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Aperçu historique de l’Église réformée dans le canton de Vaud depuis l’adoption de la Réforme à nos jours

Dans le document Église et management : quel témoignage ? (Page 106-124)

II. Descriptif du processus de restructuration de l’EERV

2. Église À Venir

2.1. Aperçu historique de l’Église réformée dans le canton de Vaud depuis l’adoption de la Réforme à nos jours

Pour retracer l’histoire de l’Église réformée dans le canton de Vaud, nous avons interrogé les textes législatifs qui concernent cette Église. Le processus Église À Venir consiste en effet en un changement de structures de l’Église et nécessitera une modification de la Loi. Cela tient à la nature nationale de l’Église qui nous préoccupe au moment des faits : non seulement ses structures et son organisation, mais aussi les conditions d’accès au pastorat, les heures et le nombre de cultes, les livres liturgiques en usage et tout ce qui concerne sa vie quotidienne sont réglés par la Loi. Il nous a paru ainsi intéressant de remonter son histoire à travers les lois qui la définissent et qui règlent son organisation et sa vie spirituelle160.

En 1536, Berne conquiert le Pays de Vaud. Acquises à la Réforme depuis 1528161, LL.EE162 convoquent une « dispute de religion » en 1536 à la cathédrale de Lausanne entre les positions réformées et catholiques. Les premières l’ayant emporté, LL.EE publient l’Édit de Réformation le 24 décembre 1536.163

LL.EE de Berne ont "juré, de cœur et de bouche, par un serment solennel, de maintenir cet Évangile avec l’aide de Dieu, dans la doctrine et dans la vie"164 ; elles organisent et

160 L’Exposé des motifs et projets de loi 2006 a constitué un excellent point de départ pour notre recherche. Nous remercions par ailleurs Philippe Gardaz pour ses éclaircissements et ses recherches dans la législation vaudoise. Voir "L’Exposé des motifs et projets de loi 2006 du Canton de Vaud no 354" [ci-après "EMPL 354"],inBulletin des séances du Grand Conseil du canton de Vaud, no 53, Lausanne, Imprimerie vaudoise, automne 2006, pp. 6841-6848.

161 Henri VUILLEUMIER,Histoire de l’Église réformée du Pays de Vaud sous le régime bernois [ci-après VUILLEUMIER, Histoire], t.1, Lausanne, éditions la Concorde, 1927, p. 34. CetteHistoire comporte quatre tomes, qui couvrent toute la période bernoise du Pays de Vaud, à savoir jusqu’en 1798. Le dernier tome est paru en 1933.

162 LL.EE est une abréviation pour parler de « Leurs Excellences de Berne de la ville et République de Berne ».

163 Pour une relation de cette dispute, voir VUILLEUMIER, Histoire, op. cit., pp. 148-183.

164 Cité dans le préambule de "EMPL 354", op. cit., p. 6842. Cette citation provient de la lettre de ces Messieurs de Berne aux pasteurs accompagnant l’envoi des Actes du synode de 1532, actes qui ont permis d’établir la religion réformée dans le canton de Berne. C’est sur cette promesse que s’appuient LL.EE pour réglementer elles-mêmes la vie de l’Église dans le Pays de Vaud, comme elles l’ont fait dans leurs autres possessions par voie d’ordonnances. On trouvera les Actes et la lettre de ces Messieurs de Berne dans un livre édité par l’Église nationale à l’occasion du quatrième centenaire de la Réformation dans le canton de Vaud : Actes du synode de Berne de 1532, publication du Comité de Jubilé, Lausanne, 1936. De manière très intéressante, la mention que le Comité de Jubilé fait partie de l’Église nationale n’apparaît pas sur la page de garde du livre. On trouve seulement la mention

"Canton de Vaud", avec les insignes du canton, sans qu’il soit écrit clairement qu’il s’agit en fait d’une publication de l’Église nationale. Cela permet de saisir la compréhension qu’avait l’Église

dirigent par conséquent la vie de l’Église par voie d’ordonnances. Le fait que ce soit le pouvoir civil qui organise l’Église tient à des circonstances historiques particulières.

