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4.3 La perception du futur chez les lycéens guinéens

4.3.1 Les parents et les projets scolaires des enfants

4.3.1.2 De la pression/référence familiale aux contrats générationnels

Pour l’ensemble des élèves rencontrés dans les deux écoles, il est à remarquer que tous ne tissent pas les mêmes types de rapports avec les parents dans les décisions concernant leurs études. Au privé, on remarque que soit le parent exerce une pression sur l’enfant, soit il est souvent un modèle d’inspiration. Aicha a une mère commerçante et un père qui a fait des études de

comptabilité dans une grande école de commerce à Paris. C’est ce père qui l’a inscrite à chacun des cycles qu’elle a franchis. Bien que la mère n’ait pas dépassé le cap du brevet, elle occupe une place importante dans les choix scolaires de la fille. Celle-ci discute en permanence de son futur avec ses deux parents. Elle est sous une pression maternelle de bien étudier. Pendant que sa mère tient à ce qu’elle fasse médecine, son père la juge mâture et apte à se décider pour le choix de l’option :

Pour mon père, je dois faire ce que je veux faire parce que c'est ma vie. C'est moi qui vais affronter les choses de la vie.

Arrivée en 11e, elle s’est orientée en Sciences mathématiques pour faire comme « papa » des études de Comptabilité plus tard. Mais tel n’était pas la conviction de sa mère. De toutes les manières, c’est au plus grand bonheur de notre répondante. Elle sait qu’elle ne fera pas médecine : C’est chaud en médecine » mais est convaincue qu’elle ira loin dans ses études et imitera son père :

Il faut que je tienne, et puis aller à l'université. J'ai pas quitté les classes antérieures parce que je voulais être comme mon papa qui est un intellectuel.

La réussite personnelle, selon elle, proviendra de cette trajectoire :

Mon papa a réussi. Parce que lui, dans sa famille c'est le seul qui a poursuivi les études, et maintenant il travaille, il s'occupe de ses petits frères (Aicha, Privé. F. 18 ans)

Aliou cite son père parmi les intellectuels. Il trouve en ce père un modèle : Ce qui me motive à l'université, c'est que mon père a beaucoup joué dans ma vie je pense que c'est ce à quoi ça sert les parents, de nous guider souvent. Mon père a suivi de grandes études, il est parti à l'université; du coup je vais suivre la même optique parce que mon père a fait l'université, je vais faire l'université» (Aliou, Privé. G. 18 ans).

avait enduré beaucoup de difficultés au cours de sa scolarité mais ses études ont fini par payer :

Ma maman s'est efforcée jusqu'à ce qu'elle a fini, ses sœurs et frères qui étaient méchants envers elle, y compris ses marâtres et tantes là, actuellement, c'est elle qui prend soin de tous ceux-ci. Chaque fois qu'une personne a des problèmes, l'intéressé vient vers elle. Et tous ceux-ci, ils ont déjà une conscience, et tout le monde, actuellement en Guinée tout le monde souhaite à ce que son fils ou sa fille étudie (Kalil, privé; 18 ans). D’autres évoquent l’influence des parents dans leurs projets scolaires en termes de pression exercés sur les enfants. Ces derniers affirment être décidés à continuer mais ils font toujours mention de l’influence parentale. Oumou, si éloignée qu’elle soit de ses parents, doit persévérer :

J'ai voulu continuer aussi parce que mon papa tient beaucoup à ce que j'étudie, ma maman la même chose, je dois faire ce que mes parents veulent et ce que moi je veux (Oumou, Privé. F. 18 ans).

Le lien entre l’ascendant de la mère et les motivations à continuer existe également chez Georgette qui, pour justifier la poursuite des études, affirme :

Je ne peux quitter l’école d'abord par l'éducation qu'on m'a donnée. Je ne crois pas si ma maman pourrait accepter que je reste à la maison sans venir à l'école (Georgette, Privé. F. 19 ans).

