• Aucun résultat trouvé

Le client-roi

Dans le document Église et management : quel témoignage ? (Page 96-100)

I. Typologie du management

6. Les techniques actuelles de management et les problèmes qu’elles soulèvent

6.5. Le client-roi

Il reste un dernier aspect des techniques de management contemporaines qui peut éclairer de façon bénéfique notre réflexion sur l’utilisation du management en Église. Il s’agit de la notion de client-roi, que tout le monde connaît et emploie parfois pour soi-même, ne serait-ce que pour rendre un achat que l’on vient de faire sur un coup de tête sans avoir à donner d’explications au vendeur. Or cette notion de client-roi a bien plus d’implications que le seul avantage pour le client de pouvoir rendre son achat sans avoir

besoin de se justifier. Elle change en effet complètement le sens du travail et la culture du métier.

Avant que ce concept ne fasse son apparition, les entreprises, dans leur grande majorité, préservaient la culture de chacune des professions qui la composaient. Chaque corporation de métier avait une culture du travail bien fait, de la bel ouvrage selon l’expression consacrée. L’activité de travail pouvait être assimilée dans bien des cas à une œuvre, au sens où Hannah Arendt l’entend, à savoir que "l’œuvre produit des choses qui restent et qui installent une sorte de stabilité dans la vie"152 ; l’artisan en était fier.

La notion de client-roi vient bouleverser ce sentiment de travail bien fait. En effet, ce n’est plus l’excellence du travail qui est mise en avant, mais le client et ses besoins.

Désormais, le but de l’employé est de mettre le client au centre de sa tâche, de chercher à le satisfaire, de lui rendre service, et cela dans un laps de temps de plus en plus court, tout en s’efforçant de réduire les coûts le plus possible, tant pour le consommateur que pour l’entreprise.

Ce changement dans le but du travail vient de ce que la fonction marketing a pris une importance considérable au sein des entreprises. Au départ, le marketing est une technique qui permet de vendre les objets fabriqués dans l’entreprise. Mais aujourd’hui, il ne s’agit plus de "trouver les bons clients pour ses produits, mais les bons produits pour ses clients"153. "Le marketing n’est pas tant un service de l’entreprise qu’un état d’esprit à adopter dans toute l’organisation."154 Si le service marketing reste un département parmi les autres de l’entreprise, "les responsables marketing doivent faire en sorte que chaque département de l’entreprise ait en tête les préoccupations des clients et le souci de les satisfaire"155. Ainsi, chaque employé doit garder à l’esprit les principes du marketing et les managers doivent motiver les salariés pour qu’ils souhaitent non pas faire du travail bien fait, mais servir et contenter au mieux les clients. Ce ne sont dès lors plus les compétences techniques qui sont mises en avant, mais les compétences dites comportementales (autonomie et responsabilité) et relationnelles.

La notion de client-roi soulève deux problèmes à notre avis :

152 Hannah ARENDT, op. cit., p. 139.

153 Philip KOTTLER, Kevin KELLER, Delphine MANCEAU, Bernard DUBOIS, Marketing Management, Paris, Pearson Éducation France, 200913, p. 25.

154Ibid., p. 31.

155Ibid., p. 14.

– le premier concerne directement le travailleur : il est demandé à un ouvrier qui a fait une formation technique de posséder des qualités d’ingénieur et de commerçant : il s’agit d’avoir du sens relationnel alors même que sa formation lui a donné des compétences techniques. Celles-ci semblent être dénigrées au profit du service rendu au client, même si celui-ci implique que le travail soit moins bien fait. Il apparaît bien plus difficile de motiver un employé en lui expliquant que c’est la réputation de l’entreprise qui est en jeu plutôt que de lui dire que c’est la qualité de son travail qui est centrale ; – le second concerne la volonté du client, qui peut devenir toute-puissante et arbitraire.