L’État s’est substitué à l’autorité ecclésiale sous l’Ancien Régime, car l’évêque résidait loin du territoire165. En effet, le territoire de Berne était réparti en deux évêchés : le premier, qui regroupait Berne, Zurich et Lucerne, avait son siège en Allemagne du sud, où les Suisses n’étaient pas les bienvenus, favorisant en cela l’absence de l’évêque ; une partie du territoire bernois germanophone était regroupé avec Fribourg et Lausanne dans l’Évêché de Lausanne, mais les Bernois se méfiaient de l’évêque, qui était lié avec la maison de Savoie, laquelle était suspectée de "vouloir récupérer les biens temporels confisqués par la ville au moment de la conquête du pays de Vaud par les Bernois"166. C’est ainsi que "les autorités de la ville-république [de Berne] se sont substituées à l’autorité de l’évêque"167. Il était alors normal pour LL.EE de diriger l’Église réformée naissante. Elles le font selon le modèle zwinglien168. Zwingli s’appuyait sur la pensée augustinienne des deux éléments distincts, mais cependant étroitement liés, à savoir l’État d’un côté, auquel sont confiées les tâches terrestres, et l’Église de l’autre, qui s’occupe de la mission spirituelle169. Zwingli accentue encore un peu le côté de l’unicité en affirmant qu’un "chrétien n’est rien d’autre qu’un citoyen bon et fidèle et qu’une ville chrétienne n’est rien d’autre qu’une paroisse chrétienne"170. Henri Vuilleumier précise que le modèle zwinglien considère la paroisse comme "détentrice du pouvoir ecclésiastique en matière de doctrine", mais qu’il pense que par un accord "tacite" cette dernière déléguait "ses compétences au gouvernement, […] à la condition, bien entendu, que celui-ci prenne la Parole de Dieu pour règle de conduite […]. Aussi, pour tout ce qui concerne l’organisation et la direction de l’Église, le Conseil est-il tenu de requérir et d’entendre l’avis des ecclésiastiques"171.

réformée d’elle-même en 1936, mais aussi tout au long de son histoire : elle n’était pas indépendante de l’État de Vaud, mais représentait le Canton dans son entier. Pour plus de détails sur cette époque, on se reportera utilement à VUILLEUMIER, Histoire, op. cit, pp. 1-360.

165 Voir François WALTER, "Les Églises et l’État en Suisse : tradition territoriale et laïcité", in Michel GRANDJEAN et Sarah SCHOLL éd.,L’État sans confession. La laïcité à Genève (1907) et dans les contextes suisse et français, Genève, Labor et Fides, 2010, p. 105s.

166Ibid., p. 105.

167Ibid., p. 105-106.

168 VUILLEUMIER, Histoire, op. cit., p. 242.

169Ibid., p. 106.

170Huldreich Zwinglis sämtliche Werke (Emil EGLI et al. éd.), t. 14, Zurich, Theologischer Verlag (Corpus reformatorum 101), cop. 1982, p. 424. Cité par François WALTER, "Les Églises et l’État en Suisse : tradition territoriale et laïcité", op. cit.,p. 107, traduction de l’allemand effectué par nos soins.

171 VUILLEUMIER, Histoire, op. cit., p. 210.

Avec la publication de l’Édit de Réformation du 24 décembre 1536, les biens d’Église tombent entre les mains de LL.EE et ces dernières affectent leurs revenus au traitement des pasteurs172. La constitution des nouvelles paroisses se fait dans le flou et la grandeur de ces dernières peut varier fortement d’un bout à l’autre du Pays de Vaud173. Leur nombre est nettement inférieur au nombre de paroisses catholiques d’avant la Réforme en raison du manque de pasteurs, mais ce chiffre augmente au fur et à mesure que des ministres sont formés et recrutés. En 1540, le gouvernement envoie un commissaire pour "délimiter les paroisses aussi équitablement que possible"174. LL.EE organisent l’Église en 6 classes, définies selon les contours des différents bailliages et instituées lors du synode de 1537175. Ce sont elles qui nomment les pasteurs, sur la proposition de la classe concernée, en fonction du rang, c’est-à-dire de l’ancienneté. Il n’y a pas d’organe pour représenter l’ensemble du corps pastoral si ce n’est un synode, que LL.EE ne convoqueront qu’en novembre 1536, mai 1537, mars 1538 puis en 1549, celui-ci étant le dernier synode général. Entre temps, les questions étaient réglées par voie d’ordonnance, soit de manière spontanée par Berne, soit sur demande de représentations des corps civil ou religieux176.

En 1798, le Pays de Vaud se libère du joug des Bernois et devient un nouveau canton suisse en 1803. L’Acte de Médiation de 1803 se borne à garantir "la liberté pleine et entière du culte des communions actuellement établies dans le canton"177. La Constitution du 4 août 1814 dit que "la Religion Évangélique Réformée est la Religion du Canton"178. C’est la Constitution de 1831 qui parle d’une Église dans le canton de Vaud dans son art. 9 : "L’Église nationale évangélique réformée est maintenue et

172 Voir VUILLEUMIER, Histoire, op. cit., pp. 223-240 pour les détails.

173Ibid., p. 268. Henri Vuilleumier note que la charge de travail était très inéquitablement répartie entre les ministres ; certaines paroisses étaient très petites et d’autres très grandes. On retrouvera ce même problème en 1995 !

