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La création d’une autorité de régulation

Conclusion du chapitre

B. La création d’une autorité de régulation

L’éclatement de l’office des postes et télécommunications fin 90, désormais scindée en deux grandes entités, à savoir le service des postes et le service des télécommunications, puis la méfiance vis-à-vis de l’autorégulation ont débouché de facto sur la création d’une autorité de régulation qui s’occupe de la correction, de l’orientation et de l’équilibre du marché328. La régulation est alors une nouvelle forme d’interventionnisme étatique pour promouvoir un marché concurrentiel329.

Il est très intéressant de constater d’emblée que généralement les autorités de régulation sont l’aboutissement de deux facteurs : d’une part, un facteur politique dû précisément à l’évolution administrative caractérisée ensuite, par le passage d’une société administrée à une société de liberté330 qui se manifeste enfin dans la délégation de l’Etat de certaines de ses prérogatives autrefois régaliennes à des organes plus savants ; d’autre part, le facteur économique résultant de la nécessité de la mise en place d’une autorité de régulation afin d’accompagner le regain d’intérêt et l’essor économique sans précédent dont les télécommunications semblent cristallisées du jour au lendemain. La régulation est désormais exigée par la particularité économique du secteur des télécommunications qui connaît des bouleversements profonds depuis l’année 2000.

Il est également intéressant de constater que les télécommunications jouent un rôle de premier plan dans la société d’information. A cet égard, G. Théry précise que « la révolution de l’an 2000 sera celle de l’information pour tous.

328 Hommage à Marie-Dominique Hageslsteen, colloque organisé par le Conseil d’Etat et l’Autorité de la concurrence le 24 septembre 2013 à L’Ecole nationale d’administration, intitulé corriger, équilibrer, orienter : de la régulation économique, édition la documentation française, 2014, p.63.

329 CROCQ. I., Régulation et réglementation dans les télécommunications, édition Economica, 2004, p.235.

330 BOULOC. B., Autorité de régulation et vie des affaires, édition Dalloz, p.10.

Comparable en ampleur technique à celle des chemins de fer ou de l’électrification, elle sera plus profonde dans ses effets car les réseaux de télécommunications constituent désormais le système nerveux de nos sociétés »331. Par ailleurs, le professeur Jean-David Dreyfus souligne que « le contexte international ne laisse que peu de marge de manœuvre aux différents pays quant aux mécanismes de régulation à mettre en place »332. Les sénateurs Pierre Laffitte et René Trégouet le confirment : « […] le secteur des télécommunications n’est plus seulement un facteur d’accompagnement du progrès économique, mais un élément moteur de ce progrès. Déjà prévalent aujourd’hui, il sera probablement décisif dans les vingt prochaines années »333. Il reste certain que l’initiation d’une autorité de régulation en soi est une avancée considérable pour le bon fonctionnement du marché et de la concurrence. On conçoit mal que l’Etat soit concurrent et régulateur, juge et partie à la fois, car il peut y avoir assurément de conflits d’intérêts. C’est pourquoi confier la régulation (1) à une autorité administrative dont les organes jouissent d’une indépendance égale à celle reconnue aux magistrats (2) est une bonne chose.

1. Les missions de l’autorité de régulation des télécommunications

Entrée en fonction le 19 juillet 1999, conformément à la loi n°99-019, l’autorité de régulation est chargée de réguler le secteur des télécommunications. Le 25 janvier 2001 avec l’entrée en vigueur de la loi n°2001-18 portant sur l’autorité de régulation multisectorielle, l’ARE s’est vu être investie d’un champ

331 Cité par CROCQ. I., Régulation et réglementation dans les télécommunications, op.cit., P.7.

332 BOULOC. B., Autorité de régulation et vie des affaires, op.cit., p.11.

333 LAFFITTE. P et TREGOUET. R., Les conséquences de l’évolution scientifique et technique dans le secteur des télécommunications, Assemblée nationale n°3519, Sénat n°159, session ordinaire de 2001-2002, p.7.

d’intervention et de pouvoirs plus étendus. Dans sa nouvelle configuration, l’ARE s’est vu également reconnaître une extension aux autres secteurs d’activités fraichement ouverts à la concurrence notamment, l’eau, l’électricité, et la poste (article 3).

La création de cette instance vient à point nommé faire place à des formes d’organisation des télécommunications plus réjouissantes334. La multiplicité des acteurs, la variété des services et l’exigence de la clientèle obligent. En fait, l’ARE marque la fin de la conception classique de l’Etat s’appuyant sur l’intervention directe de la puissance publique pour la mise en exécution des règlements et la sanction de leur non respect. La nouvelle conception fait de l’Etat un simple arbitre qui veille à articuler les intérêts discordants et antagonistes des opérateurs.

