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Les technologies numériques au Burkina : des dispositifs peu développés mais donnant lieu à de multiples enjeux

II. L’e-gouvernance au Burkina Faso

Un des points sur lequel l’État burkinabé a mis l’accent dans sa politique de développement des TIC est l’e-gouvernance. Il a déjà été évoqué supra ce que le SG du MPTIC affirmait sur cette question. La lettre de politique sectorielle du MPTIC (dont il a été question plus haut) fixait déjà des objectifs à atteindre d’ici 2010. L’heure n’est pas nécessairement au bilan, même si ces lignes s’écrivent en 2010 et certains aspects de ce plan de politique sectorielle n’ont pas été réalisés. Cependant ce document officiel (tout comme le document de stratégie d’opérationnalisation du plan de développement de l’infrastructure nationale d’information et de communication, et d’autres documents officiels) montrent l’importance que les autorités burkinabé veulent accorder à la e-gouvernance. En effet, à travers ces différents plans, l’État a pour ambition d’améliorer le fonctionnement de l’offre de services de l’administration, et de santé grâce à une intégration des TIC dans ces domaines. Il est aussi question de promouvoir le commerce électronique.

Cette volonté politique de l’État burkinabé (du moins dans les projets) de développer des services administratifs en ligne est régulièrement réaffirmée. En janvier 2010, le MPTIC et le ministère burkinabé de la fonction publique et de la réforme de l’État, en collaboration avec la commission économique des nations unies pour l’Afrique (CEA), a organisé un atelier de restitution d’un travail commun portant sur l’e-gouvernance au Burkina Faso. Le thème de cet atelier : « Pour une organisation équitable, transparente et efficace au service du citoyen »

développer l’e-gouvernance. Selon le représentant de la CEA, cette institution onusienne a régulièrement soutenu les États membres en matière de renforcement de capacité et de développement des cyberstratégies nationales depuis le lancement des initiatives sur « la société de l’information » en Afrique (AISI). Pour ce représentant, « l’e-gouvernement devra permettre au Burkina Faso d’obtenir des gains de productivité significatifs grâce à une meilleure circulation de l’information, une traçabilité des procédures administratives et une meilleure collaboration au sein d’un même service et entre les services gouvernementaux.1 »

En évoquant cette vision du CEA, il s’agit de revenir sur le point de vue selon lequel l’État burkinabé est influencé dans ses politiques TIC par des institutions internationales. Cette influence est critiquée au plan national au Burkina parce qu’elle prendrait plus en compte des intérêts privés que l’intérêt général des Burkinabé. Les références à la théorie des industries culturelles et info-communicationnelles permettent d’analyser la marchandisation des services en ligne en rapport avec le rôle joué par les États. A ce propos, Bouquillion (2000, p 96) affirme qu’en matière de marchandisation de ce type de services, un enjeu économique et politique majeur réside dans la définition du champ légitime de l’action administrative par rapport à celui du marché. Pour lui, les politiques et les discours publics en matière de TIC contribuent à définir le champ de l’intervention publique et non marchande qui se réduit au profit de celui du capital privé. Il affirme qu’avant d’être conférés au secteur privé, les services publics doivent évidemment offrir des perspectives de rentabilité. « Or, le développement des TIC permet une avancée dans l’industrialisation de certains services rendus par les institutions publiques (santé, enseignements, mais aussi certains services administratifs). » Les TIC sont supposées transformer les procès de production de ces services. Leur coût baissant, ils peuvent alors être facturés. Pour Bouquillion, il est à noter que l’amélioration de leur qualité justifie le fait qu’ils soient payants. De même, le fait qu’ils soient offerts sur un support technique, notamment par un réseau, permet d’effectuer concrètement la facturation. Les services publics et l’action administrative seraient comparés à un service, au sens économique du terme. Les services publics perdraient ainsi leurs spécificités, qu’il s’agisse de mission d’intérêt général ou d’expression de la souveraineté exercée par les pouvoirs publics.

industrialisés de l’EU ou aux États-Unis entre autres, qui ont fait jouer un rôle de précurseur à l’État pour la marchandisation de service en ligne. Il ne s’agit pas ici, de juger de l’opportunité ou de l’inopportunité d’assigner ce rôle à l’État Burkinabé, mais comme il est question d’évoquer la philosophie qui guide cet État dans cette démarche, il s’agit de revenir à l’origine de cette philosophie.

