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2.2 L’innovation par l’usage du produit

2.2.4 L’usage du Produit

Nous avons montré que l’innovation de produit et la création de valeur associée peut se faire en partie par l’usage du produit. Cette partie présente une définition de l’usage du produit et la notion permettant de l’étudier : l’expérience utilisateur.

2.2.4.1 Définition de l’usage

L’usage, considéré aujourd’hui comme une notion multidisciplinaire, a pour objet la prise en compte, de manière exhaustive, de l’utilisateur dans le processus de conception de produit [Buisine et Roussel, 2008]. Plusieurs définitions de l’usage existent dans la littérature. Dans le langage commun, l’usage est défini comme le fait de se servir de quelque chose. En effet, cette définition couvre particulièrement l’utilisation du produit dans le cadre de l’action et de l’emploi. L’usage concerne aussi une dimension plus générale que sont les pratiques, les us et coutumes [Buisine et Roussel, 2008]. En accord avec les deux sens, l’usage du produit a deux composantes : la première renvoie à l’interaction entre l’utilisateur et le produit (utilisation); la deuxième est liée aux pratiques sociales des utilisateurs quand ils interagissent avec le produit et entre eux dans un contexte donné [Nelson, 2011 ; Proulx, 2005 ; Buisine et Roussel, 2008]. Nous retenons ainsi la définition suivante d’usage comme proposé par Brangier et Barcenilla (2003) :

L’usage est la mise en activité effective d’un objet dans un contexte sociale [Brangier et Barcenilla, 2003].

Dans le cadre de nos travaux, nous considérons ainsi l’usage du produit comme l’interaction entre trois éléments ou composants : le produit, l’utilisateur et le contexte dans lequel l’utilisateur interagit avec le produit et avec les autres utilisateurs comme illustré sur la Figure 4 qui suit.

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Figure 4. Les trois composantes de l’usage (Représenté par le language : Object Modelling Technique [Rumbaugh, 1991])

La Figure 4 montre une représentation des trois éléments qui définissent, selon nous, l’usage du produit. L’usage du produit dépend ainsi :

 du produit : l’usage dépend du produit de par sa forme, ses fonctionnalités, ses caractéristiques, ses qualités esthétiques…

 du contexte : il est défini par des patterns sociaux, culturels et organisationnels qui influencent l’usage du produit. De nombreux auteurs soulignent l’importance des informations contextuelles pour conduire le processus de conception du produit [Bødker, 2000 ; Hekkert et Van Dijk, 2001 ; Mattelmaki et Batterbee, 2002 ; Grudin et Pruitt, 2002 ; Visser et al., 2005 ; Bluntzer et al., 2014]. En effet, un produit est conçu pour être utilisable par un groupe d’utilisateurs avec certaines caractéristiques dans un contexte d’usage particulier [Maguire, 2001]. Dans sa recherche sur le sens du produit ‘Product’s meaninig’ et les activités de conception, Krippendorff (1989) souligne qu’un objet prend son sens dans un contexte donné ‘un objet est toujours vu dans un contexte d’autres objets, de situation d’usage, et des utilisateurs’. Pour cet auteur, la relation entre un objet et le contexte représente des constructions cognitives pour l’utilisateur, et le sens d’un objet est la somme de tous ses contextes imaginables. Kroes (2001) indique que la fonction d’un objet ne peut pas être isolée du contexte de son usage ‘action intentionnelle’. Cette fonction est un moyen pour arriver à une finalité dans le contexte de l’usage.

 de l’utilisateur : l’utilisateur est la personne qui interagit avec le produit [ISO 9241-11, 1998]. la vision de l’utilisateur est celle d’un être humain complexe qui utilise le produit dans un contexte particulier. Il est défini avec toutes ses caractéristiques physiques, ses caractéristiques cognitives, ses valeurs et ses expériences précédentes. D’autre part, les attentes de l’utilisateur concernant le produit peuvent varier selon trois niveaux [Hasdoǧan, 1996]. Le premier niveau commence dans le magasin. À ce niveau, il s’agit d’un consommateur qui va acheter le produit sur des critères comme les coûts, la qualité qu’il perçoit du produit et l’image de marque [Cagan et Vogel, 2002]. Le deuxième niveau est la phase de l’usage initial du produit. Après l’acceptation du produit dans

