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L’impact de la liberté de la concurrence sur les médias

PARTIE I. LE RAPPORT HISTORIQUE ENTRE LES MÉDIAS ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE

B. L’impact de la liberté de la concurrence sur les médias

La liberté de la concurrence hautement clamée dans la Constitution mauritanienne de 1991 aurait pu naturellement être à l’origine de la suppression des monopoles commerciaux de produits et l’ouverture des services monopolistiques à la concurrence, y compris dans le secteur médiatique, et limiter les prérogatives de l’Etat en matière économique en faveur de l’initiative privée. Cependant, la réalité est beaucoup plus complexe. La cruauté de l’interventionnisme étatique qui affleure dés l’accession à l’indépendance et jusqu’aux années 2000 a influé directement sur l’impact de la concurrence dans les médias, prêtant donc le flanc à une sorte de main mise quasi-globale sur le secteur de la communication considéré comme vital. Mise à part la presse écrite qui a bénéficié d’une certaine ouverture relative et variable en fonction de

102 Guide de l’investissement Mauritanie, préparé par le ministère des Affaires économiques et du Développement ave l’appui du programme d’appui au commerce et au secteur privé, financé par l’Union européenne, 2014, p.71.

l’idéologie du régime au pouvoir, les autres médias n’ont pas embrassé cette liberté de la concurrence tant ventée.

L’inconvénient de cette politique est de faire de l’ouverture concurrentielle tant affichée dans les textes des lois relatives à la concurrence « des textes vitrines » d’une portée théorique et philosophique, sans imposer la moindre contrainte aux autorités mauritaniennes. Un écran de fumée qui cache, en effet, un véritable système monopolistique. En somme, faut-il encore observer que cette liberté de la concurrence tout au long de la période allant de l’indépendance jusqu’aux années 2000 n’a pas tenu sa promesse, à moins que les objectifs de cette liberté soient ailleurs que dans l’entretien de l’effet par ricochet, c'est-à-dire l’application des règles de concurrence aussi bien aux personnes publiques qu’aux personnes privées (1), ensuite la création d’une administration indépendante pour justement protéger cette concurrence (2).

1. La non-soumission des médias au principe de la liberté de la concurrence (période 1960-1988)

Certes, la libre concurrence est un facteur de stimulation des opérateurs économiques qui sert à juste titre à favoriser la croissance et accroître les richesses103. Toutefois, la libre concurrence n’aura aucun effet bénéfique si le traitement réservé aux opérateurs publics est différent de celui réservé aux opérateurs privés. Pourtant, ce fut le cas pendant de longues années en Mauritanie où l’audiovisuel et les télécommunications comme tous les autres moyens de communication furent organisés sous forme de monopole public où naturel, monopole dicté par la circonstance du recouvrement de la souveraineté

103 NICOLAS-VULLIERME. L., Droit de la concurrence, op.cit., p.9

nationale qui exige l’interventionnisme étatique à tous les niveaux104. Pour autant, ce monopole naturel puis public des moyens de communication n’a jamais véritablement été un monopole de droit. Il fut juste un état de fait.

a) Le monopole naturel

On estime qu’il y a monopole naturel lorsque la globalité de la production est assurée par le même producteur105. La production par un opérateur est moins coûteuse que la production par deux ou plusieurs opérateurs en situation de concurrence. La mise au point des infrastructures des réseaux dans le secteur naissant des médias demande des investissements faramineux. Par conséquent, le premier opérateur engagé qui est naturellement un opérateur public radiotélévision de Mauritanie se trouve en situation de monopole naturel. Si ceci est admis, c’est pour compenser les coûts fixes supportés par cet opérateur106.

b) Le monopole public

Appelé aussi monopole tutélaire, le monopole public veut dire que l’ensemble des médias sont sous la tutelle des pouvoirs publics compte tenu de leur importance sécuritaire107. En Mauritanie pendant la période initiale et sous le règne du parti unique, l’Etat se réserve le monopole d’exploitation de la presse écrite, la radio, la télévision, la poste et les télécommunications, seuls moyens de communication. Ainsi, radio-Mauritanie a basculé d’un établissement public à

104 OULD CHEIHK. M, Bilan de réforme des télécommunications en Mauritanie, mémoire pour l’obtention du brevet d’aptitude en régulation des télécommunication, Ecole supérieure de télécommunications (ENST-Paris), 2005, p.9.

