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L’«après-bac » et les projets parallèles aux études : la licence comme diplôme recherché

18 Le barème est de 20 points.

4.3 La perception du futur chez les lycéens guinéens

4.3.4 L’«après-bac » et les projets parallèles aux études : la licence comme diplôme recherché

Nous avons dit plus haut que tous les répondants souhaitent poursuivre après avoir obtenu le baccalauréat. Mais si certains parient sur le plus haut diplôme comme condition de meilleure employabilité, une frange de l’échantillon -plus remarquable au privé qu’au public- n’est pas intéressée à aller loin dans les études. Les élèves de cette catégorie déclarent que le premier diplôme est suffisant pour les aider à s’en sortir dans la vie. C’est une situation qui arrive lorsque les jeunes ont des ambitions clairement articulées qu’ils espèrent réaliser sauf par situation extraordinaire.

Pauline est une fille qui se définit personnellement comme étant « paresseuse » et « manquant de concentration ». Elle « bouge » beaucoup dans ses choix scolaires. A son arrivée au lycée, elle rêvait de devenir avocate, puis de faire "Administration des affaires" :

Mais je ne sais pas ce que ça donne, j'ai choisi ça seulement parce que mes amis ont dit de choisir ça ; on me dit que c'est bien mais quand je vais aller je vais voir si ça me plait ou pas ; l'année prochaine je vais changer.

En réalité, elle ne veut rien de tout cela. Son rêve est tout autre chose si tout lui était permis, si sa mère ne lui mettait pas de pression. Nous l’avons découvert plus tard dans l’entretien :

A part l'université, à court terme, je voudrais faire le mannequinat mais ma mère ne veut pas; c'est ce que je veux réellement faire mais elle ne veut pas. Je veux faire des études de mannequinat ; il paraît qu'il y a une école à Dakar mais je sais pas si c'est vrai ou pas. En tout cas, c'est ce que je veux faire. Si tout ne tenait qu'à moi, j'allais continuer mais en même temps, faire les trucs du mannequinat aussi ; ça ne peut pas être ma seule profession il faut que je fasse quelque chose en plus du mannequinat. Je ne sais pas si je vais réussir à convaincre ma maman mais j'y tiens. Ce qui me motive, je lis des magazines, je vois des jolies

filles je veux être un peu à leur place comme dans Amina38» En conséquence, il n’est pas question d’aller «loin» dans les études : «Je pense pouvoir terminer tes études à l'université dans trois ans parce que je compte me limiter à la licence. Je n'irai pas jusqu'au master ou au doctorat parce que c'est trop long (Pauline, Privé. F. 18 ans).

Bangaly a eu pendant longtemps des relations antagoniques avec son père qu’il accuse d’avoir été « absent » dans sa vie. Ils n’ont tu leur querelle que quelque mois avant la terminale. Il a passé l’essentiel de sa vie avec la famille de sa mère, écartelé entre trois pays (Côte d’Ivoire, Sénégal et Guinée). En cette classe de terminale, il est chez son beau-père dont il récuse certaines attitudes. Il craint que les échos ne parviennent à sa mère, hôtelière à N’Nzérékoré, loin de la capitale. Il nourrit une folle ambition de devenir rappeur mais regrette que personne ne le comprenne dans son ambition. Or, pour lui, « rapper » n’a rien de mal; malheureusement, ce n’est pas ce que l’opinion commune en pense. En raison de ses « bisbilles » avec son beau-père et de sa pratique de la musique, il pourrait doublement courroucer sa mère. Lorsqu’il ajoute à ces facteurs son désir de se construire moralement, sa motivation à étudier est pleinement justifiée. A proprement parler, il souhaiterait faire sa musique :

Je tiens au rap. Parce que je sais que je ne fais pas du rap pour révolter les gens, je fais pas du rap pour rendre les gens bandits, les amener au ghetto pour les faire fumer la drogue ou boire de l'alcool non! J’ai mon rap à moi, je sais ce que je veux faire de mon rap. Chacun a son rap et moi je sais ce que je veux faire de mon rap. Et je compte me battre dans ma société pour pouvoir instaurer mon rap dans la société africaine. Ce n'est pas vraiment facile pour un rappeur de s'arrêter devant quelqu'un et de se faire voir comme un ministre ou un président. Pour qu'on puisse te voir comme quelqu'un qui gagne sa vie juste pour ce qu'il aime quoi. Je veux vraiment me battre pour cela. Je veux montrer que je peux faire autre chose, que ma tête n'est pas seulement basée sur une seule chose ; que je peux faire autre chose aussi. Je veux faire de la musique. Je me

passionne là-dans, j'aime bien faire mon rap, je suis bien là dans, je trouve un plaisir énorme.

Sa mère compte l’inscrire à Moncton39 si tout va bien. Mais il tient tellement bien à « son rap » qu’il projette une prise en charge personnelle au cas où son voyage n’aurait pas lieu; ce qui ne l’agacerait pas outre mesure :

Je veux pouvoir me prendre en charge pour que je n'aie plus à emmerder qui que ce soit. Et si je suis ici, je vais me référer au talent que j'ai pour pouvoir gagner honnêtement mon argent. Faire du rap et vu que j'ai plein de contacts ici, trouver plein de producteurs et plein de personnes qui veulent vraiment m'aider dans le rap. Je compte vraiment faire du bon rap et gagner honnêtement mon argent, faire quelque chose d'honnête avec mon argent, puis payer mes études. C'est tout (Bangaly, Privé, 18 ans). Kalil joue au foot dans son école et il nous a dit avoir goût et talent dans cette activité. La première partie de son discours fait l’éloge des études universitaires aux dépens du terrain de football.

