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L’usage : une notion « générique » pour une diversité d’objets d’étude

PREMIERE PARTIE

CHAPITRE 2 : ÉCONOMIE POLITIQUE, INNOVATION TECHNOLOGIQUE ET USAGES

V. L’usage : une notion « générique » pour une diversité d’objets d’étude

Cette recherche partage la vision de Françoise Paquienséguy (2006), selon laquelle qu’il convient d’étudier les usages, leurs formations et leurs composantes sociales en s’intéressant aux travaux fondateurs de ce courant. En outre l’examen de l’évolution de la notion d’usage aurait plus d’intérêt quand il prend en compte les changements contextuels majeurs. La recherche sur les usages gagne aussi à s’intéresser aux mutations socio-économiques et évolutions technologiques. Il ne s’agit pas ici de faire un inventaire des travaux fondateurs, ni de faire des analyses approfondies de ces travaux. Mais à partir du contexte d’émergence de la notion d’usage, il est question de faire référence à certains pionniers ou à des auteurs ayant apporté d’autres contributions considérées comme majeures dans la construction de ce courant.

Tout comme le concept de dispositif, la notion d’usage est très utilisée de nos jours dans les travaux en SIC, pour analyser « ce que les gens font » des dispositifs techniques de communication (notamment). Toutefois, il s’agit d’un concept qui ne fait pas consensus dans la manière de l’appréhender. Cela donne lieu à divers approches dans les études des usages. Sur cette diversité, Joëlle le Marec affirme que cette pluralité des approches permet « d’adosser les phénomènes des usages […], à des analyses qui en relativisent malgré tout la portée, soit en signalant le cadre limité que constitue la marge de manœuvre des usagers une fois que tout a été décidé en amont sans eux, soit en mettant l’accent sur l’importance des dispositifs de légitimation de certains usages au détriment d’autres1.» Cette pluralité permet surtout de s’intéresser à la « pré-construction » des usages dans le cadre des conceptions qui spécifieraient les conditions sociales de l’accès aux TIC (par exemple) et d’autre part d’étudier les discours d’accompagnement de ces dispositifs.

Selon Serge Proulx, la notion d’usage a été utilisée pour la première fois en sociologies des médias, dans le courant fonctionnaliste des études sur les « uses and gratifications ». Cela a donné lieu dans les décennies 60 et 70, à des productions scientifiques visant à montrer le rôle actif des usagers dans leurs rapports aux objets de communications médiatiques.

Tout comme d’autres auteurs à l’image de Flichy, le Marec et Jouët notamment, Proulx, considère de Certeau comme un des pionniers des études sur les usages en France. Même si celui-ci a principalement évoqué des activités de lecture, comme le dit Jouët (2000, p.496), l’intérêt de Certeau pour les « manières de faire », les tactiques des usagers, a largement inspiré les recherches sur les usages en France. Selon Jouët (2000, p. 491), la spécificité des recherches françaises sur les usages, vient du fait qu’elles se sont d’emblée intéressé aux techniques de l’information et de la communication. Sur cette question Joëlle Le Marec (2001) affirme que le développement de la notion d’usage en sciences humaines et sociales, s’est fait en « résistance » à une appréhension de l’insertion sociale des TIC en termes de phénomène socio-économique et de rapport de pouvoir. Elle observe ensuite le fait que dans certaines études portant sur la question des usages, « les logiques politiques de la promotion ou de la prescription des usages sont analysées sur des plans fondamentalement hétérogènes aux logiques d’usages. Les premières font de préférence des analyses de discours médiatiques ou de stratégies industrielles et économiques. Les secondes privilégient les études fondées sur le recueil des comportements et discours auprès des usagers individuels. » (Le Marec, 2001, p. 109) Selon Josiane Jouët (2000, p 496) les premières études sur les usages ont

1 Joëlle Le Marec, 2001, « L’usage et ses modèles : quelques réflexions méthodologiques » In Spirale n° 28, pp 105-122, p.109

en grande partie rejeté le déterminisme technique qui voudrait que les usages soit déterminés par l’offre des produits et services. Cependant, ces premières études auraient succombé au déterminisme social en privilégiant le caractère déterminant du social dans la construction des pratiques de communication.

Il convient de préciser que cette recherche ne dissocie pas les aspects socio-économiques et politiques, de la question des usages. Dans le cadre de l’étude de la promotion des dispositifs multimédias aux Burkina, il est nécessaire d’étudier ces aspects ensemble. Parce que les politiques publiques des TIC, les discours d’accompagnement de ces dispositifs, les stratégies d’acteurs étatiques, privés et associatifs sont à appréhender conjointement dans l’étude de cette promotion. De même, l’étude des usages à travers l’examen de l’appropriation que les Burkinabé font des TIC, est aussi nécessaire. Les discours d’accompagnement de ces dispositifs, véhiculent en effet des prescriptions d’usages ayant pour finalité l’amélioration des conditions de vie des Burkinabé. Il convient de confronter les discours d’accompagnement, notamment leur volet prescriptif, à ce que les « Burkinabé font des TIC ».

Les demandes institutionnelles à travers des commandes publiques et privées ont grandement contribué au développement des études sur les usages. Joëlle le Marec soutient cette idée en affirmant notamment que « dès 1992, Yves Toussaint et Philippe Mallein avaient analysé le positionnement de la recherche par rapport à des enjeux prospectifs dans le champ des télécommunications […] Depuis, la demande de connaissances sur les usages émanant d’institutions publiques commanditaires ou partenaires s’est en effet développée1. » Ces demandes politiques, commerciales engendrent une généralisation des études d’usages et une diversification des objets d’étude, amenant certains chercheurs à critiquer la montée de l’empirique (dans les études d’usages) aux dépens des qualités théoriques des recherches menées.

1

Joëlle Le Marec, 2004, « Usages : pratiques de recherche et théorie des pratiques » In Hermès n° 38, pp 141-147, p 142