Parmi les élèves du public, l’influence familiale existe mais elle est différente de ce que nous venons de présenter au privé. Les élèves parlent d’une pression qui correspond à un défi familial qu’il faut relever ou à une obligation d’achever les études afin de prendre en charge à son tour la famille. Bouba a un père qui était gérant dans un hôtel de Conakry. A la fermeture de cet hôtel, son père a connu une longue période de « chômage technique »; il doit son nouvel emploi dans une « boîte » électronique grâce à d’anciens amis venus de la Hollande. Sa mère est couturière à la maison. Son récit montre qu’il lui faut impérativement étudier pour être le futur « levier familial » :

J'aime les études, c'est ça qui me maintient surtout parce que dans ma famille, mon papa a deux femmes, ma marâtre elle est décédée des suites de maladie. Tu vois je suis le 1er garçon de ma maman, j'avais un frère, l'enfant de ma marâtre qui était décédé aussi quand on était petits, je le connais même pas. Dans la famille c'est moi qui bosse, i.e. je m'intéresse plus à l'étude quoi et puis ma maman m'encourage, mes sœurs ont abandonné. Le seul jeune frère que j'avais et qui était un peu plus proche de moi, il a abandonné les cours tu vois, le petit tellement qu'il s'est intéressé à l'argent finalement y a un cousin qui l'a appelé en Guinée Bissau ici on ne sait même pas quand il est sorti sauf quand il est arrivé là-bas. Et puis il vend dans une boutique là-bas. Le fait que je me dis que je suis seul, je dis que si j'arrête la famille sera K.O, il faut que je pousse beaucoup dans les études ça, ça m'encourage surtout, ça m'encourage. A part mon papa à la maison, ceux qui restent, quand je les regarde, quand je les révise, je dis si moi je lâche c'est pas bon et ça m'encourage beaucoup, tu sens un peu l'élève qui va vite évoluer quoi, tu vois ? Pour résumer, j'aime les études, j'aimerais aller jusqu'au bout donc rien si c'est pas la mort rien ne pourra m'enlever dans ce domaine, il faut que je finisse et s'il faut même augmenter, je vais augmenter. (Bouba, Public. G. 20 ans).

Les discours des élèves du public laissent penser qu’ils sont « hantés » par la brûlante question de prise en charge de leurs parents. Déplorant la situation socioéconomique de ceux-ci, ils voient en l’école le ferment du soutien de la grande famille. Yarie identifie la réussite personnelle à cette « noble » cause :

Pour moi personnellement, j'aurai réussi quand j'enverrai de l'argent à la mosquée pour qu'on me bénisse et j'aiderai les membres de ma famille qui sont pauvres. À part ça, faire du bien, construire, envoyer ma mère à la Mecque, aider mes frères (Yarie, Public. F. 25 ans).

Le pacte implicite de remboursement de leur dû aux parents est pesant dans les têtes. Il faut répondre à leurs besoins lorsqu’ils seront vieux et

impotents. C’est ainsi qu’on devient « enfant béni » ayant réussi sa vie tel que le note Momo :

Réussir, c'est trouver les fruits de son travail. Hier, on dépensait pour moi dans mes études et cela, jusqu'à présent, aujourd'hui. Si j'arrive à me prendre en charge et prendre d'autres familles en charge à cause de mes études, je peux dire que j'ai réussi dans mes études (Momo, Public. G. 22

ans).

Au-delà de la prise en charge que peut leur permettre l’école plus tard, les élèves du public espèrent connaître une « mobilité », une « ascension sociale» à travers l’école. Moussa tout comme Maimouna viennent de l’intérieur du pays31 où tous les deux parents survivent à partir d’une agriculture traditionnelle aux moyens rudimentaires. Leur motivation d’étudier, du reste très similaire en ce point, prend notamment racine dans l’ambition de dépasser le niveau de vie des parents :

Je suis resté à l'école jusqu'en terminale, parce que je vois mon papa n'a pas étudié, ma maman aussi, mes frères aussi, mais moi j'ai décidé d'étudier. Quand tu rentres à l'université, je crois que ça c'est un grand atout d'abord pour un élève. C'est pas valable que tu sors à l'école pour aller faire d'autres choses, travail difficile, d'autres travaux qui ne sont pas liés aux études. J'ai aimé l'école pour ne pas être un cultivateur un jour (Moussa, Public. G. 24 ans).