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18 Le barème est de 20 points.

4.2.5 L’expérience du confiage et ses aléas : «Le monde est méchant

sans tes parents! »

Les trajectoires scolaires indiquent que de nombreux élèves se sont retrouvés à un moment donné en confiage chez un tuteur. En général, la perception de vivre chez un tuteur est perçue négativement, que ce soit au privé ou au public. Au privé, les enfants vivent généralement avec leurs parents et le confiage n’est pas fréquent. Mais pour quelque raison particulière, il arrive pourtant que l’écolier reste chez un parent. Fodé (Privé. G. 17 ans) fait les Sciences expérimentales; son père, Directeur régional de l’Éducation en province y vit avec tous les autres membres de la famille. Il est le seul à rester à Conakry parce que son père tient à ce qu’il fréquente le LSM. En confiage chez son oncle paternel dont l’épouse lui semble être une « mégère », le jeune Fodé se dit traverser des moments très rudes, nettement différents de la belle époque familiale :

Ce que j'ai l'habitude de faire à la maison quand je rentre à la maison ma maman est là, elle s'occupe de moi, je suis comme un bébé devant elle

jusqu'à maintenant je rencontre des tas de difficultés. Le monde est méchant sans tes parents. Mon niveau même a baissé parce que quand je rentre à la maison, c'est la fatigue vraie. Mon actuel tuteur c'est le petit frère de mon papa. Avec lui, à part les salutations c'est juste ça. Sa femme n'est pas comme ça; elle est mauvaise, elle est mauvaise. Je regrette de vivre avec la famille là et je regrette pourquoi ma famille, ils m'ont laissé ici ils sont partis là-bas.

Mais sa plus grande peine est ailleurs. Fodé rapporte des plaintes extrascolaires très peu citées au privé. Selon lui, ne pas manger à sa faim et à son goût est insupportable pour quelqu’un de son rang :

Ce qui me choque le plus, c'est surtout le manger et le problème d'argent ; le manger n'est pas comme ça. Moi surtout le riz, je n'aime pas sauf à 14h; la nuit c'est autre chose que maman prépare on mange ça. Maintenant, si tu rentres, il est 15h comme ça, tu rentres le riz est fini. Et puis le vieux, il est là il ne s'occupe que de ses petits enfants le matin, le petit déjeuner il donne à ses enfants alors qu'il oublie que ses enfants sont mes petites sœurs. Là ça me fait beaucoup mal. Chaque matin je vois ça ; je peux rien.

Au public, il est courant que les élèves ne vivent pas avec leurs parents biologiques soit à la suite du décès d’un d’entre eux (ou des deux) soit pour nécessité d’aller poursuivre des études ailleurs. Ces élèves qui "migrent" partent habiter chez un oncle, une tante ou simplement un ressortissant du même village que les parents. Avant de venir s’installer chez ledit tuteur, ces élèves ne se doutent point de l’issue de leur confiage surtout qu’ils croient à la solidarité africaine perçue comme naturelle. Mais par la suite, ils ne tardent pas à déchanter; en règle générale, ceux qui sont concernés par cette situation accusent leurs tuteurs d’injustice à leur endroit. Selon le sexe, les garçons décrivent leurs difficultés de survie tandis que les filles dénoncent des « servitudes ». Dans ce dernier cas en particulier, on n’hésite même pas à attribuer la cause de son redoublement à sa situation de vie « instable » en

famille étrangère. Nous choisirons deux expériences révélatrices des difficultés de vie chez un tuteur.

Tenin (Public. F. 24 ans) n’a pas connu son père parce qu’elle était toute jeune quand celui-ci est décédé. Au début du collège, elle est venue chez une tante à Conakry en provenance de l’intérieur du pays. Scolarisée tard, elle est arrivée au collège au-delà de ses 15 ans. Sa tante n’a pas tardé à mettre à contribution ses aptitudes à exécuter certaines missions. Des activités ménagères au petit commerce de denrées, tout convenait pour participer à l’économie de la famille. Mais les charges extrascolaires finiront par influer sur les performances scolaires… Elle a raté son brevet au premier essai :

Pour moi, je n'ai pas eu le brevet pour la première fois, là-bas je n'avais pas le niveau moi, je savais ça ; je ne révisais pas bien, je partais au marché, je vendais les marchandises pour ma tante avec qui je suis. Il me faut partir au marché vendre les marchandises après les travaux à la maison dans ce cas je n'aurai pas beaucoup de temps pour étudier, je ne révise pas beaucoup. Je vendais l'huile de karité l'haricot, beaucoup des choses là-bas. J'allais vendre ça à Madina marché. Des fois, si je quitte à l'école 14h comme ça je peux partir là-bas jusqu'à 18h et dimanche samedi aussi parce que dimanche samedi aussi on n'étudie pas. L'argent que je gagnais, c'est pour ma tante. Ce qu'elle me donnait, elle m'achète les choses comme l'habillement, chaussures.

