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2. Cadre théorique

2.3. L’identité professionnelle

L’identité professionnelle des enseignants spécialisés est une question peu documentée.

Pourtant, nous le savons, celle-ci revêt une importance de taille puisqu’elle a trait à l’image que les professionnels se font de leur professionnalité, de leur métier et de leurs compétences. Les questions d’identité professionnelle sont donc importantes et d’autant plus saillantes pour les enseignants spécialisés puisque ceux-ci sont amenés à travailler et à interagir avec de nombreux professionnels issus de professions et de cultures professionnelles différentes.

Étudier l’identité professionnelle des enseignants spécialisés pourrait être un projet de recherche en soi, néanmoins dans notre cas nous nous limitons à clarifier ce que revêt l’identité professionnelle, et dans quelle mesure cette identité peut être amenée à changer sous l’effet des expériences et des situations difficiles vécues par les professionnels.

2.3.1. Définition

Parmi les auteurs qui se sont essayés à définir l’identité professionnelle, nous pouvons citer Barbier (1996). Ce dernier considère que l’identité professionnelle est un ensemble de composantes issues de l’histoire d’un individu, histoire dont il est le détenteur à un moment

donné de son existence. Selon lui, l’identité professionnelle comprend non seulement des composantes représentationnelles comme la conscience, mais aussi des composantes opératoires comme les compétences, les capacités, les habiletés et les savoirs. Certaines composantes affectives sont aussi comprises dans l’identité professionnelle, c’est le cas des goûts, des envies et des intérêts (Barbier, dans Beckers, 2007, p. 141).

D’après cette définition, l’identité ne serait pas figée et pourrait évoluer au gré des expériences et de l’histoire vécue par le détenteur de cette identité. En effet, Barbier (dans Beckers, 2007) considère que l’identité est un processus dynamique. Dès lors, l’identité professionnelle des enseignants, au même titre que l’identité professionnelle dans une autre profession, serait susceptible d’être modifiée en fonction des expériences vécues.

2.3.2. L’identité professionnelle d’enseignant spécialisé

Les travaux sur l’identité professionnelle des enseignants spécialisés étant rares, nous prenons le parti de nous pencher sur l’identité professionnelle des enseignants réguliers pour apporter des éléments de compréhension.

A ce propos, nous pouvons nous appuyer sur les travaux de Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau et Chevrier (2001) qui montrent par leurs travaux que l’identité professionnelle de l’enseignant n’est pas fixe et « définie une fois pour toutes par des paramètres rigides » (p. 28), mais plutôt qu’elle est mouvante et en constante évolution. Ces auteurs précisent également que l’identité professionnelle se situe au croisement entre les représentations que l’enseignant se fait de sa propre personne, la représentation qu’il se fait des enseignants et la représentation qu’il a de la profession enseignante telle qu’elle est (Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau & Chevrier, 2001, p. 28). Ainsi, l’identité professionnelle est liée non seulement à la personne et à la façon dont elle se voit, mais également à la façon dont elle voit les autres et à la représentation qu’elle a de son métier.

Ces auteurs montrent également, comme de nombreux auteurs d’ailleurs, que l’identité professionnelle de l’enseignant est sensible aux expériences vécues et que c’est dans l’action que s’effectue la construction identitaire. En effet, Gohier, et al. (2001) affirment que la construction identitaire de l’enseignant est un « processus dynamique et interactif de construction d’une représentation de soi en tant qu’enseignant, [qui est] mû par des phases de remise en question, générées par des situations de conflit (interne ou externe à l’individu) » (p. 9). En effet, ces auteurs pointent le fait que la construction identitaire résulte en partie de situations de conflit et de remise en question vécues par les enseignants. Dans le même sens, Dubet (1994) estime que l’identité professionnelle résulte d’un travail d’interprétation, par les sujets, de leurs expériences vécues.

Les travaux sur l’identité professionnelle des enseignants montrent aussi combien l’identité

« se forme sous et par le regard d’autrui », c’est-à-dire par et au travers du regard des autres.

Le groupe est un lieu dangereux, car il est rare qu’il renvoie une image cohérente à celui qui s’y cherche. Ceci est aussi vrai pour l’enseignant que pour l’élève. La dynamique des relations de l’individu au groupe se construit sur le besoin de reconnaissance, la recherche de l’identique, et la revendication de sa différence. Le métier d’enseignant est éprouvant dans la mesure où celui-ci est justement confronté aux regards critiques ou admiratifs d’enfants et d’adolescents en quête d’identité, prompts à s’enticher mais aussi à rejeter l’adulte. (Poussière, cité dans Houssaye, 2009, p. 163)

2.3.3. Identité professionnelle d’enseignant et violences

Selon Lelièvre et Lec (2011), les violences vécues en milieu scolaire affectent l’identité professionnelle les enseignants et entraîne chez ces derniers une remise en question de leur identité. Effectivement, ces auteurs montrent que les enseignants victimes d’agression ont tendance à chercher le sens des comportements et tentent de comprendre les motivations de l’agresseur. Plus encore, ils affirment que les enseignants prennent ces comportements agressifs comme étant le résultat de leur propre comportement. Autrement dit, et conformément à ce que nous disent ces auteurs, certains enseignants considèrent que certaines agressions physiques dont ils sont victimes résultent de leur propre action et/ou comportement et donc peuvent entrer dans des phases de remise en question qui affectent dans une certaine mesure leur identité professionnelle.

Carra (2009) considère quant à elle qu’« il existe une forte cohérence entre, d’une part, rapport à la violence et, d’autre part, représentations du métier d’enseignant et de l’élève » (p. 44). Selon elle, le rapport entretenu par les enseignants avec les violences conditionne dans une certaine mesure l’image et la représentation qu’ils se font du métier. En effet, « les enseignants ayant déclaré avoir vécu des situations violentes se caractérisent par un rapport au métier distinct des autres enseignants » (Carra, 2009, p. 38). Selon cette auteure, les enseignants victimes de violences voient leur métier différemment des enseignants non victimes de violences. D’ailleurs, lorsque les enseignants sont interrogés sur ce qu’ils apprécient le plus dans leur métier, les enseignants victimes ont tendance à mettre en avant la noblesse du métier, tandis que les enseignants non victimes insistent davantage sur la relation avec l’enfant. (Carra, 2009, pp.38-39)