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Chapitre II : Problème de recherche et repère théorique Dans la section précédente, nous avons cherché à déterminer la place et

2.2 Repères théoriques

2.2.2 L’origine familiale ou sociale de l’élève

L’entourage familial ou plus globalement l’origine sociale serait un autre axe dont il faut tenir compte pour comprendre le rapport des élèves aux études. Les travaux classiques de la sociologie de la reproduction développés par Bourdieu et Passeron (1964 ; 1970) accentuent fortement l’origine sociale de l’élève comme déterminant de la persévérance ou de la réussite scolaire. Se fondant sur des statistiques de l’Institut National d’Études Démographiques (INED) publiées en 1962, Bourdieu et Passeron arrivent à la conclusion que l’origine sociale des étudiants est le plus important facteur de différenciation (plus que le sexe, l’âge, l’affiliation religieuse, etc.). « Héritiers » de capitaux au

triple plan économique, culturel et social, les enfants issus des classes favorisées sont prédisposés à persévérer dans leur scolarité et sont plus sujets à être auréolés par des diplômes au terme de leur cursus. Ces enfants sont bénéficiaires de l’incorporation active d’un habitus, c’est-à-dire selon Bourdieu, de « l'ensemble des dispositions à agir que les individus héritent de leur trajectoire sociale - et notamment des conditions de leur socialisation - et qui leur permet d'acquérir un sens pratique, une capacité à agir dans l'illusion d'une action libre et adaptée à son contexte » (Bourdieu, 1979). Par contre, ceux qui viennent de couches défavorisées ne croient pas fermement à leurs « chances de réussite » d’où le découragement dans la disposition à poursuivre les études et à acquérir des titres scolaires (Bourdieu et Passeron, 1964 ; 1970).

Des travaux plus récents atténuent la portée de ces résultats classiques de la sociologie de l’éducation française. Cela dit, ils confirment le poids de l’héritage familial dans les motivations des élèves. Des études réalisées au Canada (De Broucker et al., 2005; Roy, 2006) montrent que les disparités liées à l’origine sociale se répercutent sur le cursus scolaire des élèves. Bien qu’en théorie la démocratisation de l’enseignement soit décrétée, « l’accessibilité à l’enseignement supérieur n’est pas répartie de façon égale parmi tous ceux qui sont qualifiés. À cause d’obstacles d’ordre social et financier, il appert que l’enseignement postsecondaire est souvent hors de portée pour les gens provenant de milieux à faibles revenus » (De Broucker, 2005, p.6). L’une des principales conclusions de ces travaux montre que les jeunes provenant de familles à revenus élevés ont deux à trois fois plus de chances de fréquenter l’université que les jeunes provenant de familles à faibles revenus.

Les travaux de Bouchard et al. (1998) exposent également les effets de la classe sociale de l’élève sur ses représentations du futur. Chez les individus à origine sociale modeste, « le passé et le futur prennent forme dans l’expérience scolaire et sociale, dans une vision négative de l’école, […] une difficulté à percevoir la pertinence de la scolarité prolongée au-delà du niveau secondaire, un faible investissement scolaire, un manque de motivation, un doute de l’élève sur sa capacité de faire des études prolongées » (Bouchard et al. 1998, p. 101). Chez les élèves issus des milieux aisés, la représentation peut-être négative tout

en comportant néanmoins des nuances importantes. Ces élèves ont conscience de l’effet du diplôme mais surtout « entrevoient l’avenir avec un sentiment dominant de sécurité » (Bouchard et al. 1998, p. 104).

Dans la même logique, au terme d’une étude qu’il a réalisée sur 3 cégeps, Roy (2006) indique que 97% des étudiants affirment que « pour leur famille, la poursuite des études est une valeur « importante » ». Évidemment, l’engouement pour la persévérance scolaire est en rapport direct avec le soutien « moral et financier tangible » dont bénéficient ces cégépiens de la part de leurs parents. Le soutien de la famille peut prendre plusieurs variantes dont le point commun est de stimuler le jeune à persévérer. Bourdon et al. (2007) distinguent plusieurs types dont l’encouragement, le conseil, les discussions, les validations des choix ou encore le support financier et matériel.

L’encouragement demandé difficilement mais obtenu généralement sans avoir été demandé « cherche à véhiculer des valeurs, au premier chef une valorisation de la scolarisation comme voie de salut pour l’avenir » (Bourdon et al. 2007, p. 55). L’encouragement pousse à la persévérance et à la réussite lorsqu’il n’est pas orienté vers la satisfaction des intérêts personnels du jeune. Il peut revêtir d’autres formes plus ténues comme l’écoute et l’accompagnement de l’élève dans ses travers et difficultés ou encore « une pression dans le dos ». C’est ainsi que les cégépiens et cégépiennes soumis à cette étude reconnaissent à leurs parents le soutien que ceux-ci leur ont apporté pour vaincre les situations de stress lors du passage du secondaire au collégial. Les conseils quant à eux s’imposent en « éclaireurs » en édifiant le jeune sur les actions et les choix futurs.

Nous partons donc du présupposé que les représentations des études postsecondaires ont un rapport étroit avec la situation familiale de l’enfant; que la propension de celui-ci à poursuivre ou non dépendrait de ce que peut lui apporter sa famille. Mais au-delà de la famille, il y a tout un bloc d’environnement social qui s’invite dans le débat de la construction identitaire et de l’influence de la trajectoire du jeune (Roy, 2003; Dubar, 1998). Pour ce dernier auteur, l’identité professionnelle se construit par une double transaction,

d’une part entre l’identité revendiquée par l’individu et celle reconnue par le milieu, les pairs, et, d’autre part, entre l’héritage biographique, familial, et les aspirations professionnelles. C’est pourquoi il serait utile d’examiner à présent ce que pensent les élèves eux-mêmes de leur futur, c’est-à-dire une exploration de leur projet de vie.