L’exemple typique suivant est donné dans l’ouvrage d’Olson: un bien commun, comme par exemple une grille

de salaire d’une profession entière, est défendu par des organisations syndicales n’intégrant pourtant en général qu’une minorité de salariés. Chaque membre de cette minorité investit des moyens personnels (efforts, temps, financement) dans l’action syndicale de défense de la grille, alors que les retombées affecteront l’ensemble des salariés du secteur et de la profession concernée.

217 « Nous appelons ici bien commun, collectif ou public tout bien qui, consommé par une personne Xi dans un

groupe {X1,… Xn}, ne peut absolument pas être refusé aux autres personnes du groupe. En d’autres termes, ceux

qui n’achetent ou ne paient aucun bien public ou collectif ne peuvent être exclus ou écartés du partage alors qu’ils pourraient l’être des biens non collectifs. » (Ibid., pp.36-37).

218 Ibid., pp.28-29 ; « La difficulté à analyser les relations entre la dimension d'un groupe et le comportement de

l'individu à l'intérieur du groupe est due en partie au fait que chaque individu dans un groupe peut attribuer une valeur différente au bien collectif poursuivi par son groupe. » (Ibid., p.44).

comprendre les conditions sociales, individuelles et collectives, qui déterminent l’adoption de certaines stratégies individuelles pour défendre ou pas des intérêts supérieurs communs à un groupe219.

Pour Mancur Olson, les personnes s’engagent dans une action collective pour une cause commune dans le but d’obtenir des avantages individuels. Ainsi, les organisations (principalement économiques) ont pour but premier la satisfaction des intérêts de leurs membres220. En d’autres termes, sauf certains cas exceptionnels (groupes familiaux et

religieux, certaines administrations, organisations totalitaires, etc.), pour qu’un minimum d’individus s’engage dans une action collective et permette ainsi à une organisation de survivre, il est nécessaire qu’existe une continuité directe entre l’intérêt que peut retirer chaque individu s’engageant dans l’action collective et l’intérêt commun qu’en retire l’ensemble du groupe. De plus, afin que les personnes acceptent de continuer à travailler pour un bien commun, il convient que les efforts consentis individuellement au travail collectif soient inférieurs aux bénéfices retirés respectivement par chaque individu à la suite d’une amélioration de la situation commune221. Les conditions sociales de réussite et de

maintien de l’action collective varient cependant fortement en fonction de la nature du bien commun222 (inclusif ou exclusif) ainsi que de la taille et de la structure du groupe (petits

groupes de « privilégiés »223, groupes « intermédiaires »224, grands groupes « latents »225).

Un paramétrage adéquat de ces derniers facteurs, dans un domaine économique, social ou

219 L’engagement dans des actions collectives n’apparaît pas seulement comme une conséquence de la forme (ou

de la structure) sociale et institutionnelle de l’organisation de l’action collective, mais aussi du contexte social et institutionnel (cf. Ibid., p.60).

220 Ibid., p.26.

221 Mancur Olson ajoute quelques nuances, exprimées en des thermes issus de la science économique néo-

classique : « Dans tout groupe où la participation est volontaire, le ou les membres dont les parts du coût

marginal excèdent leurs parts des bénéfices supplémentaires, cesseront de contribuer à l'obtention du bien collectif avant que le point optimal soit atteint. » (Ibid., p.54) ; « si à tout niveau d'achat du bien collectif, le gain collectif excède le coût total de plus qu'il n'excède le gain de chaque individu, on peut supposer que le groupe obtiendra le bien collectif car dans ce cas le gain individuel excède le coût total de l'obtention du bien collectif. » (Ibid., p.56).