Elle rejoint la notion de l’enfant-roi à qui tout est donné et dont les exigences, même les plus extravagantes, peuvent être satisfaites par des parents en quête de reconnaissance et d’amour. Lorsque l’on met le client au centre de toutes les attentions, il y a le risque que l’entreprise fasse n’importe quoi pour le satisfaire, quitte à rogner sur la qualité du travail, sur l’éthique de l’entreprise ou sur le respect des travailleurs. Tant que les bénéfices sont au rendez-vous, aucun signal d’alarme ne sera pris au sérieux et l’entreprise risque de perdre sa spécificité ou de changer complètement de cap. Si cela peut être parfois bénéfique, cela peut aussi faire perdre son identité à l’entreprise en question, dérouter les employés, les démotiver ou les stresser.

7. Résumé

Les techniques de management sont nées au tournant du XIXe et du XXe siècle, à une époque où l’entreprise commence à être considérée comme la plus grande productrice de richesses. Le but de celles-ci est d’augmenter la productivité du travail humain et, partant, la richesse générale.

Dès le début, ces techniques oscillent entre deux tendances : celle de considérer l’homme comme un « chimpanzé » à qui l’on demande d’exécuter des gestes mis au point pour leur efficacité et celle de se soucier du bien-être de l’ouvrier. Les questions de rentabilité prennent généralement le pas sur celles du souci du travailleur, mais n’empêchent pas ce dernier de trouver des avantages à sa situation : même si les

« recettes » pour le faire mieux produire l’utilisent sans prendre en compte ce qu’il est, celles-ci améliorent de fait sa condition ; et même s’il lui est demandé aujourd’hui d’être responsable de son travail à un point qui dépasse sa place dans la hiérarchie des postes de l’entreprise, cette demande répond à son souhait d’être plus autonome et d’être considéré comme quelqu’un pouvant être responsable de son travail.

Ce parcours à travers les théories managériales permet de comprendre qu’il n’en existe pas une seule et qu’il n’est pas opportun de parler « du » management de manière générale. Les différentes définitions que nous avons pu relever sont en elles-mêmes parlantes. Le management :

– a deux tâches principales : la gestion de l’organisation du travail et la gestion du personnel ;

– est la conduite scientifique des ateliers ; – est l’administration des entreprises ;

– relève de la question du pouvoir et de l’autorité, cette dernière pouvant être liée à la question de l’expérience et des compétences ;

– est une affaire de professionnels, formés pour cela et qui disposent d’outils et de techniques spécifiques à leur métier. Il organise la maximisation des forces humaines en vue de dégager un profit suffisant pour couvrir les risques de l’activité économique. Le but premier de l’entreprise se trouve à l’extérieur d’elle-même, dans la constitution d’une clientèle.

Ces définitions proviennent des écoles classique et néo-classique du management. Par la suite, il n’est plus possible d’en formuler, les théories étant disparates et s’intéressant chacune à un domaine de la direction des hommes. Il nous semble cependant que la première définition que nous donnions de ce terme, à savoir la gestion de l’organisation du travail et la gestion du personnel, semble convenir au mieux à la description de l’activité managériale, même pour aujourd’hui. Les différentes théories qui fleurissent sans cesse ont toutes pour but de mieux comprendre le fonctionnement de l’entreprise, la manière dont on peut améliorer le produit, transmettre les connaissances, motiver les hommes et permettre à l’entreprise de continuer à exister. Avec deux différences notables par rapport aux premières théories : tout d’abord, l’exigence que le travailleur investisse toute sa personnalité dans son travail et que celui-ci soit le lieu de sa réalisation personnelle ; ensuite, le but, qui n’est plus interne à l’entreprise, mais externe : il faut avant tout déceler ce dont pourrait avoir envie ou besoin le client et chercher à le satisfaire avant toute autre chose, y compris la qualité d’un travail bien fait.

II. Descriptif du processus de restructuration de

Dans le document Église et management : quel témoignage ? (Page 96-100)