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Chris Argyris

Dans le document Église et management : quel témoignage ? (Page 67-71)

I. Typologie du management

3. Les théories de la motivation de l’homme au travail

3.3. Chris Argyris

Chris Argyris est né en 1923 à Netwark aux États-Unis et est mort en 2013. Il a fait des études de psychosociologie à l’Université Cornell où il obtient son doctorat. Professeur d’administration industrielle à l’Université d’Yale entre 1951 et 1972, il devient professeur à Harvard en 1972. Il a mené parallèlement une activité de consultant pour des organisations publiques et privées. Sa méthode de travail a toujours privilégié une vérification de ses idées par des expérimentations sur le terrain, soulignant la nécessité de lier l’aspect sociologique à l’aspect psychologique de ses expériences. Chris Argyris est ainsi un universitaire qui recherche le contact avec le terrain pour ne pas passer à côté de quelque chose qu’il n’aurait pas pu voir de son bureau.

Très critique à propos de l’organisation scientifique du travail de Taylor, Chris Argyris s’est attaché à étudier les relations entre les individus et les organisations. Il pense que la spécialisation des tâches, le contrôle du travail par la direction, l’unité de commandements rendent les ouvriers dépendants et soumis à la hiérarchie et qu’ils n’utilisent par conséquent qu’une petite partie de leurs capacités. D’autre part, il constate que plus les travailleurs sont contrôlés et mis en dépendance, plus ils ont tendance à mettre en place des stratégies d’adaptation antagonistes aux ordres qu’ils reçoivent. On trouve alors dans l’entreprise, comme l’avait déjà noté Mayo, deux cultures différentes, celle des cadres et de la direction, qui tend vers la productivité et les bénéfices, et celle des ouvriers qui résistent au type de management qu’ils subissent.

Deux systèmes de valeurs se chevauchent et tirent chacun dans des directions

différentes, voire opposées. Argyris pense que l’énergie déployée pour construire un contre-système pourrait être utilisée de manière bien plus appropriée et au profit de tous.

Chris Argyris part du principe d’efficacité. Jusque là, l’efficacité d’une entreprise était mesurée à sa capacité d’atteindre ses objectifs, à savoir faire des bénéfices et distribuer des services de qualité. Argyris pense que l’efficacité d’une organisation doit aussi se trouver dans sa capacité à maintenir son système interne afin de pouvoir régler les problèmes efficacement et de s’adapter à son environnement, lequel peut changer rapidement. Pour lui, l’entreprise est un système ouvert qui subit toutes les influences extérieures.

Pour rechercher cette efficacité, l’entreprise mobilise toutes les ressources d’énergie qui sont à sa disposition. La plus importante d’entre elles est l’énergie humaine. Depuis la machinisation de nombreuses tâches, ce n’est plus l’énergie physique qui est mobilisée, mais l’énergie psychologique. Chris Argyris développe alors son concept de succès psychologique : l’entreprise doit faire en sorte que chacun puisse arriver au succès psychologique, lequel est vu comme étant la possibilité pour chaque travailleur de développer son efficacité personnelle.

Pour y arriver, il faut néanmoins deux conditions préalables :

– il faut que chaque personne s’accorde de la valeur et aspire à un sentiment croissant de compétence. Cela passe par des défis que chacun se pose pour lui-même ;

– il faut que l’entreprise favorise la compétence et l’estime de soi de ses employés98. Cet état d’esprit va clairement à l’encontre de la situation dans les organisations qui pratiquent le management par structure pyramidale, où les ouvriers de base sont généralement apathiques ou fatalistes en raison de leur soumission à une hiérarchie qui ne leur donne que des informations parcellaires sur le sens de leur travail et les buts de l’entreprise. C’est pourquoi Argyris propose les principes d’actions suivants :

– il pense tout d’abord qu’il est important que les différentes composantes de l’organisation aient des relations entre elles ; cela peut favoriser la direction de l’entreprise si les différents ateliers et services échangent entre eux ;

– cet échange plaide pour une prise de conscience de la part des employés d’appartenir à une globalité, à savoir à l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Au lieu de se focaliser

98 Cette conception est très nord-américaine et se décline sous une forme quelque peu atténuée en Europe, bien qu’elle soit très présente.

sur leur atelier ou leur service, il faut qu’ils aient conscience de faire partie d’un tout.

Leurs objectifs doivent être reliés à ceux de l’organisation tout entière ;

– l’entreprise doit être capable de modifier ses activités, tant internes qu’externes, en fonction des circonstances et de son environnement. Argyris plaide ici pour plus de flexibilité et d’adaptation.

