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L’inclusion des élèves avec handicap : quelle formation pour les enseignants en France ?

Chapitre III : Vers une scolarisation des enfants avec autisme

3. L’inclusion scolaire en France

3.5. L’inclusion des élèves avec handicap : quelle formation pour les enseignants en France ?

France ?

A partir d’une enquête conduite dans trois académies en 2008, les chercheurs

de l’équipe du Cerse

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ont publié un rapport sur la formation initiale des enseignants

à l’accueil des élèves en situation de handicap en milieu ordinaire. Ces chercheurs

ont analysé les différents facteurs et les différentes tensions qui infléchissent la mise

en œuvre de cette formation. Ils évoquent ainsi le fait que le modèle français

d’intégration scolaire développé depuis les années 1980 se trouve contraint par un

dualisme entre l’enseignement ordinaire et l’enseignement spécialisé. Pour ces

raisons, le passage d’une politique d’intégration à une politique d’inclusion

supposerait trois ordres de bouleversement. Tout d’abord, le premier

bouleversement serait d’ordre organisationnel, il faudrait envisager une coopération

de différents intervenants, enseignants de classe ordinaire et enseignants spécialisés,

dans des dispositifs communs : « la notion de classe spécialisée conserve une

prégnance dans les pratiques qu’il s’agit désormais de transférer sur celle de

dispositif »

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(Mazereau, 2008, p. 13).

Les auteurs relèvent une « relative inertie de l’institution scolaire», puisque

l’institution s’est limitée, jusqu’ici, à l’adjonction d’auxiliaire de vie scolaire sans

remettre en question l’organisation des classes. Ensuite, le second concernerait les

contenus de formation des enseignants qui devraient leur permettre de répondre aux

exigences d’accessibilité et de compensation, et qui devraient dispenser des savoirs

se situant « à l’intersection des champs des adaptations pédagogique, de la

didactique professionnelle, des connaissances spécialisées portant sur les différents

handicaps » et des savoirs faire « sur la construction de projets personnalisés de

scolarisation et les ressources mobilisables pour leur suivi »(Mazereau, 2008, p. 17).

Le dernier bouleversement porterait sur la place accordée à des dispositifs de

formation qui œuvreraient sur les représentations du handicap des différents acteurs

de l’inclusion. Cette enquête montre que les dispositifs d’analyse de pratique

enseignante se trouvent « plébiscités par les stagiaires »(Mazereau, 2008, p. 152).

De plus, elle met en évidence les disparités de prise en compte de ces différentes

dimensions de la démarche formative selon les ressources propres à chacune des

académies investiguées. Finalement, les chercheurs indiquent que les compétences

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des formateurs IUFM (récemment ESPE

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selon la nouvelle loi du 8 juillet 2013)

dans le domaine de l’ASH, les possibilités d’expérience de terrains, les rapports

qu’entretiennent les enseignants de milieu ordinaire avec ceux du milieu spécialisé,

les modalités de mise en lien entre formation théorique et stages pratiques, le

volume d’heures d’analyse de pratique enseignante, sont autant de facteurs qui

conditionnent la formation des enseignants à l’inclusion scolaire.

Dans son article, Brigitte (Charrier, 2013), qui intervient auprès des

enseignants en formation initiale, analyse brièvement les maquettes de formation

concernant la prise en charge des élèves avec handicap. Selon l’auteur, bien que

l’intitulé du cours

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ne comprenne pas le mot « handicap », il introduit une sorte

d’équation entre élèves en difficulté et élèves à besoins éducatifs particuliers, ce qui

pose un regard négatif sur la singularité de cette catégorie d’élèves. De plus,

l’intitulé du cours témoigne du fait que les concepteurs des maquettes de formation

ne sont pas, eux-mêmes, départis d’une certaine représentation négative de ces

élèves à besoins éducatifs particuliers. De même, l’organisation des cours au sein de

l’IUFM témoigne de la difficulté qu’a l’institution à remettre en cause un modèle de

