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Entrave à la liberté d’entreprendre

PARTIE I. LE RAPPORT HISTORIQUE ENTRE LES MÉDIAS ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE

Section 2. Le monopole d’Etat des médias

B. Entrave à la liberté d’entreprendre

En théorie tout se passe merveilleusement bien. La liberté d’entreprendre est indéfinie. Aucune atteinte qui y serait porté n’est tolérée. En pratique, les choses sont beaucoup moins étincelantes. Les libertés sont plurielles, multiples et parfois incompatibles les unes aux autres. L’observation vaut aussi pour les atteintes.

En matière de communication audiovisuelle la liberté d’entreprendre est soumise à un régime d’autorisation justifié par un souci de pluralisme. On peut dire que dans une large mesure le régime d’autorisation est restrictif à la liberté d’entreprendre, combien chère au Conseil constitutionnel mauritanien et son homologue francais. Afin de mettre en place des synergies entre les différentes libertés, « Il incombe au législateur, en fixant les règles tendant à la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels, de veiller à ce que leur application ne limite pas la liberté d’entreprendre dans des proportions excessives au regard de l’objectif constitutionnel du pluralisme »212.

Comme en matière de liberté de communication, les limitations apportées à cette liberté doivent poursuivre un but légitime. Elles ne doivent pas être disproportionnées 213 . Au total, il existe plusieurs limitations. La liberté

211 MARCANGELOLO-LEOS. P, Pluralisme et audiovisuel, op.cit., p. 30.

212 Décision n°2000-433, DC du 27 juillet 2000, loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, recueil des décisions du Conseil constitutionnel, édition Dalloz, 2000, p.129

213 MARCANGELOLO-LEOS. P, Pluralisme et audiovisuel, op.cit., p.182.

d’entreprendre peut faire l’objet de deux sortes d’atteintes majeurs. Elles prennent tantôt l’allure d’atteintes publiques (1) tantôt l’allure d’atteintes privées (2).

1. Les atteintes publiques

Ce sont toutes les pratiques publiques214 susceptibles de restreindre, par quelque procédé que ce soit et de quelque part qu’elles viennent la liberté d’investissement (a) et la liberté d’établissement215 (b).

a) Limitation de la liberté d’investissement

En effet, sur le plan national, la liberté d’investissement est garantie par la loi216. Théoriquement cela veut dire que toute personne physique ou morale ayant la nationalité mauritanienne ou étrangère est libre d’investir dans n’importe quelle activité de son choix : médias, presse, radio, télévision, etc. Seulement, la réalité n’est pas aussi simple, certaines activités sont réservées à l’Etat. Le secteur de l’audiovisuel en fait partie, exclusivement réservé à l’Etat alors que l’initiative privée en est totalement exclue. La moindre chose que l’on puisse dire c’est qu’il s’agit d’une limitation à la liberté d’investissement au sens de l’article 3.1 de la loi n° 2002-03 du 20 janvier 2002 portant code des investissements qui garantit à toute personne physique ou morale la liberté d’investissement.

214 Les pratiques publiques renvoient ici aux actes perpétrés par un Etat, au sens du droit international public.

215 DERIEUX. E., Droit des médias, op.cit., p.911.

216 Article 3.1 de la loi n°2002-03 portant code des investissements « La République Islamique de Mauritanie garantit à toute personne physique ou morale désireuse d’installer sur son territoire une activité, la liberté d’établissement et d’investissement de capitaux dans le respect des lois et règlements en vigueur ».

Au niveau international, l’accord général sur le commerce des services (GATT) longtemps médité accéléra la domination du modèle libéral qui deviendra par la suite un marqueur des bouleversements inattendus telles que la liberté des échanges, la libre circulation des capitaux, la création d’un espace économique mondial chapeauté par l’organisation mondiale de commerce (OMC) et enfin, l’apparition des juridictions arbitrales spécialisées, notamment du centre international pour le règlement des conflits relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats (CIRDI) ouverte à la signature à Washington, le 18 mars 1965 et le tribunal ad hoc créé conformément aux dispositions de la commission d’arbitrage de l’ONU dans le cadre du droit commercial international.

Dans cet espace économique d’orientation libérale de 134 Etats, ni la liberté d’investissement, ni la libre circulation des capitaux n’est totale. Elles souffrent de nombreuses restrictions. Dans le domaine des médias à juste titre la méfiance du libéralisme est sans équivoque. Les médias sont soumis à un régime d’autorisation et de plus les publications étrangères obéissent à des dispositions

spéciales, concernant les aides de l’Etat et la fixation des prix, autant d’obstacles qui découragent les initiatives privées de pouvoir librement

s’investir. Pourtant, toute restriction à la liberté d’investissement et d’établissement est en principe interdite.

b) Atteinte à la liberté d’établissement

En droit mauritanien comme en droit communautaire européen, la liberté d’établissement est un acquis217. La loi mauritanienne n° 2002-03 garantit la

217 Comme on l’a vu précédemment, l’article 3.1 de la loi n° 2002-03 portant code d’investissement mauritanien, la liberté d’investissement est garantie aussi bien pour les Mauritaniens que pour les étrangers.

liberté d’établissement à toute personne ou société souhaitant s’établir en Mauritanie et y développer son activité.

