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Le diffusionnisme : un courant controversé mais toujours d’actualité

PREMIERE PARTIE

CHAPITRE 2 : ÉCONOMIE POLITIQUE, INNOVATION TECHNOLOGIQUE ET USAGES

II. Le diffusionnisme : un courant controversé mais toujours d’actualité

Le diffusionnisme est critiquable et a été critiqué, cette recherche ne se reconnait pas dans ce courant de pensée. Toutefois, il se trouve qu’il a encore du succès aujourd’hui sous divers formes marketing. Il est notamment présent dans la promotion des dispositifs multimédias analysés. En somme comme l’affirme Dominique Boullier (Réseaux numéro 36, 1989) « le modèle diffusionniste de l’innovation n’est pas recevable comme tel mais ce n’est pas une raison pour oublier les questions qu’il pose1 »

Philippe Breton et Serge Proulx (L’explosion de la communication, 2002) situent le début des études portant sur le diffusionnisme aux années 1920 à travers les travaux de l’anthropologue

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Dominique Boullier, 1989, « Du bon usage d’une critique du modèle diffusionniste : discussion-prétexte des concepts de Everett M. Rogers » In Réseaux, volume 7 n°36, pp31-51, p 33

Alfred L. Kroeber (1923). Parmi les auteurs qui ont marqué l’émergence du diffusionnisme, les travaux de B. Ryan et N. Gross en sociologie rurale sont aussi évoqués. Ces travaux portaient sur la diffusion dans les années 1930, d’une nouvelle graine de semence de maïs hybride, auprès de 259 fermiers de l’Iowa. Cette recherche selon Breton et Proulx comportait une dimension communicationnelle qui consistait à appréhender les rôles que jouent différents acteurs pour favoriser l’adoption de la nouvelle semence. C’est ainsi que les chercheurs s’étaient rendu compte qu’en dehors du rôle déterminant que jouaient les représentants des ventes de ces semences auprès des premiers adoptants, les relations de voisinage jouaient un important rôle pour la seconde vague d’adoptants. Cela s’expliquait par le fait que d’une part les relations interpersonnelles entre voisins favorisaient l’acquisition d’informations pertinentes à une prise de décision. D’autre part, un phénomène d’imitation s’est créé dans le voisinage, à la vue des résultats produits par les nouvelles semences.

Un des auteurs dont le nom est fréquemment associé au diffusionnisme est Everett M. Rogers. En effet, cet auteur a élaboré en 1962, un modèle pour l’appréhension de la diffusion sociale des innovations techniques. Breton et Proulx (2002, p.263) affirment que Selon Rogers, le processus de diffusion est un cas particulier de communication où l’information partagée porte sur une nouvelle idée ou une idée perçue comme telle par certains interlocuteurs de l’échange. Rogers pense que la diffusion d’innovations nouvelles, à savoir des idées, des objets ou des pratiques, engendre assurément un changement social, qui peut être planifié ou spontané. Quand ce changement est spontané, on parle plutôt de « dissémination » plutôt que de diffusion.

Quatre facteurs sont pris en compte dans le modèle de Rogers : « les innovations, la communication, la durée et l’ensemble social dans lequel ce dernier prend place. » Ainsi pour Rogers, l’un des premiers facteurs de réussite d’une innovation se trouve dans les caractéristiques mêmes de cette innovation. Le deuxième aspect de cette réussite renvoie aux stratégies de communication que les agents de changement mettent sur pied pour persuader les populations cibles sur l’intérêt de l’innovation pour eux. Ce, en sachant que dans ce processus les décisions d’adoption de l’innovation, sont davantage influencées par les relations interpersonnelles entre pairs. Rogers prends en compte des aspects temporelles dans son modèle en distinguant cinq étapes que l’innovation doit traverser avec succès pour être adoptée. Ces étapes sont : la connaissance de l’objet, la conviction intime de sa pertinence, la décision d’adopter l’objet, l’essai à travers l’usage de celui-ci et enfin la confirmation de la décision d’adoption.

Le dernier facteur déterminant l’adoption d’une innovation selon Rogers, renvoie à l’environnement social dans le quel l’innovation est promue. Dans ce sens des aspects de cet environnement, comme les rapports de pouvoirs, l’existence de réseaux de communication informels, le rôle déterminant de leaders d’opinion entre autres, sont autant de considérations sociales favorisant l’adoption d’innovations techniques.

Il convient d’ajouter en plus de ces quatre facteurs déterminant pour l’adoption d’une technologie, que Rogers (Diffusion of technology, 2005, pp 263-266) distingue cinq étapes dans l’adoption des techniques. Ces étapes sont liées à la rapidité avec laquelle les individus s’approprient les nouveaux objets techniques. Ces étapes renvoient à ce que Rogers nomme « idéaux types » des catégories de personnes adoptant une invention (que l’on qualifie parfois d’adopteurs). Ces idéaux, types classés des premiers adoptants aux derniers décrivent ceci : les innovateurs, les adopteurs précoces, la majorité précoces, la majorité tardive et les retardataires.

Ce modèle de Rogers a eu un succès dans les années 60, auprès de chercheurs et de différents acteurs qui travaillaient dans divers domaines du développement au niveau de pays africains, asiatiques ou latino-américains. A ce propos Rogers affirmait en 2005,

« In the period between the first and second editions of my diffusion book, during the 1960s, an explosion occurred in the number of diffusion investigation conducted in the developing countries of Latin America, Africa, and Asia. The classical diffusion model was usefully applied to the process of development that was a priority for these nations

Cette théorie appliquée à travers des actions menées sur le terrain dans ces différents pays en développement a souvent conduit à des échecs.

Plusieurs auteurs ont critiqué le modèle de Rogers, ce travail ne fait pas une revue exhaustive de ces critiques, mais il fait cas de celles que D. Boullier adresse au diffusionnisme. Dans un premier temps, Boullier reproche à Rogers d’étudier la diffusion indépendamment de l’innovation dans son processus « de déplacement et de traduction ». Ainsi Rogers ignorerait un aspect important lié aux processus sociaux qui accompagnent cette innovation. Dans ses critiques, Boullier ajoute que « plus grave […], cette optique pour une étude limitée de la diffusion postule nécessairement que ce processus se déroule sans aucune transformation de l’innovation.» Cette innovation

apparaît comme un élément se suffisant à lui-même et auquel les populations finiront par s’adapter plus ou moins rapidement. Cette vision du diffusionnisme est teintée de déterministe dans la mesure où elle considère que l’innovation technologique se suffit en elle-même et s’imposerait dans le social.

Dans un second temps, Boullier reproche à Rogers, de considérer l’innovation comme bonne en soi. Dans ce sens que « les ingénieurs, les techniciens ont fait ce que la technique pouvait proposer de mieux ; à la société de l’accepter et de l’adopter. S’il y a des problèmes, ils ne peuvent venir de la technique…mais de la population, dont on pourra alors étudier les résistances. »

Parmi les auteurs qui ont été critiques à l’égard du modèle diffusionniste de Rogers, Michel Callon et Bruno Latour pensent que les innovateurs sont à la croisée de plusieurs mondes et doivent se faire des alliés en introduisant diverses personnes dans des groupes-réseaux.