174Ibid., p. 268.

175Ibid., p. 278-9. Le mot « classe » vient du latin et veut dire : "une division comprenant un nombre plus ou moins grand d’objets ou de personnes du même ordre" précise Vuilleumier dans cette même page. En fait, il y aura 4 Classes, car deux d’entre elles se trouvaient de l’autre côté du Lac Léman, à Gex et à Thonon et elles disparurent lorsque ces MM. de Berne durent restituer ces bailliages au duc de Savoie en 1567.

176Ibid., pp. 241-242.

177Acte de Médiation, Constitution du canton de Vaud du 19 février 1803, art. 25, p. 4.

178 "Constitution du canton de Vaud" inRecueil des Lois, Décrets et autres actes du gouvernement du Canton de Vaud et des actes de la diète Helvétique qui concernent ce Canton [ci-aprèsRLV], tome 11, Lausanne, 1814, art. 36, p. 92. À partir de 1803 et jusqu’en 2004, le Conseil d’État a édité chaque année toutes les lois, décrets, arrêtés et autres actes du gouvernement pour l’année écoulée.

Depuis 2005, les lois ne sont plus imprimées en version papier et ne sont accessibles que sur internet à l’adresse : http://www.rsv.vd.ch (accédé le 25.04.2014).

garantie dans son intégrité"179. La première Loi ecclésiastique, qui date du 14 décembre 1839, dit dans son art. premier : "Le Canton de Vaud est divisé en paroisses, groupées en quatre arrondissements"180. Ce n’est pas l’Église qui est divisée en paroisses, mais le Canton. La mention du fait qu’il s’agit d’une loi sur l’Église nationale se trouve dans le préambule de ladite loi et non dans le premier article181. Il n’y a pas de définition de l’Église ni de ses membres182. Ce sont les "Municipalités [qui] sont, pour tout ce qui n’est pas du domaine spirituel, l’autorité de la paroisse"183. Cette première loi traite de la division territoriale184 puis de la consécration185. Elle crée la Commission de consécration, en lieu et place de l’Académie, pour prononcer l’admission au ministère186. Elle parle de la nomination des ministres187 et confirme le privilège du rang188. Elle définit également la fonction des pasteurs189, les Classes et leur rôle190. Un court chapitre s’intéresse au synode191, qui n’a qu’une voix délibérative par rapport au Conseil d’État, de la commission ecclésiastique qui "veille […] à l’exécution des lois et des règlements ecclésiastiques"192 et est responsable entre autres des remplacements des

179 "Constitution du canton de Vaud du 25 mai 1831" inRLV, t. 27, p. 78. L’art. 9 mentionne encore dans son dernier alinéa l’existence de la religion catholique dans 10 communes. L’art. 10, à la même page, parle "du culte de l’Église nationale et celui de l’Église catholique".

180 "Loi ecclésiastique du 14 décembre 1839", in RLV, t. 36, Lausanne, 1839, p. 345.

181 Le préambule de la loi du 14 décembre 1839 est le suivant : "Le Grand Conseil du Canton de Vaud, Vu le projet de loi présenté par le Conseil d’État, Vu les articles 9, 10 et 95 de la Constitution ; Voulant, selon le prescrit de ce dernier article, régler, par une loi nouvelle, l’organisation de l’Église nationale, décrète", in ibid., p. 345.

182 Robert CENTLIVRES, et Jean-Jacques FLEURY,De l’Église d’État à l’Église nationale (1839-1863) [ci-après : CENTLIVRES-FLEURY, Église], Lausanne, Église nationale vaudoise, 1963, p. 14.

183 "Loi ecclésiastique du 14 décembre 1839",op. cit., p. 14. Les Municipalités "répondent aux questions de l’inspecteur de paroisse et font rapport sur le ministère du pasteur" (art. 118 à 120, 124), et "sont consultées sur tout ce qui concerne l’administration et la vie extérieure de la paroisse" (art. 4, 140, 106, 107, 109). Commission ecclésiastique, lequel préside la Commission spéciale, de deux Professeurs ordinaires de théologie délégués par la faculté de théologie, d’un membre délégué par chacune des quatre classes, et de six autres personnes nommées par le Conseil d’État, dont deux ecclésiastiques et quatre laïques.

