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L’origine du mot

Dans le document Église et management : quel témoignage ? (Page 27-33)

I. Typologie du management

1. Naissance du management

1.2. L’origine du mot

Il est difficile de trouver l’origine étymologique du mot management. C’est un mot qui vient de l’anglais, to manage. Il semble avoir deux origines différentes :

– l’Oxford English Dictionary le fait dériver du vieux françaismesnager qui veut dire au XIIIe siècle « l’art de gérer les affaires du ménage », c’est-à-dire « conduire son bien, sa fortune et ses domestiques de façon judicieuse ». L’évolution du mot dans la langue

51 Jean-Michel PLANE, Théorie et management des organisations, Dunod, Paris, 20123, p. 4. Ce livre est une excellente introduction aux théories du management des organisations.

52 Jean-Michel PLANE, op. cit., p. 5.

française en a fait les termes ménager et ménagement que nous connaissons aujourd’hui.

– mais le verbe to manage pourrait aussi venir de l’italien maneggiare qui veut dire

« contrôler, manier, avoir en main », avec en arrière-fond le mot latin manus, qui veut dire la main.

Ce deuxième sens s’accompagne d’une dimension sportive : le verbe manager se trouvait sous la formemanege depuis le XVIe siècle et appartenait au vocabulaire hippique pour dire « entraîner, dresser »53. Cela explique pourquoi on désigne aussi celui qui s’occupe de l’entraînement et de la carrière d’un sportif comme étant un manager.

Cette double étymologie nous permet de comprendre un aspect fondamental à nos yeux dans les théories du management, à savoir son ambivalence. En effet, d’un côté, l’activité managériale a pour but de diriger les hommes afin qu’ils produisent plus, de manière plus efficace, en interférant le moins possible dans l’organisation du travail, ce que nous retrouvons dans la racinemaneggiare. De l’autre, elle manifeste aussi le souci de penser au bien-être des ouvriers ou des employés en leur procurant de bonnes conditions de travail, un salaire décent ou motivant, comme le sous-entend le premier sens du mot. Bien entendu, le souci de la paix sociale a pour but de faire en sorte que les hommes travaillent mieux ; en évitant les conflits majeurs, on perd moins de temps dans la production. L’idée de donner des salaires plus élevés aux ouvriers contient aussi l’idée que des ouvriers plus riches pourront plus facilement consommer ce qu’ils produisent ; cela permet de soutenir la consommation et donc la production. Mais on ne peut nier que le souci des hommes a permis une ascension sociale des ouvriers, que de meilleures conditions d’hygiène ont amoindri les maladies et la mortalité précoce54.

Nous le verrons, tout au long de leur histoire, les théories du management oscilleront entre diriger les hommes d’une main de fer et le souci de leur bien-être. Le développement de celles-ci suivra l’évolution des organisations, des techniques et celle des hommes qui soit refuseront tel mode de management soit en demanderont un spécifique.

53 Source : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.

54 Ainsi, les théories du management ont-elles d’un côté amélioré les conditions de vie des travailleurs et de l’autre dégradé celles-ci.

Ce détour par l’étymologie du mot management nous permet de donner une première définition de ce concept :

Le management a deux tâches principales : la gestion de l’organisation du travail et la gestion du personnel.

Forte de cette première définition, nous proposons maintenant d’exposer les premières théories du management et de tenter d’en faire ressortir une définition, tout en étant attentive aux dimensions anthropologiques de ces dernières.

1.3. Frederick Winslow Taylor : le "Scientific Management" ou la conduite scientifique des ateliers

Frederick Winslow Taylor est né en 1856 à Germantown en Pennsylavnie dans une famille aisée. Il meurt en 1915 en Pennsylvanie. Des problèmes de vue l’empêchent de faire des études et il entreprend un apprentissage d’ouvrier modeleur. Il est embauché par l’aciérie Midval Steel Co et y gravira progressivement tous les échelons, pour terminer ingénieur en chef, après avoir suivi des cours du soir. Il finira par exercer le métier de conseiller en organisation.

Son parcours professionnel lui donne l’occasion de connaître son entreprise dans toute sa complexité, de la situation de travail de l’ouvrier de base, en passant par celle de chef d’atelier, tout comme celle des cadres qui doivent faire fonctionner l’entreprise. Taylor possède une vision globale de tous les problèmes qui peuvent être rencontrés aux différents échelons d’une organisation. Cette vision d’ensemble lui sera précieuse pour fonder sa théorie et lui donne une couleur particulière. Ses deux traits de caractère les plus importants sont son souci d’efficacité ainsi que son esprit méthodique. Cela se retrouva tout au long de ses ouvrages sur les entreprises et le management.

Ses premières publications traitent de problèmes techniques (il publie en 1893 un mémoire technique sur les courroies et en 1096 un ouvrage sur la coupe des aciers).

