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Le développement de la ressource humaine

Dans le document Église et management : quel témoignage ? (Page 91-94)

I. Typologie du management

6. Les techniques actuelles de management et les problèmes qu’elles soulèvent

6.2. Le développement de la ressource humaine

Pour développer le potentiel des employés, les théories contemporaines du management utilisent la même méthode que F.W. Taylor, à une nuance près qui a de l’importance : l’observation des travailleurs, la notification de ces observations et la codification de ces dernières. Mais si Taylor avait étudié seulement la manière de travailler des ouvriers, les théoriciens du management actuel scrutent le comportement de ceux-ci, afin de savoir

quelles sont leurs réactions dans des situations données dans le but de proposer par la suite aux salariés des stimuli qui leur permettraient de réagir invariablement de la même façon dans des situations semblables. Cette analyse utilise les méthodes néo-béhavioristes qui supposent qu’un individu réagit toujours d’une manière identique aux mêmes stimuli. Un exemple bien connu est le développement de l’outil appelé Analyse Transactionnelle (AT). Celui-ci permet à celui qui s’en sert de catégoriser la personne qu’il a en face de lui. En effet, dans son application en entreprise, l’AT crée des catégories de personnes suivant leur comportement, intégrant dans cette analyse les sentiments, les souvenirs inconscients, les motivations de chacun. Lorsqu’un cadre rencontre un problème avec un subalterne, cette méthode lui permet d’analyser son interlocuteur pour essayer de comprendre à quelle catégorie il appartient. Une fois celle-ci trouvée, il suffira alors d’appliquer les recommandations pour communiquer efficacement avec les personnes de la catégorie en question.

Ce qui est en cause ici n’est pas l’Analyse Transactionnelle en soi, mais son utilisation : on prétend en effet que l’individu est un système de comportements observables et immuables et que l’on peut contrôler ces comportements en leur appliquant des techniques bien précises. C’est oublier qu’un être humain peut changer, non seulement en fonction des situations, mais aussi de bien d’autres facteurs que l’on ne peut ni contrôler ni connaître. L’image de l’être humain qui se développe ici est celle "d’une machine non désirante, laborieusement construite, transparente et fonctionnelle"145. L’homme réduit ainsi à l’état de machine est par conséquent maîtrisable : on peut le perfectionner en vue d’améliorer ses performances.

Ces méthodes inspirées du néo-béhaviorisme soulèvent elles aussi deux problèmes. Le premier se trouve en la prétention de pouvoir appliquer à l’être humain en entreprise une science expérimentale qui consiste à examiner, notifier, codifier puis expérimenter les résultats des observations sur les individus. L’homme est classé et censé réagir toujours de la même façon. Le rapport qu’il entretient à l’égard de son travail, le sens qu’il lui donne, les représentations qu’il peut s’en faire sont niées.

Le deuxième problème concerne la montée des technicismes. Ces méthodes d’observation proposent une codification des comportements et des techniques simples pour résoudre les difficultés. Le bon sens, l’ingéniosité, la sagesse même qui permettent en général aux êtres humains de composer avec la réalité et d’en tirer le meilleur parti

145Ibid., p. 31.

sont dénigrés au profit de recettes toutes faites, applicables en toute situation. Le savoir-faire des ouvriers est lui-même codifié, explicité. La transmission ne se fait plus de façon naturelle, avec le langage et la démonstration que tout un chacun ferait de manière spontanée ; celle-ci doit se faire selon des règles bien définies, délimitées dans un code et dans des termes si précis que tout ce qui donne une dimension humaine aux relations et à la collaboration est dénié. Il ne s’agit plus d’apprendre ce que l’on sait faire à un autre être humain, en le lui montrant et en le lui expliquant avec ses propres mots, sa propre manière de faire, ce qui pourtant est essentiel dans la transmission, mais de présenter le travail à effectuer tel un robot. L’être humain n’a plus sa place dans la transmission. "L’expérience professionnelle est réduite à un processus d’acquisition d’informations, le savoir-faire à des stocks d’énoncés et de procédures que les spécialistes s’empressent de formaliser."146 Chaque compétence, chaque notion sont découpées en des ensembles qui eux-mêmes sont redécoupés en sous-ensemble qui permettent, en fin de compte, d’isoler chaque petite information. Ce procédé ôte toute possibilité d’une vue globale de la compétence ou de la notion en question et embrouille le sens commun. La parole ne produit plus de sens, mais doit se contenter de transmettre des informations.

Cette montée des technicismes, avec les codifications et les logomachies qui l’accompagnent, peut s’expliquer par le contexte de crise dans lequel se meuvent les entreprises depuis les années 1980. Dans un monde où personne ne sait exactement où on va ni ne comprend bien son environnement, l’application de techniques simples, qui semblent rendre évidentes les situations les plus troubles, est un secours bienvenu. Ces techniques donnent l’impression de voir enfin clair et de comprendre ce qu’il faut faire.

Le fait que des spécialistes aient travaillé sur ces techniques est en soi rassurant : en effet, on n’utilise ici pas n’importe quel outil, mais bien des méthodes qui ont été pensées, analysées, testées et conçues expressément pour les situations de travail par des personnes dont c’est le métier et la spécialité. Le manager qui les emploie n’est pas une personne irresponsable qui improvise, il s’est lui-même formé auprès de professionnels.

146 Jean-Pierre LE GOFF, La Barbarie douce : la modernisation aveugle des entreprises et de l’école, op. cit., p. 34.

Dans le document Église et management : quel témoignage ? (Page 91-94)