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L’ouverture au pluralisme institutionnel

CHAPITRE 3 PRÉSENTATION DES RÉSULATS

3.3 Le partenariat État-tiers secteur

3.3.4 L’ouverture au pluralisme institutionnel

La typologie de Coston adaptée au contexte québécois par Bourque, Proulx et Savard (2005), propose une quatrième composante que l’on nomme l’ouverture ou pluralisme institutionnel. Cette composante est définie comme étant « l’ouverture de l’établissement ou de l’organisme public face à l’existence d’un autre type d’organisation offrant des activités ou des services

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à la même catégorie de clientèle et pouvant entretenir des philosophies et des approches d’intervention différentes » (Proulx et Savard, 2012, p. 30). Afin d’évaluer le niveau d’ouverture au pluralisme institutionnel présent dans la relation de partenariat à l’étude, la composante sera présentée selon deux niveaux différents. D’abord, l’ouverture à l’échelle locale sera abordée, soit la relation qui unit le CSSS aux organismes du tiers secteur dans le cas à l’étude. Puis, la composante d’ouverture sera approfondie à l’échelle nationale, faisant référence ici aux relations entre l’État québécois et le tiers secteur.

L’ouverture de l’État au pluralisme institutionnel à l’échelle locale

Les entrevues auprès des participants permettent d’approfondir la composante d’ouverture à l’échelle locale, soit la relation établie entre le CSSS et le tiers secteur dans le cas à l’étude. Afin d’étudier cette composante, les participants ont été interrogés d’abord sur leur niveau de connaissance des activités de l’organisation partenaire. Ensuite, les entrevues ont également permis d’aborder la perception des acteurs rencontrés face au respect des cultures et des valeurs de leur organisation et la reconnaissance de leur expertise par les partenaires.

D’abord, lorsque questionnés sur leur connaissance des organismes partenaires dans la démarche de développement des communautés, les participants sont en mesure de nommer les partenaires présents, de décrire leurs activités principales et leur mission respective ainsi que l’implication de chacun dans le projet. Les entrevues révèlent également que les partenaires avaient déjà un bon niveau de connaissance mutuelle avant de débuter la démarche en partenariat car, un historique de partenariat unit les acteurs. En effet, ceux-ci travaillent en collaboration dans le milieu depuis plusieurs années, avant la mise sur pied de la démarche de développement des communautés. Le fait de travailler ensemble dans le cadre de la démarche de développement des communautés a permis d’en apprendre plus sur chacun, de rester informé des développements et nouvelles orientations des organismes partenaires et même, de mieux connaître les attentes et les limites de chacun.

[…] même si on se connaissait d’avance, on continue à apprendre à se connaître et à apprendre de nouvelles choses; à s’arrimer sur des nouvelles stratégies, des nouvelles actions. Ça évolue et on évolue en même temps. L’un alimente l’autre. (Participante #4)

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Tant pour les intervenants du milieu communautaire que pour le CSSS, la proximité entre les acteurs est perçue comme un levier pour les actions entreprises dans le milieu. L’importance accordée par les participants à la connaissance de l’autre et la proximité entre les organisations est nommée par les acteurs rencontrés. À ce sujet, une participante arrivée plus récemment dans la démarche souligne :

Ce que ça m’a le plus surpris, c’est que, je ne savais pas que les organismes travaillaient en collaboration comme ça. Ça m’a vraiment épatée de voir que, de voir plus loin que son nez finalement […] La démarche a fait que, tabarouette!, tout le monde se mobilise, tout le monde travaille ensemble, tout le monde se serre les coudes! (Participante #6).

Pour certains, cette ouverture à travailler ensemble serait influencée par le CSSS, qui accorderait une importance marquée à la concertation avec le milieu.

Puis moi, ce que je pense, mais là c’est sûr que ce n’est pas juste une affaire, mais je pense que c’est une façon de faire là qui a été implantée par le CLSC. Je pense par le CLSC, tu sais, de travailler en concertation comme ça avec le milieu. (Participante #1)

Et tu sais, les CSSS se font souvent critiquer d’être l’agent technocrate qui arrive dans le dossier, mais ici à [Nom de la ville], il y a vraiment une culture, même au CSSS, où on participe avec la communauté. […] Je sais pas, je ne connais pas la vue d’ensemble du Québec, mais peut-être que c’est une des places où ils sont le plus participatifs, le plus ancré dans la communauté. (Participante #3)

Ainsi, les entrevues démontrent que les partenaires ont une bonne connaissance mutuelle. On apprend également que le CSSS est perçu comme un des partenaires qui fait la promotion de la concertation et du travail en partenariat dans la communauté.