222 « Alors que les entreprises dans une économie de marché se plaignent de toute intensification de la

concurrence, les associations qui fournissent des biens collectifs en dehors de l'économie de marché voient presque toujours d'un bon œil de nouvelles recrues. » (Ibid., p.59)

223 « Un groupe ’’privilégié’’ est un groupe tel que chacun de ses membres ou du moins l'un d'entre eux a intérêt à

se procurer le bien collectif, quitte à en supporter seul la charge entière. Dans un groupe de ce genre, le bien collectif a des chances d'être obtenu et ce sans aucune organisation de groupe ni coordination quelconque. »

(Ibid., p.72).

224 « Un groupe ’’intermédiaire’’ est un groupe où un seul membre reçoit une part de bénéfice suffisante pour

l'inciter à se procurer le bien lui-même, mais qui ne compte pas assez de membres pour qu'aucun d'entre eux ne

remarque si les autres contribuent ou non à l'acquisition du bien collectif. Dans ce type de groupe, le bien collectif peut aussi bien être acquis que peut ne pas l'être mais il ne peut pas l'être sans quelque coordination ou organisation. » (Ibid., p.73).

225 « Les grands groupes sont ainsi appelés groupes ’’latents’’ en raison de leur pouvoir ou aptitude ’’latents’’

pour l'action, mais ce pouvoir virtuel ne peut être actualisé ou ’’mobilisé’’ qu'à l'aide ’’d'incitations sélectives’’. »

politique particulier (contexte institutionnel extérieur) en fonction des règles de fonctionnement propres au groupe et compte tenu des attentes individuelles, permettent ensuite d’expliquer la dynamique de cohésion et d’investissement dans l’action collective.

La rationalité procédurale d’Herbert Simon

Malgré son très fort pouvoir de généralisation, le modèle d’action collective de Mancur Olson contient des nuances et des limites clairement exposées par l’auteur226. Une

objection théorique importante concerne le modèle de comportement des agents. La « logique » de l’action collective emprunte en effet très largement son modèle de comportement individuel à une théorie de la rationalité qualifiée de « substantive ». Issue notamment de l’école néo-classique des sciences économiques, cette théorie est basée sur l’hypothèse « que l'acteur économique a un but particulier, par exemple, une utilité ou un

profit maximum [et] que l'acteur économique est substantivement rationnel. »227 Cet acteur

rationnel en substance se comporte de manière à maximiser son résultat positif espéré avec un minimum d’efforts et de coûts, compte tenu des possibilités qui lui sont offertes à un moment donné (ou par anticipation) 228. Cette conception utilitariste229, conséquentialiste230

et triviale231 des comportements humains a été largement critiquée et remise en cause232

quoiqu’elle soit impossible à réellement invalider du fait de son caractère paradigmatique233.

A ce modèle de comportement de rationalité « substantive », une alternative solide a été proposée avec la théorie de la rationalité « procédurale », parfois appelée aussi théorie de la « rationalité limitée ». Herbert A. Simon, son principal concepteur, la présente comme

226 Au-delà de la recherche de profit économique, Mancur Olson reconnaît et inclut plusieurs autres types de

motivations humaines telles que les motivations affectives (amitié, « mobiles erotiques et psychologiques ») ou de reconnaissance sociale (« soif de prestige, de respect », « statut socio-économique »), etc. Cependant, il n’inclut pas un certain nombre d’entre elles dans ses modèles, notamment les motivations morales et éthiques car il les considère impossibles à démontrer (ibid., pp.83-84).

227 Simon, Herbert, « De la rationalité substantive à la rationalité procédurale », MCX-APC [en ligne], Les

introuvables en langue française de Herbert Simon, Document n°5, 1992, p.2, consulté le 23.06.16. :

http://www.intelligence-complexite.org/nc/fr/documents/les-documents-complexite-en-oeuvre/les- introuvables-de-ha-simon.html originalement publié dans la revue PISTES, n°3, 1992.

228 Voir « Subjective expected utility » dans: Simon, Herbert, Reason in human affairs, Stanford: Stanford

University Press [version numérique Ebook Kindle], 1983, Emplacement 104/1019.