Sur le plan juridique, l’autorité de régulation est une personne morale de droit public dotée de l’autonomie financière et de gestion, placée sous la tutelle du Premier ministre (article 2). Ayant une fonction d’arbitre et de conciliateur335, l’autorité de régulation est appelée à concilier « droit et équité »336 en vue de faire « le compromis entre l’impératif nouveau de concurrence qui implique qu’à un opérateur unique succèdent plusieurs opérateurs, et d’autres préoccupations d’intérêt général ( pluralité des médias, maintien d’un service universel, sécurité d’approvisionnement, ou sécurité des passagers) »337. La coexistence de tous ces paramètres variables explique en grande partie la foison des fonctions dévolues à l’autorité de régulation, précisément en matière de la règlementation et contrôle des conditions d’exploitation (a) et en matière de surveillance et de règlement des litiges (b).

334 EL IDRISSI. M., « la pertinence du régime juridique des télécommunications, issu de la loi 24-94 », revue franco-maghrébine de droit, presses universitaires de Perpignan, n°13, 2005, p.153.

335 AMMI. C., La concurrence dans les télécoms ; stratégies et perspectives, op.cit., p.70.

336 GUEDON. M, Les autorités administratives indépendantes, édition L.G.D.J, 1991, p.6.

337 DUTHEIL DE LA ROCHERE, La concurrence dans la société de l’information, op.cit., p.34.

a) De la réglementation et du contrôle des conditions d’exploitation

C’est l’article 8 de la loi n°2001-18 qui énumère les différentes missions de réglementation du contrôle et les conditions d’exploitation dévolues à l’autorité de régulation. Ainsi, l’ARE a pour mission de définir :

- les conditions d’exercice de la concurrence saine, effective et loyale dans les secteurs qui relèvent de son domaine de compétence ;

- les mécanismes de consultation des utilisateurs et des opérateurs conformément aux dispositions législatives et règlementaires ;

- les conditions d’attribution des autorisations, licences et concessions dans les secteurs concernés ;

- les stratégies de développement conformément aux objectifs du gouvernement permettant, notamment, l’équilibre économique et financier et la préservation des conditions économiques nécessaires pour la promotion des secteurs qu’elle a la charge de contrôler ;

- le contrôle des intervenants par rapport au respect des obligations qui leur incombent dans le cadre des licences, autorisations et concessions ;

- la continuité du service et protection de l’intérêt général ;

- l’application des dispositions des textes législatifs et réglementaires qui encadrent les secteurs qu’ elle a la charge de réguler ;

- les mesures de protection des intérêts des utilisateurs et des opérateurs en garantissant toutefois l’exercice d’une concurrence.

L’ARE a aussi le pouvoir de procéder à des visites des installations, de faire des enquêtes et des études (article 6). Pour ce faire, l’ARE recueille des informations nécessaires auprès des opérateurs qui sont totalement tenu de lui fournir ce dont elle a besoin, le secret professionnel ne lui étant absolument pas opposable. En outre, elle dispose également d’attributions consultatives et informatives. En effet, elle est consultée par les ministères en charge de l’eau, de l’électricité, de

la poste et des télécommunications par rapport aux projet de lois ou textes règlementaires relatifs aux secteurs en question (article 9). Elle est impliquée dans le processus de négociations régionales et internationales portant sur lesdits secteurs (article 8). Enfin, elle édicte une revue semestrielle appelé « bulletin officiel de l’autorité de régulation » comportant ses décisions, avis, recommandations ainsi que ses procès verbaux (article 11). Dans son rapport annuel (article 13), l’ARE peut proposer des modifications législatives ou règlementaires qui lui semble nécessaires d’opérer en vue d’accompagner l’évolution des secteurs mais aussi pour le développement de la concurrence (article 14). Sur ce point, force est de constater que la mise en place de l’autorité de régulation garantit cette libre concurrence338 .

b) De la surveillance et du règlement des litiges

Parmi les objectifs assignés à l’ARE, figurent la surveillance des comportements observés par les opérateurs339sur le marché et sanctionner les manquements constatés. Elle peut être saisie soit par une association d’utilisateurs ou une organisation professionnelle ou bien par le ministre concerné, soit elle se saisit elle-même de la question (article 16) à condition que les faits ne remontent pas à plus de trois ans qui est le délai de prescription (article 17). Avant de procéder à sanctionner, l’ARE met en demeure l’opérateur en question afin qu’il se conforme aux dispositions législatives et règlementaires (article 19). En cas de

338 SOW. D, Le droit de la concurrence en Mauritanie, thèse droit, Université de Perpignan Via Domitia, 2010, p.20.

339 L’autorité de régulation contrôle antérieurement les activités des opérateurs (un contrôle ex ante). Elle exerce aussi un contrôle postérieur sur les pratiques anticoncurrentielles et les atteintes à la concurrence (un contrôle ex post). Voir AMMI. C., La concurrence dans les télécoms ; stratégies et perspectives, op.cit., p.72.

persistance, des sanctions lui seront prononcées. Celles-ci sont motivés et notifiées à l’intéressé (article 20).