Puis sa réflexion se concentre sur la gestion de la production des ateliers industriels, en publiant en 1903 un mémoire sur le salaire aux pièces. C’est en 1911 que sort le livre qui l’a rendu célèbre, intitulé Scientific Management55.

55 Frederic Winslow TAYLOR, Scientific Management, New York, Harpers and Brothers, 1911, traduction française : La direction scientifique des entreprises, Paris, Dunod, 1957.

L’approche du management de Taylor a une seule visée : améliorer la gestion de la production pour augmenter la productivité de l’entreprise. Pour mettre en œuvre cette amélioration, il explore principalement deux pistes, qui jalonneront les théories du management jusqu’à aujourd’hui et qui expliquent l’ambiguïté de celui-ci :

1. Taylor préconise une meilleure organisation du travail des ouvriers. Pour cela, il mène une grande étude sur la manière de travailler de ceux-ci. Il met au point une méthode, la Mesure du Temps Moyen (MTM) qui utilise l’apport des sciences expérimentales, appliquées aux êtres humains. Taylor mesure avec précision les mouvements des ouvriers : déplacement des yeux, mouvements de jambes, de pieds, rotation du corps, manière de saisir un objet avec la main ou les doigts, etc. Il chronomètre le temps qu’il faut pour chaque opération. À partir de là, il cherche comment améliorer les mouvements et les techniques de travail afin de gagner du temps. Par exemple, ses observations l’amènent à mesurer le temps qu’il faut pour saisir une rondelle sur un établi. Taylor cherche alors comment faire pour que l’ouvrier puisse la saisir plus facilement et donc plus rapidement. Il propose plusieurs solutions, comme poser la rondelle sur un bout de mousse molle ou la placer dans un distributeur gravitationnel. En réduisant le temps de chaque geste et de chaque déplacement, cette Organisation Scientifique du Travail (OST) permet des gains de temps considérables. La productivité s’en trouve immédiatement améliorée et de façon conséquente.

Une fois que chaque geste, chaque mouvement et chaque technique de travail ont été analysés et que des améliorations ont été proposées, Taylor cherche à déterminer la meilleure façon de faire (the one best way). Puis il considère que cette méthode est la seule possible, étant donné que c’est la meilleure. Il impose donc à chaque ouvrier de fabriquer sa pièce de la même manière. L’ouvrier n’a ainsi plus la possibilité de réfléchir et de proposer des solutions : il devient un simple exécutant. Taylor sort la pensée des ateliers. Les hommes doivent se contenter de faire ce qu’on leur dit. Il se produit ainsi une déconnexion radicale entre les mains et la tête de l’ouvrier.

Cette déconnexion sera amplifiée par la division du travail. Taylor reprend les idées de David Ricardo et introduit la spécialisation des tâches : chaque ouvrier devient spécialisé dans la production d’une partie de l’objet final. Cela amène une parcellisation du travail où aucun ouvrier ne maîtrise plus de bout en bout son ouvrage, mais devient simplement un rouage dans la fabrication. Les ateliers n’ont plus de vision globale de la production de leur entreprise.

À cette division horizontale du travail, Taylor rajoute la division verticale : il sépare nettement les exécutants des concepteurs du travail, ce qui fera apparaître la fameuse notion de « cols bleus » et de « cols blancs ». Pour Taylor, il s’agit ici de mettre la bonne personne à la bonne place, selon ses capacités et ses qualifications.

Enfin, Taylor introduit le métier de contremaître. Ces derniers sont chargés de contrôler les ouvriers, afin de vérifier s’ils font correctement leur travail et s’ils accomplissent les gestes et les méthodes qui leur ont été prescrites.

La vision de l’être humain qui se détache en filigrane dans cette Organisation Scientifique du Travail est celle d’un homme qui s’apparente à une machine qui réagirait toujours de la même manière aux mêmes situations ou aux mêmes stimuli.

L’ouvrier est vu comme non pensant, non désirant et comme ne s’appartenant pas à soi-même. En effet, l’entreprise, en décortiquant les gestes de chaque ouvrier et en imposant une méthode de travail, considère en quelque sorte que les hommes lui appartiennent et qu’elle peut leur faire faire ce qu’elle veut ou qu’elle peut leur imposer une seule manière d’accomplir un travail. Or nous savons qu’un travail peut être fait de différentes manières et qu’il peut exister plusieurs façons de faire une tâche qui permettent toutes de l’accomplir rapidement. L’homme, dans ce système, devient une machine, que l’on programme pour fonctionner toujours de la même manière. En utilisant l’apport des sciences expérimentales, Taylor a observé, notifié, codé et expérimenté des manières de faire, sans se préoccuper du rapport que l’individu adopte à l’encontre de son travail, ni des représentations qu’il en a ou du sens qu’il lui donne.