Après avoir vidé la question de la connaissance des organismes partenaires comme nous venons de le voir, les participants ont ensuite été invités à se prononcer sur le respect de la culture et des valeurs des organismes partenaires et la reconnaissance des expertises de chacun. À ce sujet, les entrevues démontrent notamment que les partenaires se sentent respectés dans leur culture organisationnelle et les valeurs qu’ils promeuvent. Les participants interrogés affirment sans aucune hésitation que le respect des cultures et valeurs de chacun est au centre de la relation de partenariat établie. Selon eux, ce respect contribue au sentiment de confiance et permet aux partenaires d’établir des relations basées sur une

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ouverture mutuelle. Les participants insistent sur l’importance que revêt pour eux, le respect des cultures et des valeurs de parts et d’autres. Une participante rencontrée exprime sa perception à ce sujet :

Oui, je pense que les autres, ils respectent ce qu’on est, nos valeurs. Puis en tant qu’organisme, on connaît aussi les leurs. Fait que, nous autres aussi c’est pareil. On ne va pas leur demander de faire des choses qui ne sont pas dans leur mission. Fait que ça en général, c’est bien. (Participante #1)

Certains participants affirment qu’au-delà du respect des valeurs de chacun, pour que le travail effectué soit fait de façon réellement concertée, il est important que les partenaires partagent des valeurs communes. Il semble que cela soit le cas pour les partenaires impliqués dans la démarche à l’étude comme le démontre l’extrait suivant :

Bien, je pense que, quelque part, à se côtoyer si souvent, peut-être qu’on finit par avoir les mêmes valeurs, ou presque. Les valeurs sont des valeurs de processus aussi. C’est-à-dire le fait du travail concerté, que chacun y a apporté sa contribution. Mais d’être respectueux de ce qu’il est en mesure d’apporter. Et ça, ça vaut autant pour le parent que pour l’intervenant d’une petite structure, organisme communautaire, ou une grosse structure comme le CSSS. Je pense que le respect est une valeur qui forcément se doit d’être partagée. Un organisme, ou une personne qui n’aurait pas la valeur du respect en soi, n’est pas autour de la table, on ne l’a pas invité probablement non plus. […] Il faut quand même croire au potentiel de ces gens-là à se développer, en faisant leur propre choix. Si tu ne crois pas à ça au départ, tu n’es pas autour de table, forcément. Le processus entraîne forcément des valeurs de cet ordre-là. (Participante #4)

Un élément également approfondi auprès des participants est celui de la reconnaissance des compétences de chacun. Le discours tenu par les répondants à ce sujet révèle que ceux-ci considèrent que leur expertise est reconnue par les partenaires. C’est sur la base des compétences de chacun que les partenaires ont pu faire avancer la démarche et réussir les actions posées dans le milieu. En effet, l’expertise de tous est mise à contribution dans la démarche et les compétences de chacun sont prises en considération dans la répartition des tâches depuis les tous débuts de la démarche. Les propos d’un participant rencontré illustrent bien cette idée :

Chacun apporte une dimension complémentaire à l’autre donc, à ce niveau-là, on se fait confiance, on n’a pas les mêmes créneaux, on n’est pas interpellé pour les mêmes choses en réalité. Donc c’est ce qui crée la chimie, le partenariat. Si on

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amenait toute la même affaire, on ne serait pas rendu là, mais c’est évident qu’il y a des éléments qui appartiennent à un et à l’autre. On y met chacun notre grain de sel. (Participante #4)

Il est donc possible d’affirmer que les partenaires impliqués dans la démarche à l’étude font preuve de respect des valeurs et culture de chacun. Les entrevues démontrent également une reconnaissance de l’expertise des partenaires dans la démarche, et ce, de la part de l’ensemble des acteurs impliqués.