fonctionnement de l’école. Pour former les enseignants à la prise en charge des

élèves en situation de handicap, sont préconisés des cours théoriques et magistraux

qui portent sur l’histoire de la scolarisation des enfants en situation de handicap, sur

le cadre législatif de l’inclusion, sur les différents types de handicaps le plus souvent

rencontrés dans le cadre de la scolarisation en milieu ordinaire, et tout cela en neuf

séances de deux heures. De plus, il est rare de pouvoir travailler avec des acteurs de

terrain, il y a des limites dans le champ d’observation des situations disponibles sur

les lieux de stage, ne permettant pas aux étudiants d’aller à la rencontre de

dispositifs spécialisés. Par ailleurs, il n’y avait jusqu’alors aucun suivi des étudiants

au cours de leur stage de la part des formateurs de l’IUFM. Enfin, les étudiants

n’avaient pas la possibilité d’élaborer les questions qui se posaient à eux dans le

cadre de la rencontre avec l’élève en situation de handicap.

Selon Charrier, ces éléments contextuels permettent de souligner que ces

modalités de formation incitent les étudiants à envisager la prise en charge d’élèves

à besoins éducatifs particuliers en termes d’adaptation pédagogique mais sans

remettre en cause le fonctionnement organisationnel, ni la norme scolaire qu’ils ont

connu eux-mêmes étant élèves, sans découverte des structures ni des professions

spécialisées, sans mise en lien des aspects des contenus de formation, enfin, sans

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École Supérieure du Professorat et de l'Éducation.

46L’intitulé du cours était le suivant : « Gestion de l’hétérogénéité et prise en charge des élèves en

interlocuteurs pour évoquer les questions que la prise en charge des élèves à besoins

éducatifs particuliers suscitent. Ce sont donc de nombreuses raisons pour lesquelles

les stagiaires s’emparent de l’espace de parole donné dans les groupes d’analyse de

pratique enseignante afin d’aborder ces questions.

Charrier estime que le travail d’analyse de pratique enseignante selon une

approche clinique est une modalité de travail qui recouvre des potentialités pour

former les futurs professionnels à l’accueil des élèves en situation de handicap en

milieu ordinaire. L’auteur ajoute que cette modalité de travail groupal permet aux

participants de faire des retours sur leur histoire scolaire, d’interroger leurs liens aux

savoirs et à la norme scolaire.

3.6. Les dispositifs innovants de l’école

inclusive :

Valérie (Barry, 2013) s’intéresse quant à elle, à la façon dont des

professionnels

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de l’éducation s’emparent de la notion d’innovation dans leur

parcours professionnel, au regard des enjeux posés par le paradigme de l’école

inclusive. Afin d’étudier les différentes attentes et postures professionnelles, Barry a

interrogé l’évolution possible des formations destinées aux professionnels de

l’éducation en termes de dispositifs pédagogiques, de dynamiques

institutionnelles, de logiques partenariales, dans un contexte d’éducation inclusive.

En effet, les personnes interviewées ont été interrogées sur trois points : les

dispositifs de formation innovants qu’ils avaient mis en place ou auxquels ils avaient

participé en tant qu’acteurs; leurs représentations sociales ou sujets de l’innovation

en formation ; leurs projections dans l’avenir et leurs réserves à ce sujet.

Les professionnels ont donnée trois sens à l’innovation en formation :

Un sens expérientiel : une innovation, en lien avec le processus personnel de

formation à la réalité de l’école inclusive, peut résider dans une réalité de formation

plutôt inscrite sur des terrains d’action et prenant appui sur des problématiques

locales et des situations interactives entre pairs.

Un sens phénoménologique : ici, l’innovation est pensée en termes de

dispositifs déjà mis en place et réside dans l’exploration des résonances symboliques

de l’expérience vécue.

Un sens herméneutique : l’innovation est la capacité heuristique d’un

dispositif à expliquer, à clarifier des situations scolaires, et notamment des besoins

d’apprentissage.

