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La détermination des jeunes filles du privé à continuer : « Mon premier mari, c’est l’école »

18 Le barème est de 20 points.

4.3 La perception du futur chez les lycéens guinéens

4.3.3 La détermination des jeunes filles du privé à continuer : « Mon premier mari, c’est l’école »

On relève dans le discours des filles du privé une argumentation particulière dans la poursuite des études à l’université. A leurs yeux, l’accès à l’université peut créer pendant ou après les études une « autonomisation financière ». Habituées à d’agréables conditions de vie dans leurs familles, elles espèrent maintenir ce cap à travers leur indépendance. En d’autres termes, leur

37 Il nous a indiqué être informé de l’existence du système LMD en Guinée où pour l’essentiel c’est la Licence qui est mise en pratique. Avec ce nouveau système, le pays n’a pas encore les capacités pour former des étudiants au Master et au Doctorat.

leitmotiv consiste à se libérer de la dépendance « naturelle » vis-à-vis des parents ou du futur mari et à se prendre, seules, en charge. C’est ainsi que Pauline, quoique disposée à faire « autre chose » que les études, est attirée par l’université et souhaite avoir une licence, utile malgré tout :

Je ne me limiterai pas au bac, je veux aller à l'université parce que je veux faire de bonnes études pour être plus tard indépendante. Avec le diplôme du bac, je sais que je ne pourrai rien faire.» Sa définition de la réussite personnelle prend largement en compte cette dimension même si elle n’exclut pas le mariage: « Je dirai que j'ai réussi quand je serai mariée, quand je pourrai travailler avec au moins un bon salaire. En tout cas, quand je ne serai pas dépendante de quelqu'un (Pauline, Privé. F. 18 ans).

Les filles du lycée privé aspirent à une « autonomie » à long terme. Binette, a déjà « meublé » son futur à court ou moyen terme ; tout ou presque se résume à sa formation :

Je ne sais pas dans les cinq prochaines années si j’ai d’autres projets à part étudier; je me demande si j’aurai le temps pour d’autres activités à part étudier régulièrement.

Mieux, elle se définit comme une personne qui incarne l’autonomie : J'ai toujours été très fière, je n'aime pas dépendre des gens. » En conséquence, elle a hâte que son projet de voyage pour le Canada réussisse et qu’elle réalise son ambition d’autonomie : « le meilleur moyen pour moi pour m’arracher de ma dépendance, c’est le travail ». Par ailleurs, sa conception de la réussite ou de l’échec prend largement en compte la question de l’indépendance. Dépendre des autres l’irrite :

Quelqu'un qui a échoué c'est celui qui n'a rien fait de sa vie, il ne fait rien de sa vie en quelque sorte ou bien depuis qu'il est né, il vit aux dépens de quelqu'un. Par exemple dans la société africaine je peux dire qu'il y a certains jusqu'à 40ans ou 50ans ils vivent dans la maison du papa ou bien du grand père ; ils attendent que la femme prépare, leur donne à

manger, ils sont là quoi, ils sont assis, ils font rien quoi (Binette, Privé. F. 17 ans).

Oumou très confiante, est prête à aller «loin» dans les études pour les mêmes raisons. Elle espère s’«autonomiser » plus tard grâce aux études :

Je me suis dit de continuer mes études parce que j'ai vu des exemples; y en a qui ont commencé et qui sont sortis et ils regrettent aujourd'hui pourquoi ils n'ont pas continué leurs études; tout ça bon je me suis dit que je vais continuer les études ; avoir ton boulot ; parvenir à tes besoins et à ceux de tes parents bien sûr (Oumou, Privé. F. 18 ans).

Le cas de Maciré illustre bien la situation de ces jeunes filles qui voient dans le diplôme universitaire un moyen de devenir indépendante. Ses deux parents ont « fait l’université » et travaillent dans la fonction publique. Elle a grandi dans un contexte de vie familial très tranquille. Mais avec le temps, elle présume que son père a « démissionné » dans son rôle de responsable de la prise en charge de la famille. Sa motivation à étudier et à devenir indépendante plus tard prend sa source dans ce «retrait» de son père :

Tout ce qui se passe à la maison, ça m'encourage. Quand je dis à la maison, ce qui se passe entre mon papa et ma maman, au fait avant c'était mon papa qui faisait tout pour nous, déjà durant le collège le primaire c'est lui qui faisait tout mais maintenant je sais pas il a changé, il n'était pas comme ça quoi. Je sais pas si c’est parce que mon frère avait su ça y a longtemps qu'il avait décidé de me prendre en charge pour ne pas que je sache quoi ce qui se passait à la maison je sais pas. Mon papa fait rien du tout alors qu'il est proviseur, il a son salaire vous voyez? si c'est pas que mon frère s'occupait de moi, à la maison c'est ma maman qui fait tout pour les petits. Les petits besoins là moi je me dis aussi si je n'étudie pas un jour viendra, je ne compterai que sur mon mari et que lui aussi il finit par changer brusquement, comment je vais faire si je n'ai pas mon propre argent?

assurer la prise en charge. D’ailleurs, cela va de soi parce que « les hommes, eux aussi, sont devenus de bons calculateurs ». Étudier pour satisfaire ses propres besoins devient son credo :

Actuellement on voit que surtout en Guinée, parce qu'avant on disait au fait les mariages qui se faisaient quoi, on voyait y a de ces couples où la femme ne faisait rien; elle était seulement femme de ménage et c'est le mari seulement qui travaillait, mais actuellement les hommes eux ils disent qu'ils ne marient pas une femme qui ne fait rien dans la vie vous voyez? Et là et on voit aussi dans les foyers la femme qui n'a pas de boulot, une femme de ménage quoi qui n'a rien pour, je sais pas, satisfaire ses besoins; si c'est pas son mari qui lui donne quelque chose, elle peut rien gagner quoi (Maciré, Privé. F. 18 ans).

Binette, (Privé. F. 17 ans), va plus loin :

Je me dis que dans le monde d'aujourd'hui, actuellement si je ne vais pas à l'école, je n'ai aucun moyen de m'en sortir ; je me suis dit que c'est toujours ça l'issue ; je me dis qu'est ce que je vais faire de ma vie si je vais pas à l'école ? je n'ai jamais vu d'autre alternative à part ça. Quand j'étais au primaire on nous disait souvent vous les filles, votre premier mari c'est l'école. Donc j'ai toujours été très fière, je n'aime pas dépendre des gens.

Elle n’est pas prête à relâcher :

Je ne pourrai pas me limiter au diplôme du bac parce que si j'ai étudié jusqu'à ce niveau c'est pas pour démissionner maintenant ; les études c'est fondamental pour moi (Binette, Privé. F. 17 ans).

4.3.4 L’«après-bac » et les projets parallèles aux études : la licence