Dans la réalité on est encore loin de la marchandisation de services en ligne au Burkina et cette politique d’e-gouvernance de l’État burkinabé est critiquée à plusieurs niveaux. Parmi les critiques qui sont faites à l’État sur la question, il y a l’insuffisance de services en ligne et surtout, la mise à jour irrégulière des contenus des différents sites administratifs. Sur cette question d’e-gouvernance, un autre problème est la répartition « inéquitable » des équipements informatiques dans l’administration, sur l’étendue de l’ensemble du territoire national. Il ressort des recherches que dans certaines localités (y compris parmi celles qui ont été visitées) il y a des services de l’État qui ne sont pas équipés en matériels informatiques ou sont très peu équipés. Cependant, dans certains services de l’État (dans la capitale) il y aurait du matériel sous utilisé. Parfois il y aurait une multiplication d’équipements (notamment des périphériques) dans des bureaux alors que leur utilisation pourrait être mutualisée en mettant les appareils en réseau. Voir annexe tableau numéro 21. A ce propos, certains pensent que, l’État ne s’y prend pas de la meilleure manière dans sa politique d’informatisation des services publics. Pour eux, l’administration « jette de l’argent par la fenêtre », et devrait revoir sa méthode. Certains acteurs associatifs et des responsables administratifs (étatiques), affirment que la fonction publique ne fonctionne pas selon une méthode de centralisation des données, de partage des informations, de travail en réseau. Ils expliquent cette situation par le refus de certains fonctionnaires de travailler en réseau. Les autorités en charge de la promotion des TIC sont au courant de ce problème et affirment avoir du mal à le résoudre.

Certes toutes les données au sein de l’administration publique ne sont pas destinées à être visibles par tous ceux qui sont dans le même service, voire le même bureau, mais selon certains acteurs rencontrés, le secret des données serait une culture dans l’administration publique, au point que cela conduirait à des situations aberrantes. Parfois, il n’y aurait rien de spécial à cacher, mais certains fonctionnaires veulent avoir leur propre équipement. Du

que l’informatisation dont il est question ici, concerne essentiellement Ouagadougou et Bobo Dioulasso la deuxième ville, le reste du pays étant nettement moins informatisé que ces deux villes. Les enquêtes de terrain ont permis de constater cela.

Une meilleure politique d’équipements permettrait avec les mêmes budgets, d’équiper « rationnellement » les services administratifs à Ouagadougou, en mettant certains appareils en réseau (comme cela se fait dans certaines entreprises privées au Burkina). Cette politique « rationnelle » d’équipement permettrait de faire des économies sur le surplus d’appareils dans certains bureaux et de réinvestir ce gain dans d’autres localités où il n’y a pratiquement rien dans l’administration publique et où certaines structures de l’État sont obligées de « négocier » avec des ONG/associations pour faire des impressions ou des saisies. Cette manière d’agir de l’État burkinabé est d’autant plus contestable que les autorités de ce pays critiquent une « fracture numérique entre le Nord et le Sud », et demandent une lutte contre cette « fracture », notamment à travers une aide au financement des équipements au Burkina. Cette « fracture numérique nationale» existe en dehors du cadre de l’informatisation des services publics, mais pour ce qui est de cette informatisation, cet « écart » pourrait être limité dans l’administration publique nationale par une utilisation « rationnelle » des équipements disponibles. Les recherches menées au Mali et au Sénégal font ressortir la même situation. Le Burkina n’est pas le seul à avoir du mal à mettre en place une e-gouvernance.

III. Quelques obstacles à l’informatisation des services publics au