L’ouverture de l’État au pluralisme institutionnel à l’échelle nationale

Au cours des entrevues, les participants rencontrés ont partagé différentes informations concernant le contexte de changement politique et social présent au Québec au moment où a eu lieu la collecte de données. Plus précisément, les entrevues et les observations ont eu lieu entre janvier et avril 2015, période au cours de laquelle plusieurs changements survenaient au Québec dans le domaine de la santé et des services sociaux et plus largement, dans les politiques et programmes sociaux. Cette période de changements fait ici référence aux orientations gouvernementales influencées par la politique de rigueur budgétaire prônée par le gouvernement libéral ayant entraîné la fermeture d’organisations telles que les CLD, les Conférences régionales des élus (CRÉ), les Forums jeunesses régionaux du Québec, et différentes modifications dans les programmes sociaux en place au Québec (par exemple : compressions au programme de solidarité sociale et compression au programme Accès Logis). Notons également parmi ces changements, la restructuration du réseau de la santé et des services sociaux débutée en 2015 (Institut de recherche et d’informations socio- économiques (IRIS), 2016). Le discours tenu par les participants rencontrés était ainsi influencé par ces nombreux changements en trame de fond. Bien que non prévus initialement dans notre canevas d’entrevue, nous avons laissé place aux répondants et approfondi davantage, au fil des entrevues, les bouleversements vécus dans la sphère sociale et leurs impacts pour les partenaires dans la cadre de la démarche en développement des communautés à l’étude. Nous jugeons ainsi pertinent d’insérer les réflexions partagées par les répondants à ce sujet, car il nous apparaît que ces nombreux changements sont un indicateur intéressant à prendre en considération pour analyser la composante de l’ouverture de l’État au pluralisme institutionnel à l’échelle nationale. Cette composante sera abordée

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plus en détail selon deux indicateurs identifiés soient, le climat de changement au Québec au moment de la collecte de données et l’impact de ces changements pour les organismes du tiers secteur et plus précisément, sur le travail effectué en partenariat.

D’abord, concernant le climat de changements en cours au Québec, les propos des participants révèlent tout au long de la période de collecte de données, un certain degré d’inquiétude face aux changements en cours au Québec. Cette vague de changement, à laquelle les participants font référence par le terme « période d’austérité », combinée aux bouleversements entraînés par la restructuration du système de santé et services sociaux tel que défini dans le projet de loi 10 sont bordées par les participants au cours des entrevues. Certains propos tenus par les répondants permettent de mieux saisir la situation telle que vécue sur le terrain ainsi que son ampleur.

Moi je me décourage pas, c’est pas facile qu’est-ce qui s’en vient. Là je vais te dire quelque chose là, mais, présentement, c’est très difficile à vivre, quand on va dans des réunions, parce qu’on fait partie de nombreux comités de partenariat, ben on fait un tour de table. On se connaît tous, parce que c’est pas la première fois qu’on travaille ensemble, pis là ben, lui il nous dit qu’il perd sa job à telle date, elle, elle perd sa job a telle date. […] Ben tu sais, sur une table de 8-10, ben tu en as 3-4 de même. C’est quelque chose! Fait que ça va prendre un méchant réajustement quelque part. (Participante #1)

J’ai bon espoir qu’un jour ou y arrive [à consolider les actions et l’aspect financier], mais pas dans la prochaine année, mais on l’espère sauf qu’avec le gouvernement qu’on a, en compression budgétaire (rire). Ouin, on espère qu’on a une bonne étoile au-dessus de la tête. Le contexte n’est pas aidant, mais ça ne va pas à la volonté du milieu. (Participante #4)

Comme on peut le voir, les départs de certains intervenants, les difficultés à trouver du financement et l’incertitude face à la poursuite de certaines actions amènent un climat d’insécurité pour les acteurs interrogés. Ce climat provoque également des changements dans l’implication potentielle des partenaires au sein des instances de concertation. En effet, il est de plus en plus difficile pour les intervenants d’envisager leur participation au sein de telle collaboration, car ceux-ci affirment ne pas se sentir appuyés par le gouvernement actuel dans leur démarche de soutien aux communautés. Au contraire, les positions actuelles du gouvernement semblent davantage être perçues comme un frein au développement des

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communautés et au travail qui reste à accomplir pour soutenir les communautés défavorisées. Les extraits suivants exposent les propos de certaines participantes à ce sujet :

Mais de plus en plus, on est conscient, les partenaires, ben moi, je vais parler pour moi, qu’est-ce qu’on fait après quand on a pu de financement? Si on a pu de ressource pour actualiser le projet, on fait comment pour trouver du financement? Pis je dirais que c’est de plus en plus difficile, en raison du contexte, et qu’on ne s’en va pas vers quelque chose de plus facile. Je pense que ça prend des sous quelque part pour soutenir une démarche, parce qu’il y a beaucoup de besoins. (Participante #6)

Je réagis particulièrement parce que récemment, le directeur du conseil du partenariat a dit clairement : les régions qui ne sont pas rentables, on ferme ça. Tu sais je veux dire, vivre c’est aussi le droit de faire partie d’une communauté. (Participant #3)

Tu sais présentement avec ce qui se passe, c’est tellement le milieu communautaire qui se fait tasser […]. (Participante #1)

Le virage emprunté par le gouvernement libéral semble fragiliser les projets existant dans les communautés. C’est du moins la perception qu’ont les acteurs rencontrés. Ce qui est loin de créer un climat d’ouverture propice à la collaboration entre l’État et le tiers secteur.