229 Voir l’introduction de Raymond Boudon à l’ouvrage de Mancur Olson (op.cit., 1978). 230 Simon, Herbert, op.cit., 2004, p.99.

231 Ibid., p.63, 102.

232 Le Moigne, Jean-Louis, op.cit., 1994.

233 Voir pour preuve le débat entre Milton Friedman et Herbert Simon, évoquée par ce dernier dans Les sciences

de l’Artificiel (op.cit., 2004, p.69 et note n°8, p.400) et dont on retrouve également des traces dans sa conférence

de réception du « Prix Nobel » d’économie (« Rational Descision Making in Business Organizations », Lecture to

the memory of Alfred Nobel, Nobel Price Foundation, 1978, consulté le 15.06.16. :

« un changement fondamental de style scientifique » par rapport à la théorie néo- classique234. Elle permettrait de comprendre l’action humaine de manière plus riche et dans

une plus grande diversité de situations235, et au prix d’hypothèse moins fortes236. De manière

synthétique, cette théorie suggère que :

« Le comportement est rationnel de manière procédurale quand il est le résultat

d'une réflexion appropriée. Sa rationalité procédurale dépend du processus qui l'a génèré. […] D'un point de vue procédural, notre intérêt ne porterait pas sur la solution du problème […] mais sur la méthode employée pour la découvrir. »237

Dans ce contexte, il ne s’agit plus de chercher une solution préjugée « optimale » à un problème d’une simplicité illusoire, mais plutôt de réaliser un travail « raisonné » d’exploration et d’exploitation des possibilités d’action, grâce à un raisonnement intelligible ajustant constamment fins et moyens. La procédure d’investissement de la personne dans une action donnée (ou une phase d’action) continue jusqu’à atteindre une situation satisfaisante compte tenu du « niveau d’aspiration » de la personne en fonction des moyens dont elle dispose (temps disponible, capacités de réflexion et informations, moyens financiers, contacts et connaissances, etc.) 238. Les décisions d’agir ne sont plus prises

seulement à cause de leur conséquences et des moyens à dispositions (ce qui conduirait à résumer la rationalité à une simple optimisation des moyens en fonction des conséquences attendues) mais aussi à cause de l’adéquation des actions à un contexte évolutif de valeurs et de règles239. Dans ce modèle de comportement, une procédure d’action est considérée adéquate si elle conduit à des résultats satisfaisants par rapport aux attentes et aux valeurs

qu’on se donne, et en retour, les conséquences d’une action sont jugées du point de vue des valeurs éthiques et des capacités d’action effectivement engagées dans la procédure d’action rationnelle. Aussi, cette dernière adéquation est en premier lieu un travail individuel de réflexion, dépendant des capacités d’attention perceptives et intellectuelles, du contexte éthique et moral de la personne, et de sa mémoire d’expériences passées. Cela se traduit notamment par la prise en compte des moyens cognitifs, informationnels, des connaissances

234 « Le passage des théories de la rationalité substantive aux théories de la rationalité procédurale réclame un

changement fondamental de style scientifique : l’accent, d'abord mis sur le raisonnement déductif à l'intérieur d'un étroit système d'axiomes, est placé ensuite sur l'exploration empirique détaillée d'algorithmes complexes de la pensée. » (Simon, Herbert, op.cit., 1992, p.13).

235 Simon, Herbert, op.cit., 1983.

236 En particulier, l’hypothèse utilitariste de maximisation d’utilité dans le comportement est non seulement

exorbitante mais également d’un réductionniste fort contestable (cf. Simon, Herbert, op.cit., 1978, p.3-4).