Ces principes d’actions ont pour conséquence un mode de management qui se centre sur le succès psychologique des individus. Pour y arriver, il faut élargir la prise de décision, impliquer les travailleurs dans la conception du travail et les informer sur les résultats atteints. Les managers sont encouragés à avoir un comportement plus axé sur la confiance vis-à-vis des employés et à pratiquer un management plus relationnel. Il important également de sensibiliser les salariés aux aspects économiques de leurs occupations : celles-ci s’insèrent en effet dans un cadre bien plus large que leur quotidien et ont des répercussions sur l’activité économique de leur entreprise. Cela implique une décentralisation du contrôle de gestion et un autocontrôle de la part de chaque individu. Cet autocontrôle doit lui permettre de mieux se prendre en charge lui-même et de cesser d’être dépendant d’une hiérarchie qui le contrôle, le dirige et le récompense. Cette soumission le place dans un état qui fait obstacle à son développement personnel. Enfin, le système de récompense ne doit pas valider une conduite responsable du travailleur (on attend de chacun une conduite responsable, pourquoi donc récompenser cette attitude ?), mais l’encourager à soutenir et à développer le système de l’organisation interne.

3.4. Mise en perspective

Les trois auteurs que nous venons de présenter ont développé leurs théories sur les motivations de l’homme au travail pendant les Trente Glorieuses. Les conditions de travail ont changé depuis le début du XXe siècle, la machine ayant remplacé l’homme dans bien des ateliers. Désormais, il s’agit moins de diriger une équipe d’ouvriers qui met sa force physique à disposition de l’entreprise que d’employés dotés de ressources psychologiques importantes.

Un glissement dans la conception de l’activité du travail semble se faire jour par rapport à la conception de Taylor et Ford : celle-ci devient le lieu de l’épanouissement de soi, de

la prise de responsabilité et de l’occasion d’être reconnu par les autres. Elle prend ici la place de la vie dans la cité telle que la définit Hannah Arendt. Le travail n’est plus ce qui se fait dans la vie privée, pour subvenir aux besoins essentiels de l’être humain, mais il devient le lieu de réalisation de soi. Son importance va grandir et prendre peu à peu de plus en plus de place dans l’existence de l’homme. La vie de ce dernier se réduira progressivement à son activité de travail et tout ce qui relevait de la vie libre dans la cité, hors des contraintes de la survie des corps, sera graduellement inséré dans l’activité de travail. Avec ce glissement, la réalisation de soi, les aspirations les plus profondes et les plus intimes de l’homme, tout ce qui lui donne son identité seront lentement assimilés par le travail et par conséquent par les personnes qui ont en charge la direction des hommes : les managers. Douglas Mc Gregor en particulier voit l’activité de travail comme une activité qui peut être agréable et, par conséquent, comme le lieu possible de la satisfaction des besoins même les plus exigeants de l’être humain. Ce n’est plus dans la vie de la cité, dans le politique, que l’homme est amené à prendre des responsabilités, mais au travail, dans cette activité qui auparavant ne servait qu’à le nourrir. Cette vision donne accès à un plus grand nombre de personnes au libre exercice de la responsabilité, exercice qui était auparavant réservé à ceux qui avaient le temps, c’est-à-dire qui pouvaient soit se passer de travailler vu leur richesse, soit pratiquer une activité professionnelle qui leur laissait le temps de faire usage ces responsabilités. La masse des ouvriers qui souhaitaient être pris en considération et reconnus pour leurs qualités intellectuelles et leurs idées a accédé au monde de la cité via leur emploi.

L’homme au travail étant désormais vu comme responsable, ou capable d’apprendre et de désirer prendre des responsabilités, nous nous demandons dans quelle mesure les théoriciens du management et peut-être aussi des patrons n’ont pas voulu imposer à leurs employés un investissement et un désir de réalisation de soi comparable aux leurs.

Tout comme Ford voulait imposer une vie saine à ses ouvriers, les patrons d’après-guerre ont voulu que tout travailleur leur ressemble et participe activement à la vie de l’entreprise. En posant ses deux conditions préalables de valeur que travailleur et entreprise doivent accorder à l’être humain et de recherche de compétence, Chris Argyris impose à tous le même chemin, considérant toute velléité contraire de la part du travailleur comme signe de mauvaise santé mentale. Abraham Maslow avait déjà fait remarquer que cette conception était inhumaine envers les plus faibles. Mais en tous les cas, la pensée de Chris Argyris s’est répandue peu à peu dans la plupart des entreprises.

Aujourd’hui en effet, le management demande aux employés, quelle que soit leur place dans l’organigramme, de porter la responsabilité de leur projet, pour lequel les chefs de

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