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Un choix stratégique

PARTIE I. LE RAPPORT HISTORIQUE ENTRE LES MÉDIAS ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE

Section 2. Le monopole d’Etat des médias

B. Un choix stratégique

Le monopole d’Etat des médias s’explique aussi par un choix stratégique. Deux choses semblent, ici, guider les autorités publiques mauritaniennes : d’une part,

162 GUERROUI. D, EL AOUFI. N., BARREAU. J, Le devenir du service public, op.cit., p.7.

163 ESPLUGAS. P, Le service public, op.cit., p.76.

164 GUERROUI. D., EL AOUFI. N., BARREAU. J., Le devenir du service public, op.cit., p.7.

165 ESPLUGAS. P, Le service public, op.cit., p.84.

la gestion d’un produit spécial de par ses caractéristiques (1) et, d’autre part, le souci de pallier à l’insuffisance de l’initiative privée presque inexistante (2).

1. La gestion d’un produit spécial

La préoccupation manifestée des autorités publiques mauritaniennes exprime la volonté de se procurer coûte que coûte un produit spécifique tout au long de la période initiale166. Certes, Les coûts de production des biens d’information sont très élevés. La production nécessite des investissements faramineux dont les coûts fixes sont irrécupérables. En revanche, la reproduction ne coûte presque rien. Économiquement, plus la quantité fournie est importante, plus le coût de production est amorti. Cela permet la réalisation d’économie d’échelle non négligeable. Or, cette dernière est un vecteur de justification de monopole naturel167.

Par ailleurs, la production des biens d’information nécessite, le plus souvent, le recours au domaine public tout comme l’utilisation des espaces privés, à titre d’exemple les voix publiques et l’occupation de certains terrains pour cause d’utilité publique. Donc, en vue d’éviter tout conflit éventuel pouvant opposer les différents intervenants et les habitants, chose qui aurait pu créer pas mal de problèmes pour l’Etat, celui-ci a préféré mettre la main sur ce secteur stratégique et ainsi éviter également les abus du secteur privé. En outre, la transmission télévisuelle et radiotéléphonique ne doit en aucun moment être perturbée par des lignes sujettes à des coupures électriques. L’articulation voire l’ajustement entre ces moyens demande une nette coordination entre les différents gestionnaires des services. Par conséquent, si les deux services sont rattachés au même

166 C’est-à-dire de l’indépendance jusqu’à la fin des années 90.

167 GUERROUI. D., EL AOUFI. N., BARREAU. J, Le devenir du service public, op.cit., p.94.

gestionnaire, ceci évitera que des perturbations surgissent. Une meilleure adaptation et la permanence de la transmission associée au droit à l’information sont profitables. Aussi, techniquement, les canaux de diffusion et de transmission en termes des fréquences hertziennes sont rares. Compte tenu de cet élément capital, leur valeur augmente irrationnellement.

Coûteuse, rare et stratégique, l’information une fois produite est reproductible indéfiniment et peut-être gratuitement. La gratuité de l’information est la suite logique du droit à l’information garantie par la Constitution et la loi portant sur la liberté de la presse. La conjugaison de ces dialectiques ascendantes a donné naissance au monopole d’Etat des médias, motivé par des considérations stratégiques quelquefois désordonnées.

2. La défaillance de l’initiative privée

La défaillance de l’initiative privée signifie qu’il y a un manque ou une insuffisance totale ou partielle en la matière et, dés lors, la carence de l’initiative privée explique la création d’un service public dont le monopole revient à l’Etat168 car, selon l’école du bien-être longtemps servie par les analyses seyantes et perspicaces des économistes anglais Alfred Marshall (1842-1924) et Arthur C.Pigou (1877-1959), en cas de « défauts du marché, l’Etat est fondé à intervenir à des fins correctrices »169. Cette posture de « despote éclairé et bienveillant »170 appelle des réserves d’après les théoriciens de l’école de Virginie, Gordon Tullock et James Buchanan.

168 GUGLIELMI. G., KOUBI. G., avec la collaboration de DUMONT. G., Droit du service public, op.cit., p.254.

169 Citée par BASSONI. M et JOUX. A., Introduction à l’économie des médias, op.cit., p.222.

170 Ibid.

L’Etat n’est pas trop souvent bienveillant. Il lui arrive, et assez fréquemment, de délaisser l’intérêt général des contribuables en faveur des intérêts particuliers de certains groupes. Ce ne serait donc pas l’intérêt général qui guide ou dicte l’intervention publique. Celle-ci serait le manifeste de la volonté des

« lobbies »171.

En France, la pensée économique a imprimé sa marque indélébile, concomitamment sur la jurisprudence administrative et la doctrine. Ainsi, en commentant l’arrêt d’assemblée Syndicat des agents généraux des compagnies d’assurance de Belfort du 21 janvier 1921, le commissaire du gouvernement Corneille conclut que « ce n’est qu’à défaut de l’initiative privée que, pour la satisfaction des besoins généraux de la collectivité, l’administration pourra exceptionnellement intervenir » 172 . Donc, en dehors des circonstances particulières, l’administration n’est pas admise à intervenir. Ceci a été confirmé en 1926 par deux décrets lois du 5 novembre 1926 du 28 décembre 1926. Or, le Conseil d’Etat en 1930 va assouplir les conditions dans lesquelles l’administration peut intervenir. Il exige que deux conditions soient remplies.

Pour la première, l’intervention de l’administration doit être réclamée par la population afin de satisfaire un besoin pressant relevant de l’intérêt général. La seconde, la défaillance de l’initiative privée doit être jaugée en fonction des circonstances. En sus, la doctrine ne semble pas résister aux sirènes de la pensée économique. Ainsi, elle donnait à l’intervention publique le nom du

« socialisme municipal »173 dont le développement justement « […] aboutit à la

171 Ibid., p.223.

172 GUGLIELMI. G., KOUBI. G., avec la collaboration de DUMONT. G., Droit du service public, op.cit., p.254.

173 Ibid., p.251.

prise en charge par les collectivités locales de la gestion d’une série de services de proximité, ainsi que d’activités plus directement économiques »174.

En Mauritanie, la question de la carence de l’initiative privée a le plus souvent justifié l’intervention de l’Etat dans la mesure où cette notion fut toujours assimilée à l’intérêt général. En effet, à partir du moment où l’Etat dispose d’un monopole absolu des médias, parler de l’insuffisance de l’initiative privée ne serait-il pas une supercherie ? Lorsque l’Etat intervient dans le secteur économique c’est qu’il estime que les opérateurs privés ne sont pas en mesure de fournir un service régulier et interrompu. Mais inversement, quand l’Etat intervient dans le secteur des médias ce n’est pas pour pallier le vide laissé par la carence de l’initiative privée mais pour se substituer carrément à celle-ci. Cette attitude bien que fondée juridiquement reste toutefois restrictive non seulement de la liberté d’expression mais aussi de la liberté du commerce et de l’industrie.

§2. Les effets du monopole sur la libre concurrence

Le monopole des médias produit essentiellement deux effets distincts et d’une gravité quasi égale. D’une part, il viole le principe de la liberté d’expression (A), pourtant affirmé par la Constitution, ainsi que les traités internationaux ratifiés par la Mauritanie. D’autre part, le monopole constitue une entrave désinvolte vis-à-vis du principe constitutionnel de la liberté du commerce et de l’industrie (B), fer de lance du libéralisme économique.

174 CHEVALLIER. J., Le service public : regard sur une évolution, édition AJDA, 1997, p.9.