105 DUTHEIL DE LA ROCHERE.J, La concurrence dans la société de l’information, op.cit., 14.

106 BASSONI.M et JOUX.A., Introduction a l’économie des médias, édition Armand Colin, 2014, p.42.

107 Ibid., p.39.

caractère industriel et commercial (EPIC) en 1987 à un simple service du département ministériel de la Culture et de l’Information avant d’épouser le statut d’établissement public à caractère administratif108. Même situation pour la télévision mauritanienne qui fut un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre de la Communication109.

Enfin, aux termes de l’ordonnance 90-04 du 4 avril 1990 portant statut des établissements publics et des sociétés à capitaux publics, le décret d’application n°90-154 du 22 octobre 90 confirme la dépendance des établissements publics.

2. L’absence d’une administration indépendante

Malgré l’apparition de journaux indépendants en 1988 avec l’inauguration de La Mauritanie-Demain qui fut au début un journal culturel, puis, un journal politique110, la période initiale reste marquée, entre autres, par la suprématie de la pensée unique entretenue par les autorités publiques. Pour ce faire, l’Etat aurait recours assez souvent à deux procédés courants : la censure et l’octroi d’aides aux complaisants en vue de la manipulation de l’information et la désinformation de l’opinion nationale. Il n’est pas étonnant, dans ce contexte de monopole absolu que les fonctions de réglementation soient mêlées aux fonctions d’exploitation (a) et que tous les moyens de communication soient imbriqués au sein de la même entité administrative(b).

108 Unesco., Tendances des marchés audiovisuels : perspectives régionales- vue du sud, Algérie, Maroc, Mauritanie, édition Unesco, 2006-2007, p. 94.

109Ibid. p.95.

110 BRAHIM. S., La loi et les médias en Mauritanie, édition fondation pour les médias en Afrique de l’ouest, version électronique consultée en ligne sur le lien suivant : http://mfwa.africafex.org/wp-content/uploads/2015/11/French-Mauritania.pdf, 2005, p.36.

a) La juxtaposition des fonctions d’exploitation et de réglementation

La concentration de deux fonctions dans les mains des autorités publiques est symptomatique du monopole exercé par les opérateurs publics dont l’Etat est l’actionnaire majoritaire. Ces opérateurs étaient, par la même occasion, régulateurs du marché. Cela est inadapté aux impératifs de la concurrence mais a contrario, conforme à la situation de monopole de fait et vise, entre autres, à décourager l’initiative privée. Ainsi, l’office des poste et télécommunication (l’OPT) exploitait et régulait le secteur de la poste et de la télécommunication jusqu'à la réforme de 1999111.

b) L’imbrication des moyens de communication dans les mêmes entités administratives

Le ministère de la Communication et le ministère des Postes et de la Télécommunication partageaient à parts égales les moyens des communications en Mauritanie. Le premier avait la charge d’exploiter et réguler la presse écrite et la radiotélévision, tandis que le second s’occupait du reste, c'est-à-dire la poste et les télécommunications, ce qui revenait à reléguer pratiquement, les activités des médias à des fonctions régaliennes112 qualifiées aussi d’intérêt général113.

Au final, exclure les médias des services marchands les soustrait à toute compétitivité éventuelle, en raison de leur intérêt pour la collectivité publique mais, toutefois, en brandissant des justifications quelque peu ambigües.

111 CHERIF. S., La réglementation des télécommunications en Mauritanie, mémoire de maitrise en droit privé, Nouakchott, 2001, p.37.

112 Rapport de l’autorité de régulation, la reforme des télécommunications en Mauritanie, p.5.

113 GUERROUI. D., EL AOUFI.N., BARREAU.J., Le devenir du service public, édition l’Harmattan, 1997, p.12.