237 Simon, Herbert, op.cit., 1992, p.3.

238 March, James, Explorations in Organizations, Palo Alto: Stanford University Press, 2008, p.171.

239 Cyert, Richard, March, James, « An Epilogue », in ibid., p.66. ; Le Moigne, Jean-Louis, « Sur l’épistémologie

des sciences de la décision, science de la cognition », in Le Constructivisme. Tome 2 : des épistémologies, Paris : ESF Ed., 1995, pp.73-89.

et savoirs accumulées ainsi que des conditions physiques de l’action (conditions spatio- temporelles, milieu de vie, énergie personnelle, etc.) de l’individu ou du collectif agissant240.

Or, résumer la rationalité simonienne à la seule prise en compte de certaines « limites cognitives » dans une logique d’action « instrumentale »241, reviendrait à ignorer que la

finalité d’un processus rationnel de recherche-action est contingente au processus lui-même. Un processus dans lequel la représentation de la situation finale souhaitée au terme d’une procédure d’action se redéfinie au cours du travail d’exploration des possibles et de confrontation aux problèmes rencontrés242. Mais c’est aussi, et surtout oublier que

l’intelligence est la conjonction des structures non seulement physiques et cognitives, mais aussi culturelles et sociales, propres à chaque individu ou à collectif. En effet, les connaissances, les attentes et les normes de jugements sont issues d’un processus permanent de réflexion et d’apprentissage, qui peut être à la fois conscient et inconscient. Aussi, la rationalité procédurale combine une forme d’intelligence interprétative et réflexive, appuyée sur un discours logique visant à clarifier l’action, avec des méthodes intuitives, tâtonnantes et critiques d’apprentissage et d’exploration, fondées sur des formes de raisonnements heuristiques et non conventionnelles telles que l’analogie, la métaphore, l’hybridation de catégories logiques, entre autres. La réflexion et la ruse sont ainsi les deux facettes de l’esprit de cet homo cogitans243, dont on peut tenter-là de comprendre les motifs d’action à partir de

l’étude des stratégies et des méthodologies qu’il emploie dans une situation donnée, face à un problème donné, pour atteindre ses fins. Le processus de conception de l’action stratégique (ou méthodique) consiste en effet en un va et vient entre la logique des « conséquences attendues » (logique instrumentale) et la logique des « actions appropriées » (logique en valeurs) 244. Dans ce cadre conceptuel, les finalités s’expriment à travers des choix

contextualisés, toujours réalisés en situations et selon des jugements dont les valeurs peuvent provenir de registres éthiques et moraux divers et variables dans le temps. Le comportement qui consiste à maximiser son utilité (ou à minimiser son effort ou sa souffrance) n’apparait

240 A la suite de Jean-Louis Le Moigne, nous privilégions cependant l’usage du terme de « rationalité

procédurale » plutôt que celui de « rationalité limitée », pour insister sur le processus orienté par un dessein comme lieu de construction de cette rationalité (cf. Le Moigne, Jean-Louis, op.cit., 1994).

241 Appelée aussi rationalité en « finalité », c’est-à-dire que la « fin justifie les moyens », et que l’action serait

légitimée ou compréhensible principalement en fonction de ses conséquences et de ses effets attendus.

242 Avenier, Marie-José, La Stratégie Chemin Faisant, Paris : Economica, 1999.

243 « Car ’’La métis est bien une forme d'intelligence et de pensée, un mode du connaître ; elle implique un

ensemble complexe mais très cohérent d'attitudes mentales, de comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d'esprit, la feinte, la débrouillardise, l'attention vigilante, le sens de l'opportunité...’’ (Détienne et Vernant 1974, p. 10). Ne lit-on pas, dans cette description du raisonnement par tâtonnements et conjectures engagé dans l'action, une définition fort vivante de la rationalité procédurale ? »

(Le Moigne, Jean-Louis, op.cit., 1994, p.141, citant Détienne M. et Vernant J.-P., Les ruses de l'intelligence, la métis des Grecs, Paris : Ed. Flammarion, 1974).

donc plus que comme une méthodologie d’action parmi d’autres, s’inscrivant dans le contexte éthique et moral particulier d’un individualisme utilitariste 245.