[…]" L’article 8 donne le nom de cette Commission spéciale : "La Commission de consécration a une session chaque année, à une époque déterminée. […]", p. 348.

187Ibid., chapitre 3, art. 17-25, pp. 353-356. L’art. 16 traite du nombre de pasteurs dans chaque paroisse.

188Ibid. Le privilège de rang est confirmé par l’art. 19 : "[…] la Commission ecclésiastique présente au choix du Conseil d’État les deux premiers en rang des prétendants au poste vacant, […]." p. 354. Les art. 26 à 29 précisent la manière dont se détermine le rang, pp. 356-359.

189Ibid., art. 30-40, pp. 359-363. Les chapitres 4 et 5 sont consacrés aux suffragants et aux Ministres impositionnaires, art. 41-56, pp. 363-368.

190Ibid., chapitre 6, art. 57-80, pp. 368-376.

191Ibid., chapitre 7, art. 81-87, pp. 376-379.

192Ibid., chapitre 8, art. 88-100, pp. 379-383. Cette commission sera supprimée le 16 avril 1862 et ses compétences seront transférées au Département de l’Instruction Publique et des Cultes, créé le 8 mars de la même année. CENTLIVRES-FLEURY, Église, op. cit., p.112.

pasteurs, des suffragants et des Ministres impositionnaires193. Un chapitre est consacré au culte public194, aux officians [sic], lecteurs et chantres195 ainsi qu’à l’inspection des paroisses196. Vient ensuite un important chapitre sur la discipline197 et la loi se termine par les traitements et les indemnités des pasteurs198, les dispositions diverses et transitoires199.

Cette première loi ecclésiastique donne pour la première fois un nom à l’Église réformée dans le canton de Vaud. Auparavant, l’Église était comme "dissoute dans la société civile"200 et était à la fois "un clergé et une fonction d’un État qui se voulait chrétien et réformé"201. Selon Robert Centlivres, cette loi est "la première étape […]

d’une nécessaire prise de conscience de soi"202. Celle-ci intervient dans un contexte national où "la conception moniste, qui implique des rapports étroits entre Église et État sous la forme d’un christianisme étatique, va céder peu à peu la place à un dualisme où les Églises deviennent non plus étatiques, mais territoriales, sous la forme d’Églises nationales ou cantonales".203 Les révolutions de 1830-1831 "au temps de la régénération libérale"204 amorcent un processus d’autonomisation des Églises dans différents cantons suisses205. Mais ce sont les États qui définissent leur nouveau statut et le canton de Vaud définit les organes de cette Église en les calquant sur le fonctionnement administratif laïc206.

Ce qu’il est intéressant de relever dans cette loi, c’est tout d’abord le fait que les Classes sont indépendantes les unes des autres et n’ont pas d’organe qui les rassemble. Le synode peut être convoqué par le Conseil d’État et ne peut donc pas être considéré comme un lieu de rassemblement régulier des ministres. L’Église nationale n’a de national que son nom, il n’y a pas de lieu pour que les ministres ou les laïcs prennent conscience qu’ils font partie d’une Église qui recouvre tout le canton. La place de la discipline est également très importante et est calquée sur les jurys criminels207. La volonté de contrôle de l’État sur le corps pastoral est très forte.

193Ibid., art. 98, p. 381.

194Ibid., chapitre 9, art. 101-107, pp. 384-386.

195Ibid., chapitre 10, art. 108-112, pp. 386-387.

196Ibid., chapitre 11, art. 115-126, pp. 387-391.

197Ibid., chapitre 12, art. 127-167, pp. 392-409.

198Ibid., chapitre 13, art. 168-174, pp. 409-411.

199Ibid., chapitres 14 et 15, art. 175-190, pp. 411-418.

200 CENTLIVRES-FLEURY, Église, op. cit., p. 9.

201 Ibid., p. 9.

202Ibid., p. 10.

203 François WALTER, "Les Églises et l’État en Suisse : tradition territoriale et laïcité", op. cit., p. 109.

204Ibid., p. 110.

205 Ainsi à Berne, Vaud et Zurich, trois exemples cités par ibid., p. 111s.

206Ibid., p. 111.