En fait, combiner ces trois sens de la formation dans le but de préparer à

l’école inclusive, c’est construire une pratique de formation qui soit, mutatis

mutandis

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, modélisante par rapport aux pratiques mises en œuvre avec les élèves.

On peut donc sensibiliser les professeurs à leur façon d’appréhender la singularité

visible ou cachée de tous les élèves, en les considérant eux-mêmes, en tant

qu’apprenants adultes, comme des êtres « singuliers pluriels » (Nancy, 1996, p. 12).

Néanmoins, Barry note dans sa recherche que certains professionnels

interrogés ne se considèrent pas comme innovants dans leur façon de se former, de

former autrui ou de piloter une formation. D’autres professionnels se considèrent

comme innovants parce qu’ils ont vécu des changements paradigmatiques dans leur

parcours personnel, en lien avec des événements déclencheurs.

D’ailleurs, les entretiens menés démontrent que l’innovation pédagogique

renvoie davantage à la rencontre et surtout à la recomposition collective d’éléments

(émergents ou) existant déjà au plan individuel, qu’à une tension entre l’habituel et

l’inédit. Ainsi, la question qui se pose est celle de l’intégration de l’expérience

d’autrui, avec sa caractéristique de permanence ou l’inventivité, dans son propre

bagage expérientiel. En effet, cette question dépasse le champ de la formation et

touche également le travail en équipe dans une école ou un établissement scolaire.

Selon le même auteur, la transformation paradigmatique du système éducatif ne va

pas se réaliser dans une génération spontanée, une création ex nihilo. Pouvoir

simultanément prendre en considération des élèves représentant une grande diversité

de potentialités et d’appétence scolaire nécessite d’intégrer, sur une période plus ou

moins longue, des influences pédagogiques internes et externes, portant à la fois sur

les postures et les pratiques, et rendant opérationnel le travail avec un groupe

hétérogène.

Barry ajoute que le passage d’une logique intégrative à une logique inclusive

nécessiterait de voir dans l’intégration systémique un outil psychosocial de

l’inclusion. Il existe une tendance actuelle à proscrire la notion d’intégration,

laquelle se réduirait à incarner un modèle pédagogique dépassé dans lequel l’élève à

besoins spécifiques est épistémologiquement envisagé comme externe au lieu

scolaire ordinaire. En effet, il semble que le paradigme intégratif ait montré ses

limites. Aussi, le terme intégration considéré préexiste aux lois sur le handicap et

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désigne un processus psychosocial combinant trois dynamiques : intégrer, s’intégrer,

être intégré. De plus, intégrer et inclure ont le même antonyme : exclure.

Par ailleurs, la construction d’innovations pédagogiques pouvant accompagner

l’essor de l’école inclusive nécessite qu’une démarche personnelle (interne)

s’externalise, et qu’elle rencontre d’autres démarches similaires. Cette rencontre doit

être à la fois de l’ordre de la représentation sociale et de l’opérativité. Le

mouvement inclusif collectif résulte de la possible convergence de plusieurs

nécessités individuelles, chacune s’appuyant sur une démarche fondatrice de la

pratique personnelle ou sur une découverte intime ayant engendré une forme de

révolution copernicienne.

D’après les sujets interviewés, il faudrait ajouter aussi que le caractère

innovant d’une structure de formation à l’école inclusive réside dans la conjugaison

d’une contextualisation primaire des contenus de formation (sur un terrain

professionnel/en institut) et d’une contextualisation secondaire(ou

recontextualisation) de ces contenus (en institut/sur un terrain professionnel), cette

dernière permettant de les appréhender et de les vivre différemment.

Finalement, les résultats de cette étude montrent que le paradigme inclusif

nécessite que le cadre réglementaire et les lieux de formation ou d’apprentissage

soient envisagés comme des contenants évolutifs qui, quelles que soient les

prescriptions qu’ils incarnent, ne présentent un intérêt que s’ils sont cliniquement

explorés en termes de contenus psychosociaux dynamiques et interactifs(Barry,

2013, p. 163).