S’agissant du droit communautaire, selon l’article 43 du traité de Rome « les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire d’un autre Etat membre sont interdites ; la restriction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un Etat membre établis sur le territoire d’un autre Etat membre ».

Chacun comprendra que les entraves publiques à la liberté d’établissement sont à la fois des pratiques restrictives de liberté et discriminatoires vis-à-vis des étrangers qui veulent s’établir en Mauritanie et y développer leur activité de diffusion ou d’édition. En plus, aux atteintes publiques il faut ajouter les atteintes privées qui sont beaucoup plus virulentes.

2. Les atteintes privées

Au-delà du fait qu’il porte atteinte au principe de la liberté d’entreprendre, le contrôle des médias par les autorités publiques facilite les abus de position dominante (a) et les excès de concentration (b).

a) Les abus de position dominante

Le contrôle des médias par les pouvoirs publics crée une position dominante sur le marché monopolistique218. Ce contrôle est-il un privilège ? Dans la majorité

218 SABIRAU PEREZ. M., Secteur public et concurrence, op.cit., p.181.

des cas la domination va de pair avec un comportement abusif faussant la libre concurrence. Or, l’abus de position dominante est interdit aussi bien en droit mauritanien219 qu’en droit français220 et européen221. Pourtant, certains affirment, contrairement à l’idée reçue, qu’« il ne faut pas uniquement voir dans le monopole un privilège accordé à l’intervenant public. Lui sont également imposées des obligations parfois exceptionnellement contraignantes qui font de lui un opérateur hors pair222 ». Est-ce franchement le cas ? Il est largement permis d’en douter. Car l’abus de position dominante est « un moyen, pour ceux qui se trouvent dans une telle situation, de tenter de s’opposer irrégulièrement à l’apparition ou de faire obstacle injustement à l’existence et au développement des activités d’un concurrent potentiel. »223. Là encore, il faut nuancer. Si l’on s’en tient à la théorie de la concurrence monopolistique de François Perroux, il n’y a personne « qui ne soit de quelque façon soumis à une concurrence provenant du secteur qui ne contrôle pas »224. Autrement-dit, même en cas d’abus de position dominante il y a concurrence. Dés lors, il est intéressant de constater qu’au-delà de ces exagérations doctrinales la position de la CJCE demeure claire et raisonnable. Ainsi, au sens de la jurisprudence de la CJCE, le fait que des sociétés de télévision refusent de fournir à d’autres sociétés de télévision des informations brutes sur le contenu de leurs programmes télévisés constitue un abus de position dominante225. Nous reviendrons aux pratiques

219 Nous y reviendrons dans la seconde partie avec précision et affinement de l’exposé.

220 L’article L.420-2 du code de commerce dispose qu’« est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L.420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci.»

221 L’article 82 du traité de la communauté européenne pose que l’abus de position dominante « est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats est susceptible d’en entre affecté, le fait pour une où plusieurs entreprises, d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ».

222 SABIRAU PEREZ. M., Secteur public et concurrence, op.cit., p.183.

223 DERIEUX. E., Droit des médias, op.cit., p.910.

224 PERROUX. F., Théorie de la concurrence monopolistique, édition PUF, 1953, p.20.

225 Voir l’arrêt Magill du 6 avril 1995.

anticoncurrentielles y compris l’abus de position dominante et les excès de concentration dans la seconde partie.

b) Les excès de concentration

L’excès de concentration est un obstacle non seulement au jeu de la concurrence mais aussi un frein à la liberté d’expression, en ce sens où il porte atteinte au pluralisme des courants d’expression socioculturels226.Toute concentration excessive est considérée comme incompatible avec le marché. Dés lors elle est interdite. L’article 81 du traité de Rome pose que « sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du Marché commun ». Pareillement, l’article L.420-1 du code de commerce français dispose que « sont prohibées, même par l’intermédiaire direct ou indirect d’une société du groupe implantée hors de France, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions […] ».

Le code de commerce de la Mauritanie a suivi textuellement l’exemple français.

Ainsi l’article 1233 dispose-t-il que « sont prohibées lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou toutes autres coalitions […] ».

226 DERIEUX. E., Droit des médias, op.cit., p.914.

Mais, que ce soient les dispositions législatives européennes, françaises ou mauritaniennes, il y a une similitude ambiante entre ces législations qui tient au fait qu’il n’y a pas de règles spécifiques aux médias écrits et surtout par rapport au seuil de concentration en matière de la presse écrite. On ne sait pas trop à partir de quel seuil la concentration devient excessive.227 Dans la communauté européenne le soin est laissé à l’appréciation des législations nationales. Et, en général, ces dernières donnent la manœuvre au juge qui décide au cas par cas.

En Mauritanie la question n’avait pas lieu de se poser, car le contrôle et le monopole exercés par les autorités publiques engendraient de facto un excès de concentration. De toute façon, on l’aura compris, la concentration excessive est une forme d’atteinte privée qui menace la liberté d’entreprendre.

227 Ibid., p.15.