Cela étant dit sur le climat instauré par les changements actuels, les répondants ont ensuite partagé leurs idées concernant ce qu’ils prévoient en termes d’impact sur les communautés. Pour les participants, les changements actuellement en cours dus aux nouvelles orientations du gouvernement et ceux annoncés auront de nombreux impacts dans les communautés. Il semble que ces impacts puissent être également ressentis sur la capacité des milieux à travailler en partenariat. En effet, dans un contexte de rigueur budgétaire où coupures, fermetures de postes et restructuration sont au programme, les participants doutent de la capacité des milieux à poursuivre un travail concerté, travail qui demande souvent beaucoup d’énergie aux organisations.

Peut-être, un obstacle qui me viendrait aussi, ça va être l’essoufflement des partenaires. Parce qu’avec tout ce qui s’en vient, qui va être difficile à vivre, je pense qu’il va y avoir une période qu’il va y avoir besoin d’adaptation. Je pense qu’il y a des gens qui vont vraiment être plus débordés que d’autres. (Participante #1)

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On anticipe également des retombées négatives à long terme pour la démarche de développement des communautés à l’étude, comme en témoigne le commentaire suivant formulé par une participante rencontrée:

[…] et on aura aussi le devoir de, tu sais, là c’est parti, mais il faut que ça se maintienne à travers la conjoncture, les compressions, la mouvance entre autres au niveau de la gouvernance, il y a tout un défi là, qui n’est pas nécessairement financier dans ce cas-là ! » (Participante #4)

Des participants partagent leurs craintes lorsque questionnés sur les suites des démarches d’intervention en soutien au développement des communautés en cours dans le quartier et ceux à venir dans d’autres quartiers de la ville :

Ben, pour les secteurs nouveaux, c’est clair, parce que, comment que la ruralité va se vivre au Québec là. Ce qui se passe nous donne le droit d’être craintifs, pis je suis ben poli quand je dis ça (rire). (Participante #2)

[…], mais il y avait un comité sur l‘accessibilité des services qui était ressorti, tu sais pour les jeunes. Finalement, ils ont eu quelques rencontres, mais, dans le contexte actuel, tous les services s’en vont, ben là, ça tombé. (Participante #5)

On peut ainsi conclure cette section en affirmant que le niveau d’ouverture au pluralisme institutionnel, dans le cas à l’étude, dépend du niveau auquel est effectuée l’analyse. Les entrevues nous révèlent que, dans un premier temps, le CSSS du secteur fait preuve d’ouverture face à l’implication des organismes du tiers secteur dans la démarche de développement des communautés. En effet, en interpellant dès le départ les partenaires du milieu à s’insérer dans la démarche, et ce, en respect de leur valeur/mission, le CSSS fait preuve d’ouverture. La reconnaissance de l’expertise et des compétences des partenaires démontre également l’acceptation du CSSS envers le tiers secteur et l’ouverture qu’il témoigne au milieu communautaire. Il est donc possible d’avancer que, selon les propos des participants, l’État, représenté par le CSSS du secteur, fait preuve d’ouverture au pluralisme institutionnel. Cette ouverture s’effectue donc à l’échelle locale.

Dans un deuxième temps, on voit que, bien qu’un climat d’ouverture semble présent localement, les partenaires ne sentent pas la même ouverture face à leur implication et à leur travail auprès des communautés de la part de l’État québécois. Le climat d’incertitude dû aux

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changements sociaux et politiques au Québec amène les partenaires à douter de la reconnaissance de l’État envers leur expertise et du respect du tiers secteur. Ce manque d’ouverture face aux organismes n’est pas sans avoir des impacts importants sur la démarche de soutien aux communautés et les relations de partenariat établies entre les acteurs. Ainsi, à l’échelle nationale, l’État semble faire preuve de peu d’ouverture envers le tiers secteur. En se fiant au discours des participants, qui se disent inquiets face aux changements en cours, les impacts apparaissent nombreux pour l’avenir de la relation entre l’État et tiers secteur.

3.4 Les facteurs favorables et les limites au travail en partenariat dans la