Yarie est une fille-mère de 25 ans. Elle a eu un parcours de vie un peu décousu. Ses parents vivant en région l’ont confiée très tôt à un oncle paternel. Si celui-ci a réussi à la scolariser et à lui assurer une prise en charge minimale, en revanche, il ne lui pas garanti une vie morale stable dans la famille. Là, la jeune Yarie s’est sentie «étrangère» et s’est retrouvée «taillable et corvéable à merci». Elle rapporte que sa marâtre29 lui confiait l’essentiel des tâches ménagères en épargnant ses propres enfants. En conséquence, ses résultats

29Ce terme a une compréhension claire en Afrique. Dans un contexte de polygamie ou de famille élargie, la marâtre peut désigner aussi bien une autre épouse légale du père qu’une épouse de l’oncle paternel.

scolaires ont été désespérants. Même si elle assume son inconstance à l’école, elle ne se fait aucun doute sur le degré de responsabilité de la famille de son oncle. Très émue dans la narration des faits, elle nous a livré un long récit plein d’enseignements :

La personne avec laquelle j'ai grandi c'est le grand frère de mon papa mais je le connais plus que mon papa c`est lui qui m'a prise avec mon papa et m`a mise à l'école parce que mon papa m'avait dit de rester avec lui pour qu’il m’inscrive à l'école. La femme de mon oncle était mauvaise. Elle avait une fille qui était sortie de l'école et moi qui étais là-bas, je n'avais pas le temps, je ne pouvais pas aller à la révision parce que quand je suis rentrée, au début, mon esprit était vraiment sur les études, tu vois? Mais maintenant je révise pas; j'ai pas le temps je me réveille à 3h à 4h du matin; je prépare à manger je vais à l'école à 8h. J'étais dans un groupe de révision et je ne pouvais pas me rendre là-bas aussi, puisqu'au moment où je partais, je trouvais qu'ils ont fini la révision, j'ai donc préféré laisser tomber, je ne partais plus. Des fois je ne rentre pas en classe je m'arrête dehors pour un bon moment pour ne pas rentrer à la maison parce que j`ai trop de travail à faire là-bas.

Son jugement sur sa marâtre est univoque. Mais elle est surtout frappée par l’indifférence de son oncle qui, à son avis, pourrait s’interposer. Celui-ci s’est montré au contraire implacable lorsque Yarie a conçu une grossesse hors- mariage. Sa grossesse ne devrait pas jeter l’opprobre sur son oncle. En conséquence, elle a été renvoyée de la maison en direction de Forécariah, situé à une centaine de kilomètres de la capitale. C’est là que résident ses (vrais) parents :

Ma marâtre est méchante, chaque fois on me frappe à l'école parce que tout le temps je suis en retard. Tant que je ne faisais pas le travail à la maison je ne vais pas à l'école. Et puis quand j’entrais en classe je dormais parce que je ne dormais pas bien à la maison.

Mon oncle ne réagissait pas. Il savait tout pourtant. Je suis la première chez ma mère. Ma marâtre a des enfants plus âgés que moi mais eux ils ne faisaient rien à la maison. C'est moi qui faisais tout.

Quand je suis tombée enceinte, mon oncle m'a fait sortir de l'école et a saisi mon livret scolaire. Les gens on tout fait pour qu'il me pardonne, il a refusé de pardonner et m'a avoué que c'est fini pour notre parenté. En ce temps mon père était mort et on m'a envoyée chez ma mère à Forécariah.

Grossesse, renvoi, allaitement lui prendront deux années après une série de trois redoublements entre le CM1 et le CM2. Pour elle, son « vide scolaire » n’est pas étrange :

J'ai redoublé 2 fois en sixième année. En 5e aussi une fois. J'ai redoublé dans ces classes parce que je ne connaissais rien; je ne viens pas à l'école à l'heure; je ne révise pas à la maison; je n'ai pas le temps.

Mais au demeurant, elle se déclare n’être point rancunière. Elle n’est pas prête à payer à sa famille d’adoption le prix des exactions auxquelles elle a été sujette :

Mais malgré tout, si Dieu me donne un bon mari, malgré qu'il n'a pas pensé que lui [l’oncle] et mon père ont tété le même lait, qu'ils sont même père même mère, il n'a pas pensé à tout ça, sa femme me fait la méchanceté à sa présence, donc si moi je gagne les moyens moi je ne vais pas lui montrer ça, je lui montrerai qu'il est mon père parce que quoi qu'il en soit, il a un peu souffert avec moi et que je dois enlever ce péché.