Cette Mesure du Temps Moyen et l’Organisation Scientifique du Travail ont eu une répercussion non négligeable pour l’activité en entreprise : elles ont conduit à la mécanisation de celle-ci et ont permis le passage du travail exécuté par des hommes à celui exécuté par de véritables machines programmées pour cela. Il est intéressant de relever que cette manière d’analyser le travail continue d’avoir lieu de nos jours : en effet, le développement de l’informatique ou de la robotique ne se font pas autrement qu’en analysant systématique et minutieusement le travail fait par des hommes ou par des machines afin de le transcrire en langage informatique ou électronique.

2. Le deuxième aspect de la théorie de Taylor concerne principalement ce qu’il convient d’appeler la recherche de la paix sociale. Taylor avait remarqué la perte de temps

considérable que représentaient les conflits au sein des entreprises et la baisse de productivité qui en résultait. Pour y remédier, il propose plusieurs pistes :

– tout d’abord, Taylor préconise un changement radical dans la manière de vivre en entreprise et propose une révolution de l’état d’esprit entre employés et direction de celle-ci. Au lieu d’être opposés les uns aux autres, Taylor pense que patronat et ouvrier doivent s’allier pour augmenter la productivité. Sa division verticale du travail va dans ce sens : à chacun sa place, mais chaque place est importante pour la bonne marche de l’organisation. En souhaitant donner une vision et une visée communes aux deux parties principales de l’entreprise, Taylor cherche à éviter les affrontements entre deux camps pour rediriger les forces et les énergies vers la production.

– ensuite, Taylor propose un salaire à la pièce. En effet, il pense que les hommes sont des agents rationnels et qu’ils essaient de maximiser au mieux leurs gains monétaires.

En rémunérant les ouvriers à la pièce, Taylor incite ceux-ci à travailler plus vite et mieux. Ce système de rémunération permet en effet de plus payer les travailleurs.

Taylor pense que si les ouvriers sont mieux payés, ceux-ci seront plus satisfaits. Ils accepteront ainsi plus facilement les nouvelles directives de travail et chercheront à accélérer la cadence pour gagner plus d’argent. Taylor peut d’autant plus s’autoriser de mieux payer les ouvriers que son Organisation Scientifique de Travail permet un gain de temps conséquent à ceux-ci et qu’ils peuvent produire beaucoup plus en beaucoup moins de temps. Il pourra donc augmenter de façon sensible les salaires et procéder à de nouvelles embauches.

Ces avancées salariales, tout comme la reconnaissance de l’importance de chaque groupe dans l’entreprise, ont pour but premier et essentiel l’accroissement de la productivité. Mais de fait, elles ont aussi permis une amélioration des conditions de vie des ouvriers, faisant baisser du coup la mortalité infantile (des ouvriers mieux payés peuvent plus facilement mieux se loger, mieux se chauffer et mieux se soigner) et favorisant l’ascension sociale. De fait, si les ouvriers ont perdu en autonomie et en responsabilité dans leur travail, ils ont gagné en confort de vie et en amélioration de leurs conditions matérielles.

La vision de l’être humain que propose F.W. Taylor a un côté et son revers, celui-ci n’étant pas négatif. Le côté visible, c’est l’utilisation de l’être humain à des fins de productivité. L’homme est analysé et classé, vu comme une machine qui fait toujours la

même chose et mû par un seul sentiment, celui de maximiser son gain monétaire. Tout ce qui est de l’ordre du relationnel, de l’entraide, de l’autonomie, de la réflexion individuelle est mis de côté au profit de l’automatisation des gestes de travail et de la parcellisation de celui-ci.

Mais le revers positif, c’est que la paix sociale recherchée par Taylor pour diminuer les conflits a permis de meilleures conditions de vie aux ouvriers et une reconnaissance implicite de leur importance dans la production et au sein de l’entreprise.

Cette ambiguïté fondamentale de la théorie du management est pour nous une des clefs de compréhension pour l’attrait que peut représenter le management : en effet, celui-ci permet indirectement l’amélioration des conditions de travail, et donc de vie, des travailleurs. Ce n’est pas seulement une théorie qui augmente la productivité, mais elle englobe aussi le bien-être des hommes.

C’est pourquoi il n’est pas possible de critiquer uniquement de manière négative les théories du management. Il convient aussi de voir les avancées sociales et psychologiques qui sont apportées au sein des entreprises, ce que nous verrons encore largement en abordant les différentes écoles du management.

La définition du management proposée par F.W. Taylor peut se résumer à celle-ci : le

"Scientific Management" est la conduite scientifique des ateliers.

Dans le document Église et management : quel témoignage ? (Page 27-33)