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la phase de l’usage initial, le troisième niveau, la phase de l’usage normal, commence où les attentes de l’utilisateur se fondent sur ces propres expériences avec le produit [Hasdoǧan, 1996]. Enfin, le terme ‘utilisateur’ fait parfois l’objet de malentendus. Chaque acteur dans l’équipe de conception a sa propre compréhension de l’utilisateur et de ses besoins. Pour Cooper et al. (2007) l’utilisateur devient élastique, "elastic user", lors de la prise des décisions sur le produit entre les différents acteurs. Par conséquent, il est difficile de cadrer et formaliser les caractéristiques et les besoins de cet utilisateur de manière claire.

Dans le cadre de nos travaux, nous considérons dans cette interaction le produit et l’usage associé avec un contexte et un utilisateur donné. Notre point de vue considère que modifier le produit provoque une modification de l’usage associé et que de la même manière modifier l’usage remet en cause le produit associé. Ainsi, nous considérons le couple produit/usage comme la représentation d’un produit et de l’usage associé avec un utilisateur et un contexte donnés.

Pour étudier et évaluer cette interaction complexe qu’est l’usage, on parle aujourd’hui d’expérience utilisateur. Cette notion apporte une vision très large sur les valeurs associées au produit telles que celles d’utilisabilité ou d’émotionnalité par exemple. Une compréhension de l’usage et de son impact sur la satisfaction de l’utilisateur nécessite donc de détailler cette notion.

2.2.4.2 Expérience utilisateur (UX)

La notion d’expérience utilisateur a émergé pour élargir la notion de qualité d’usage (liée à la satisfaction de l’utilisateur) d’un produit en intégrant les aspects affectifs, émotionnels, hédoniques et expérientielle de l’interaction produit-utilisateur [Forlizzi et Battarbee, 2004; Hassenzahl et Tractinsky, 2006 ; Hancock et al., 2005, Nelson, 2011]. Nous pouvons identifier plusieurs efforts pour définir l’expérience utilisateur dans la littérature et pour proposer une définition standard. Nous pouvons citer la définition de la norme ISO 9241-210 (Conception centrée sur l'opérateur humain pour les systèmes interactifs) concernant l’expérience utilisateur : « L’expérience utilisateur est les perceptions et les réponses d’un individu qui découlent de l’usage ou de l’usage anticipé d’un produit, d’un système ou d’un service » [ISO 9241-210, 2010].

Cette définition, est en accord avec les travaux de Forlizzi et Battarbee (2004) et de Hassenzahl et Tractinsky (2006), qui démontrent que l’expérience utilisateur est le résultat de l’usage du produit (ou l’usage anticipé) qui est défini par l’interaction entre Utilisateur, Produit et Contexte.

Pour clarifier la nature de l’expérience utilisateur, différents modèles et théories ont été développés dans différents champs disciplinaires touchant comme la conception de produits, le marketing, la philosophie, l’anthropologie, les sciences cognitives et les sciences sociales. Nous retiendrons

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l’approche de Brangier et Bastien (2010) (Figure 5) qui proposent de rattacher l’expérience utilisateur à quatre domaines :

L’utilisabilité (Adapter le système à l’utilisateur et à ses tâches) : La définition la plus formelle de l’utilisabilité est celle présentée dans la norme ISO 9241-11: « le degré selon lequel un produit peut être utilisé, par les utilisateurs identifiés, pour atteindre des buts définis avec efficacité, efficience et satisfaction, dans un contexte d’utilisation spécifié » [ISO 9241-11, 1998]. Selon cette norme, la notion d’utilisabilité intègre trois composants ou ‘attributs’: l’efficacité, l’efficience et la satisfaction. Nous définissons ici ces trois composants :

o L’efficacité est « la précision ou le degré d’achèvement selon lesquels l’utilisateur atteint des objectifs spécifiés » [ISO 9241-11, 1998].

o D’autre part, l’efficience est « le rapport entre les ressources dépensées et le degré d’achèvement selon lequel l’utilisateur atteint des objectifs spécifiés » [ISO 9241-11, 1998]. C’est la capacité de produire une tâche donnée avec le minimum d’efforts physiques et mentaux.

o Finalement, la satisfaction se réfère « au niveau du confort subjectif ressenti par l’utilisateur lorsqu’il utilise un produit ».