Deux enjeux ont occupé les discussions de la préparation de cette loi de 1839 : le maintien de la Confession de foi et la participation des laïcs au gouvernement de l’Église. Les débats entre les pasteurs et le gouvernement vaudois furent vifs. Henri Druey était à l’époque le chef de file d’un nouveau parti en train de se créer, celui des radicaux. Ce parti se situait à la gauche du parti libéral. Il était composé d’une part de paysans, "qui se méfiaient du gouvernement des avocats lausannois"208 et d’autre part de démocrates qui souhaitaient donner le pouvoir au peuple. Henri Druey était particulièrement attentif à la liberté individuelle, au respect de la volonté du peuple, mais avait parallèlement un fort sens de l’État209. Celui-ci "revêtait chez lui une dignité quasi messianique ou salvifique. À la limite, l’État devait finalement rendre, non la religion ou la foi, mais l’Église superflue"210.

À l’époque de la constitution de cette loi, le Réveil, qui s’est développé depuis le début du siècle à Genève puis dans le canton de Vaud, a gagné un certain nombre de pasteurs.

Le Réveil est un mouvement qui cherche d’un côté à réanimer la vie et la piété des chrétiens dont l’intensité de la vie spirituelle s’est affaiblie et de l’autre à porter un souci caritatif, mais aussi d’évangélisation, et partant de mission auprès de peuples lointains211.

Dans le canton de Vaud, le Réveil a reçu ses lettres de noblesse par l’intermédiaire d’Alexandre Vinet212. Dans le conflit qui opposera de plus en plus le gouvernement vaudois aux pasteurs de l’Église, Vinet occupera une place importante en raison de sa position sur les relations entre l’Église et l’État. Pour lui, il n’est pas bon que l’Église soit rattachée à l’État. Selon lui, chacun des deux possède des responsabilités particulières. Celles de l’État relèvent du domaine de l’extériorité et de la collectivité, ce qui l’oblige à user de la force musculaire, de la contrainte ou parfois même de la répression. L’État doit se soucier du bien du plus grand nombre, ce qui peut nécessiter parfois le sacrifice des individus pour les intérêts de la collectivité. L’Église, elle, porte des responsabilités dans les domaines de l’intériorité et de la liberté. Son langage est

207 CENTLIVRES-FLEURY, Église, op. cit., p. 16. Centlivres précise que le "jury appelé à connaître des délits contre la sainte doctrine […] ne fonctionnera jamais."

208Ibid., pp. 12-13.

209 Le parti radical-démocrate, nom complet du parti radical dont faisait partie Henri Druey, a été à l’origine de la nouvelle Constitution fédérale de 1848. Henri Druey a d’ailleurs été membre de la commission chargée d’élaborer celle-ci.

210 Bernard REYMOND, Àla redécouverte d’Alexandre Vinet[ci-après : Bernard REYMOND,Vinet], L’âge d’homme, Lausanne, 1990, p. 104.

211 Voir à ce sujet la définition qu’en donne Jean BAUBÉROT,Histoire du protestantisme (Que sais-je ? no 427), Paris, 1987, p. 88, cité par Ibid. p. 74 et celle de B. Reymond à la même page.

212 Voir les extraits de son discours d’installation à la chaire de théologie pratique de l’Académie de Lausanne du 1er novembre 1837, dans Bernard REYMOND, Vinet, op. cit., p. 82s.

celui de l’amour, de la persuasion intime, de l’influence morale et s’occupe donc de conversion et de régénération. Il y a ainsi une incompatibilité certaine à ce que l’État, qui représente l’extériorité, dirige l’Église qui elle, se préoccupe de l’intériorité. D’autre part, Vinet s’appuie sur 1Co 3, 18.20 pour justifier la séparation de l’Église et de l’État.

En effet, selon ces versets, celui qui pense être sage dans ce monde doit devenir fou aux yeux du monde pour être sage. Si l’État voulait suivre la voie chrétienne, il devrait par conséquent devenir fou aux yeux du monde, ce qu’il ne peut raisonnablement pas faire.

Seule la religion chrétienne peut le faire. Mais l’histoire a montré que chaque fois que le christianisme a voulu arborer la folie qui devrait le caractériser, l’État a cessé de le reconnaître et de le soutenir et a cherché à le ramener à l’ordre. Par conséquent, pour Vinet, l’Église et l’État n’ont pas intérêt à être unis, mais bien séparés (et non opposés), afin que chacun puisse vivre sa spécificité213.

Opposé au statut d’Église d’État, Vinet est en même temps celui qui inventa le terme multitudinisme. Il forge ce terme à partir de sa lecture des Évangiles où il retrouve souvent Jésus et ses disciples devant la multitude, c’est-à-dire les foules. À partir de

Opposé au statut d’Église d’État, Vinet est en même temps celui qui inventa le terme multitudinisme. Il forge ce terme à partir de sa lecture des Évangiles où il retrouve souvent Jésus et ses disciples devant la multitude, c’est-à-dire les foules. À partir de

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