L’ARE peut être aussi saisie pour donner son avis concernant un litige relatif, par exemple, au partage d’infrastructure ou au refus d’interconnexion entre opérateurs. En un premier temps, elle favorise le règlement amiable du litige, c’est-à-dire la solution de conciliation (article 7). En cas d’échec de celle-ci, elle tranche elle-même le différend en rendant public un avis. A cet égard, le 31 janvier 2001, l’ARE a été saisie par l’opérateur Mattel au sujet d’un différend qui l’oppose avec l’opérateur historique Mauritel qui lui aurait, selon les allégations du premier, refusé l’interconnexion et ainsi l’accès à certaines installations. Conformément aux dispositions de la loi n°19-1999 et du décret 2000/163/PM/MIPT du 31 décembre 2001 relatif aux conditions générales d’interconnexion, l’ARE a déclenché la procédure d’instruction, pour tout arrêter plus tard à la suite d’un accord amiable trouvé entre les deux opérateurs le 5 février 2002340 .

2. Les organes de l’autorité de régulation

Les articles 7 de la loi n° 99-19 et 23 de la loi n°2001-18 distinguent les deux organes autour desquels l’autorité de régulation est constituée : le conseil national de régulation (a) et le directeur général (b).

340 Rapport annuel de l’autorité de régulation, 2001, op.cit., p. 36. Voir, DUTHEIL DE LA ROCHERE, La concurrence dans la société de l’information, op.cit., p.39.

a) Le conseil national de régulation

En application de l’article 7 de la loi susvisée, le conseil national de régulation est l’instance décisionnelle et administrative la plus haute de l’autorité de régulation. Il est composé de cinq membres pour un mandat de quatre ans renouvelables et non révocables. Ils sont choisis en raison de leurs compétences dans les domaines technique, juridique et économique, leurs intégrité morale doit être irréprochable. Trois membres dont le président du conseil sont nommés par le président de la République, les deux autres sont nommés respectivement par le président du Sénat et le président de l’Assemblée générale.

Le président du conseil est désigné pour un mandat ferme de quatre ans. Quant aux autres membres, ils sont renouvelés par moitié tous les deux ans. Pour éviter les conflits d’intérêts, la qualité de membre du conseil de régulation est incompatible avec tout autre emploi privé, mandat électif, toute possession directe ou indirecte d’intérêts dans une entreprise des secteurs des télécommunications, de l’audiovisuel ou de l’informatique.

Le conseil national de régulation assure une double casquette : d’une part, une casquette règlementaire tenant à l’adoption des règlements élaborés par la direction générale, à la décision sous la houlette du ministre des Télécommunications de tout ce qui à trait à la concurrence et à l’octroi des licences, c’est-à-dire lancement, évaluation, validation des appels d’offre ainsi que la délivrance des autorisations d’exploitation des réseaux et services de télécommunications ; d’autre part, une casquette de police administrative au sens où il décide des sanctions en cas de manquements constatés dans les secteurs régulés comme il se prononce en rendant des décisions par rapports aux litiges qui lui ont été soumis.

b) La direction générale des télécommunications

Le directeur général est l’organe opérationnel de l’autorité de régulation.

Nommé par le ministre des Télécommunications, il s’occupe de la préparation et de la mise en place des décisions prises par l’autorité de régulation341. A l’instar du conseil national de régulation, le directeur général est désigné en raison de ses qualifications et de ses compétences dans le domaine juridique, économique et technique ainsi que de son intégrité morale. La qualité de directeur général est incompatible avec l’exercice de toute autre activité professionnelle, mandat électif, détention directe ou indirecte d’intérêts dans une entreprise du secteur en question. A la différence des membres du conseil national, le directeur général est révocable et remplaçable à tout moment. En revanche, il est l’ordonnateur du budget de l’autorité, il assure le secrétariat et assiste à toutes les réunions du conseil national mais sa voix ne compte pas puisqu’elle est consultative. Sous les mêmes conditions que le conseil national, le directeur général peut faire appel à des salariés fonctionnaires ou contractuels. Au final, il faut admettre la grande utilité et l’ultime nécessité d’une telle autorité de régulation dans un secteur des médias à la fois complexe et varié.

341 En effet, aux termes de l’article 7 de la loi susvisée le directeur général est chargé de la préparation des appels d’offres pour l’octroi des licences, des avis et recommandations, rapports, revues et les actes afférents à l’exercice des pouvoirs dévolus à l’autorité de régulation. Aussi, il reçoit et instruise les demandes d’autorisations, et les demandes de règlements des différends conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi n° 99-19.