Si je dois comparer la carrière de football aux études, je préfère les études parce que le football, le football est pour moi comme une obsession mais le football a des méfaits, parce qu'un être humain, un footballeur ne peut jamais jouer au football jusqu'à la fin de sa vie. Et même si tu as un diplôme de footballeur, ça peut pas te poursuivre jusqu'à la fin de ta vie, te donner de quoi nourrir ta famille, mais, par contre, si tu arrives à avoir un diplôme quand même, un diplôme d'études supérieures, même après des années, tu pourras, tu pourras toujours travailler, pour enseigner le savoir que tu as.

39 L’université de Moncton est la principale destination des étudiants guinéens au Canada. Le service d’admission est plus aisé que dans les autres universités canadiennes. En règle générale, ceux qui en ont les moyens viennent y passer une à deux années avant de « migrer » ailleurs au Canada.

Mais plus loin, il tient un autre discours qui exprime ses véritables ambitions du futur. Ses sœurs aînées sont allées en France après le lycée Sainte- Marie; il a l’assurance qu’il aura le même « destin ». En fait, il souhaite mettre à profit son séjour français pour réaliser son rêve de footballeur :

Je tiens à la France parce que je me dis que c'est peut-être dans ce pays que je n'aurai pas assez de difficultés à m'adapter. Parce qu’arrivé là-bas, déjà je me dis que je veux jouer au football, donc il me faut vite finir l'université pour pouvoir entamer ma carrière… Parce que là je pense, arrivé là-bas, je vais pas arrêter les entraînements, je vais voir si je peux avoir un centre de formation dans la ville où je ferai tout pour me faire remarquer pendant les tournois universitaires.

Il est prêt à « mettre tout le paquet » pour que vive son intention de jouer. A la question de savoir la carrière qu’il s’imagine dans dix ans, sa réponse dissipe tout doute sur ses intentions réelles :

J'espère être footballeur international. Et si jamais j'ai la chance, après avoir fini ma carrière de footballeur international, là, je reviendrai dans mon pays pour servir l'État. Je vais faire ma carrière de footballeur, si jamais j'arrivais à gagner de l'argent là-bas, je compte investir dans le pays. Cela va m'amener à suspendre ma carrière. Parce que le football, ça va me permettre d'investir, et là le jour où je vais arrêter ma carrière, avec les investissements que j'aurai faits dans la vie, ça va toujours m'aider à continuer.» (Kalil, privé; 18 ans)

Koto vit quant à lui avec sa mère depuis le décès de son père en 2007. Mais depuis fort longtemps, il entretient de bons rapports avec ses tantes maternelles dont l’activité principale est le commerce. Il a une série de réserves portant aussi bien sur son option au lycée, ses profs et sur l’école en général. Le LSM ne le rassure pas parce que ses espérances n’ont pas été comblées. Il se déclare même déçu de ses études au LSM. Mais, en vérité, ses rapports avec ses tantes exercent sur lui une sérieuse influence du moins pour ses ambitions après son lycée. Ses attentes de l’université insinuent son intérêt pour des projets non scolaires :

J'attends de l'université qu'elle me forme dans ce que je vais faire et comment m'intégrer dans les affaires40.

Plus loin, il matérialise mieux son ambition de faire «autre chose» que les études :

A l’université, je vais chercher du travail ici ou à l'étranger pendant que j'étudie. Je peux trouver des activités à faire. Je pense faire un peu de commerce auprès de ma tante je crois, elle fait un peu de commerce ici, une autre sœur à ma mère.

De ce fait, le plus haut diplôme envisagé par la plupart de ses amis n’est pas à l’ordre du jour :

Je pense aller au master mais pas au doctorat ; le doctorat c'est un peu trop long (Koto, Privé. G. 17 ans).

Yarie est l’unique élève du public à ne pas vouloir aller au-delà de la licence. Lorsque nous lui avons posé la question de savoir où espère-t-elle se retrouver à la prochaine rentrée des classes, c'est-à-dire celle qui suivra le baccalauréat, elle a spontanément répondu qu’elle serait dans un salon de coiffure. Dans son cas, ce « réflexe » se justifie par une expérience développée dans la coiffure, soit à son compte personnel, soit aux côtés d’une maitresse : « Maintenant je sais coiffer, tresser, faire le "tiré", le tissage etc. »

C’est par la suite qu’elle a affirmé être intéressée par les études universités mais avec des détails non moins utiles :

Je compte faire trois(3) ans d'étude puis chercher de l'emploi. Pour moi, on étudie pour avoir de l'argent et si tu as l'emploi rapide après trois(3) ans d'étude, pourquoi ne pas le faire? Et même si j'ai pas de travail j'essayerai autre chose comme travailler au salon.

40 Le terme a une compréhension particulière dans le langage argotique guinéen. Il renvoie au « business » qui n’est pas nécessairement lié aux études.

D’ailleurs, sa perception de l’abandon de certains élèves après le baccalauréat au profit d’autres activités tels le commerce, les métiers ou l’aventure confirme son intérêt à ne pas rester longtemps à l’université :

Si j’ai à conseiller quelqu’un qui veut quitter l’école pour faire du commerce, je lui dirai de faire le commerce puisqu'on étudie pour avoir de l'argent. Il y a des gens qui n'ont pas étudié mais qui sont riches; par contre d'autres ont étudié mais sont pauvres. (Yarie, Public. F. 25 ans)