L’accessibilité (Permettre à l’utilisateur d’interagir) : ce critère concerne la conception d’un produit accessible à l’utilisateur cible et qui, par conséquent, conduit à l’adaptation du produit ou de l’innovation [Nelson, 2011]. L’objectif de ce critère est de lutter contre les exclusions de certains utilisateurs, qui par leurs caractéristiques physiques, sociales, psychiques ou économiques se retrouvent en difficulté ou en incapacité d’avoir accès au produit [Brangier et Bastien, 2010].

L’émotionnalité (Susciter le plaisir pour maintenir l’interaction) : par l’interaction avec le produit, l’utilisateur développe des réponses et des expériences émotionnelles provenant de facteurs multiples liés au produit [Tsao et Chan, 2011]. Ces facteurs sont liés à l’apparence du produit et aux autres facteurs multimodaux (ex. le son de fermeture de la porte de voiture, toucher un siège en cuir, l’odeur d’une nouvelle voiture) qui stimulent ensemble des émotions particulières [Nagamachi, 2002 ; Liu et al., 2003]. Les facteurs émotionnels sont de plus en plus considérés comme des éléments importants pour le succès du produit dans le marché. Dans ce cadre, différentes études confirment que les émotions affectent la satisfaction de l’utilisateur, l’utilisabilité du produit et la propension de l’utilisateur à acheter le produit [Kim et al., 2012 ; Khalid et Helander, 2006; Sauer et Sonderegger, 2009 ; Phillips et Baumgartner, 2002 ; Chaudhuri, 1998].

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L’influençabilité (changer les attitudes et les comportements des gens et des utilisateurs de systèmes interactifs) : Fogg (2003) définit ce concept comme « une tentative non coercitive de changements, d’attitudes ou de comportements ou les deux ». Cet auteur a introduit aussi le concept de ‘Persuasive technology’ afin de désigner la technologie qui est conçue pour changer les attitudes et/ou les comportements des utilisateurs par une persuasion et une influence sociale sans coercition [Fogg, 2002]. Fogg (2002) indique que les technologies de l’information et de la communication peuvent être persuasives tant qu’elles sont considérées comme une entité sociale qui utilise des principes de motivation et d’influence sur l’utilisateur.

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Dans le cadre de nos travaux de recherche, nous proposons de considérer la résultante de l’usage du produit à travers la notion d’expérience utilisateur. Nous retiendrons pour cela le modèle proposé par Brangier et Bastien (2010). Ce modèle, basé sur les quatre critères précédents, montre la nature complexe de l’expérience utilisateur qui peut se rapporter à un besoin fonctionnel, à des motivations intellectuelles ou émotionnelles ou encore à des expériences sociales en groupe. Cette complexité démontre tout l’intérêt d’une approche multidisciplinaire mêlant les Sciences Pour l’Ingénieur et les Sciences Humaines et Sociales. En effet, vouloir innover sur le produit par l’intermédiaire d’aspects liés à l’efficience, l’émotion, le dimensionnement ou encore la persuasion ne peut se faire que par la prise en compte de différentes disciplines, de différents métiers.

Se pose maintenant la question du contexte dans lequel sont obtenues les innovations liées à l’usage et des disciplines qui peuvent être concernées. Kline et Rosenberg (1986) indiquent que le processus central de l’innovation est la conception et qu’il ne peut pas y avoir d’innovation sans conception. Ainsi, le processus de conception étant le support principal permettant d’innover, nous le présentons dans le paragraphe suivant ainsi que certaines variantes comme la conception centrée sur l’Homme et les différentes disciplines y participant.